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Il y avait enfin un revolver de marque Colt, type Police Python, calibre .357 Magnum. Une fort belle arme dont la vogue soudaine, en dépit de son prix élevé, devait beaucoup à M. Corneau et au moins autant à M. Yves Montand. Quatrième catégorie.

Il ne leur manquait plus que le colt et ils avaient hâte de mettre la main dessus, histoire de boucler l’affaire et de présenter tout le monde au parquet dans les plus brefs délais après des investigations menées sans désemparer et de même suite, en situation de flagrance. Dans les plus brefs délais et dans un bel emballage-cadeau bien ficelé. Il ne manquait plus que le Colt et les trois témoins de l’affaire faisant objet de la diffusion et il s’agissait de :

— COLIN Armand, Bruno (et non pas COLLIN comme précédemment orthographié), né le 12 novembre 1946 à Nœux-les-Mines (Pas-de-Calais) de Bruno et de SCHWARTZ Adeline, actuellement sans profession ni domicile fixe, alias « JETHRO », pouvant circuler à bord du véhicule MERCEDES immatriculé… et SUSCEPTIBLE D’ÊTRE ARMÉ…

— STEPHAN Marie-Louise, dite « MALOU », ou « NINA HAGEN », née le 25 janvier 1956 à Paris (XIIe), de Louis et de MEUNIER Marie, actuellement sans profession, demeurant 16, rue de Stalingrad à Z…, pouvant circuler etc.

— CHEVALLIER Maurice, dit « MOMO », né le 4 mars 1959 à Z…, de Maud et de CHEVALLIER André, demeurant à Z…, cité Mozart, bâtiment F 18, mécanicien automobile actuellement sans profession, pouvant circuler etc.

« Actuellement sans profession », pour tout le monde dans le bureau, ça voulait dire, en termes dépouillés de leur neutralité administrative teintée d’hexagonal, ça voulait dire tout simplement au chômage.

Ce qui ne signifiait pas pour autant que tous les chômeurs braquaient des banques ou des stations-service, ni qu’ils passaient tout leur temps à incendier des voitures ou à déraciner les cabines téléphoniques, et ils étaient fort peu nombreux à entreprendre de trucider leurs semblables, et c’était tant mieux, car autrement les malheureux policiers n’auraient pas touché terre.

Non, ça signifiait seulement qu’il y en avait de plus en plus, des fragiles, pour passer la ligne, et qu’ils étaient encore bien gentils de ne pas faire plus fort. Il y avait les bandes des deux Cités d’Urgence qui étaient en train de se chercher dans tous les sens du mot, et tous les Chevallier, les Jethro et les Carminati qui avaient lâché la rampe et pour lesquels ils ne pouvaient déjà plus rien. C’étaient comme les premiers souffles d’un vent d’orage, ceux qui se bornent à faire hocher les têtes des grandes herbes et froncer les sourcils du public.

Il y avait de plus en plus de rebut et de rebut jeune. Et la came montait comme une eau noire dans une cave obscure, et grignotait les marches.

Schneider buvait pensivement. Ils avaient une mauvaise photo de « Nina Hagen ». Elle avait une vilaine face de rat, des yeux durs et des cheveux raides, blancs, une expression proche de la haine, une petite bouche noire au pli amer, et un teint blême, fantomatique. Ou bien elle était vraiment hideuse, ou bien celui qui manipulait le Polaroid s’était planté dans la distance.

Ou bien elle était défoncée en plus et l’objectif grand-angulaire avait encore accentué la forme triangulaire de sa face et le flash électronique en avait accentué la blancheur farineuse.

Ils n’avaient plus grand-chose à faire, sinon attendre qu’une de leurs casseroles appelle, ou que la chance leur vienne encore une fois en aide.

— Ils n’ont pas d’attaches solides avec ce qu’on appelle le milieu, dit Schneider. Ils n’ont plus beaucoup de fric même s’ils ont piqué quatre bâtons chez Mayer, ce qui n’est pas évident. Ils vont rentrer en ville. S’ils ne sont pas dans leur baraque à la campagne, et je ne les vois pas s’y incruster ad vitam, ils ne vont pas tarder à rappliquer.

