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Et soudain, il eut envie de foutre le camp, de dégager, de se tirer de la ville avec la gosse. Il lui restait assez de fric pour le temps que lui avait laissé le toubib la dernière fois. Une femme maigre secoua la porte, le visage farouche. Il la fixa sans la voir vraiment, puis il fit coulisser lentement la porte. Elle s’engouffra sous lui, en maugréant. Johnny remonta le col du manteau et regagna la BMW.

Il s’abstint de presser le pas.

Ce qu’il allait faire, il le ferait pour elle. C’était bien le moins qu’il puisse faire… Pas pour lui, Seigneur, mais pour qu’elle soit pas obligée de retourner bosser à la Madeleine.

Lundi — dix-huit heures vingt

Ils étaient trois, ils étaient coriaces et le Commissariat central se vidait comme une vieille peau crevée, et dans un moment, il n’y aurait plus qu’eux, plus les diverses permanences des divers services, pas plus d’une trentaine de personnes, y compris les gardiens des S.O.S., séparées par des kilomètres et des kilomètres de couloirs sombres. Ils étaient trois, un au bureau à pivoter lentement dans son fauteuil, un autre assis sur une chaise retournée, les avant-bras sur le dossier et le menton sur les avant-bras, à droite, et l’autre adossé à une armoire métallique, à gauche.

Ils étaient trois costauds, et elle était seule.

Les quatre charlots mijotaient en garde-à-vue, en attendant qu’ils en aient fini avec elle, et qu’ils procèdent à la confrontation. Seulement, Schneider et ses deux collègues n’avaient pas l’air pressés.

Ils étaient d’autant moins pressés qu’ils jouaient la pendule. Ils lui avaient fait apporter un repas de la taule, vers une heure, ils n’avaient ménagé ni l’eau minérale ni les cigarettes, il avaient été attentifs et courtois, à aucun moment Perrier ou les autres n’avaient élevé la voix. Ils ne lui avaient pas collé la moindre tarte, ils n’avaient pas proféré la moindre menace.

Josiane Fontera avait pris vingt ans en dix heures. Elle était tassée sur la chaise et ses doigts étaient entortillés sur ses cuisses, comme des sarments secs. En un sens, elle aurait préféré qu’ils lui tapent dessus.

Schneider alluma une cigarette.

Il lui restait une carte à jouer, et c’était peut-être bien le moment. Il avait baissé l’abat-jour de la lampe de bureau et son visage se trouvait dans la pénombre. Il tripotait un cliché anthropométrique face-profil.

— On va taper une perquise chez toi, Jo, dit-il d’une voix sourde.

— Usage et trafic de stupéfiants, dit Perrier. Avec ton casier, tu vas prendre le maximum.

— Cinq ans, sec, dit Charles au pif.

— J’vous dis que je sais rien, dit la femme.

— Reprenons, proposa Schneider.

— Un grand type, très grand. Un grand balèze, dit Perrier.

— Avec une gonzesse avec des cheveux jusqu’aux fesses, psalmodia le Chat. Une grognasse avec les cheveux décolorés.

— Un type à moto, dit Schneider. Une 750 Honda.

— J’ai rien à vous dire, dit la femme.

— Tu nous emmènes en bateau, Jo, soupira Perrier.

— Je suis sûr que tu les connais, dit Schneider.

— Seulement, tu veux pas faire d’efforts, dit le Chat.

— On les aura quand même, dit Schneider.

Il semblait pensif, à en juger par l’intonation, et curieusement détaché.

— Y a longtemps que tu bosses chez Mayer ? demanda-t-il.

— Pas loin d’un an, dit la femme.

— Qu’est-ce tu y fais ? demanda Charles.

— Le ménage, dit la femme. Les pièces du rez-de-chaussée.

— C’est tout ? s’enquit Perrier.

— Non, dit la femme.

— Tu avais des relations sexuelles avec lui ? demanda Perrier.

— Oui, dit Josiane Frontera.

— Il te payait, pour ça ? demanda Charles.

— Vous allez pas me croire, dit la femme.

— Pourquoi on te croirait pas ? demanda Schneider. On n’a pas de raisons de ne pas te croire.

— Non, il me payait pas.

— Qui c’est qui a gagné, au poker ? demanda Perrier.

— Au poker ?

— Vendredi soir. Qui c’est qui a gagné ?

— Eddy Rais. Il a une veine de cocu.

— Tu parles, ricana Le Chat.

— Tu fais le ménage des pièces du rez-de-chaussée, dit Schneider. C’est ça ?

— Oui, dit la femme.

— Et les autres ?

— Les autres, il n’y habitait pas. Pas depuis que je bossais chez lui.

— Pourquoi tu bossais chez lui ? demanda Perrier.

— Je sais pas, dit la femme.

— Tu n’as jamais vu personne chez Mayer ? Jamais personne en presque un an ? C’est incroyable, non ? dit Perrier.

Dans la pénombre, il avait l’air immense.

— Ou alors tu as la trouille de mouiller quelqu’un, dit Charles. Comme tu sais pas lequel, tu préfères la boucler.

— Charles, dit Schneider, allez chercher le manteau de madame. On l’emmène faire un tour.

Le jeune homme se redressa, pivota sur les talons et se dirigea vers la porte. La femme secoua imperceptiblement la tête et ses phalanges craquèrent.

— J’ai vu le type, dit-elle d’une voix rauque, pénible à entendre. Une voix comme sont censés en avoir les spectres dans les séries C. Elle se passa lentement les doigts sur le front. J’ai vu le type, mais je ne le connais pas. Je sais pas qui c’est.

— Pourquoi ? demanda Schneider.

— Je crois pas que Mayer aurait apprécié que je me rencarde sur lui.

— Pourquoi tu dis ça ? demanda Schneider.

— Les cloisons étanches, dit la femme. Vous connaissez ?

— Non, dit Schneider.

— À quoi il ressemble, ton ange de l’enfer ? demanda Perrier.

Elle ne fit pas le moindre effort pour se souvenir. C’était comme si ils avaient ouvert un robinet mal joint. Et ils ne tardèrent pas à comprendre que si elle ne savait pas qui il était, elle savait fort bien à quoi il ressemblait. Un grand balèze d’un mètre quatre-vingt au moins, avec des cheveux noirs, très raides et sales, qui tombaient sur les épaules. Un poignet de force à chaque bras.

— Barbe, moustaches ? s’informa Perrier.

— Non, dit la femme.

— Les yeux ?

— Marron foncé.

— Petits ? Gros ? Rapprochés ? Séparés ?

— Petits, dit la femme. Très petits, assez écartés.

Elle chercha. Elle prit une cigarette dans le paquet de Schneider, sur le bord du bureau et Charles Catala lui donna du feu.

— Comme un chinois, dit-elle en soufflant la fumée vers le plafond.

— Le nez… dit Schneider.

— Des tatouages, des cicatrices ?

— Un coup de schlass, dit la femme. Près de l’épaule…

Il y eut un silence interminable. Une machine crépitait quelque part, dans un bureau de la P.J. Une voiture klaxonna deux fois sur le parking, comme une souris couine dans un piège. Schneider tira sur sa cigarette. Josiane Frontera se prit la figure dans les mains. Ils ne l’entendirent pas, mais Charles vit ses épaules se soulever et ils comprirent qu’elle pleurait entre ses doigts.

— On reprend tout à zéro, Josiane, dit Schneider.

— Je sais pas son nom, dit la femme.

Elle secoua doucement la tête, puis elle se plia et ses mains touchèrent ses genoux, et elle se redressa lentement. Et elle se pencha de nouveau en avant.

— Son pseudo, dit Perrier.