Le téléphone sonna chez Charles et il piqua un sprint des moins convaincants. C’était encore Skinny. Il avait oublié de dire un truc au policier : les flics étaient pas les seuls à s’intéresser à Jethro. Les types à Ramsès étaient aussi sur l’affaire, et pas qu’un peu. Man.

Mardi — vingt et une heures vingt

Une planque, de quelque côté de la barrière qu’on la pratique, une planque est une planque, et c’est essentiellement quelque chose de parfaitement chiant. Il vaut mieux ne pas brancher la radio à tue-tête et rien ne se repère mieux qu’un type planqué derrière un canard, ne serait-ce que parce qu’il faut bien tourner les pages de temps à autre, or, dans une planque en voiture, l’essentiel c’est l’immobilité.

Pour des raisons tout aussi évidentes, il n’est pas question de laisser tourner le moulin, car rien n’est aussi aisément repérable que le mince plumet d’échappement qui s’échappe du pot, lorsqu’il ne s’agit pas purement et simplement d’un panache gros comme une maison. Dans le même ordre d’idée, il est plus que déconseillé de fumer, surtout à deux, car si dans l’habitacle ça n’a l’air de rien, dehors la voiture finit par ressembler à une soupière mal fermée et qui fume doucement sur un évier.

On peut bien sûr casser la croûte, mais chacun vous dira qu’on a rarement le cœur à organiser une Grande Bouffe dans une Renault 14 en stationnement dans un coin sombre, et de toute façon on n’a jamais vu une croûte qui dure plus longtemps que les impôts locaux. On peut s’occuper les mains, pour peu que le coéquipier soit de l’un ou l’autre sexe (sans que cela soit limitatif), mais il y a bien un moment où il faut conclure et il faut alors se résigner à choisir entre les sièges couchettes et la planque proprement dite.

Dur, dur…

Il faisait nuit, il pleuvait et dans la nuit froide la pluie crépitait sans relâche sur la tôle mince du pavillon. Ils avaient laissé les vitres avant à peine baissées pour ne pas embuer et des gouttes éparses leur picotaient le visage de temps à autre.

La Renault 14 était planquée tous feux éteints dans une ruelle très en pente, à une cinquantaine de mètres derrière la Rambler cabossée de la Grosse Tanche, l’organisateur supposé du plus beau braquage du siècle en ville. Un braquage tout en douceur, un chouette boulot de père de famille. Il y avait six autres voitures rangées entre les deux véhicules et la ruelle était en sens unique, ce qui fait que la Grosse ne risquait pas de leur passer devant à l’improviste, à moins de faire tout le tour du pâté de maisons, et pourquoi l’aurait-il fait ?

Ils avaient pris bien soin de le filocher de très loin, à distance plus que respectueuse, au risque de le paumer, seulement perdre la Rambler, ça confinait à l’exploit et la femme conduisait comme un as de la B.R.I., sans que Johnny ait quoi que ce soit à lui dire.

La Grosse, lui, conduisait plutôt comme une savate, en variant sans cesse son allure et en changeant de file à tout bout de champ. La Rambler ne souffrait sans doute pas d’un excès d’amortisseurs. On avait rabiboché tant bien que mal le feu arrière gauche à grand renfort de sparadrap et ça faisait crado.

Ça faisait Grosse Tanche.

Il les avait conduits sur la zone industrielle des Sablons où il avait fait l’acquisition de cinq panneaux de Novopan de 18, d’environ un mètre carré chacun, et qu’un freluquet en cotte bleue avec une grosse banane bleutée sur la tête avait chargées dans le coffre sans cesser de mâcher de la gomme.

Ensuite, il était allé boire le coup chez Frédo, un vieux chien qui tenait le même boui-boui depuis la fin des années trente, derrière les casernes, un virtuose de l’agneau-flageolets. Il en était ressorti presque aussitôt avec une jeune tante juchée sur des bottes à talons carrés et qui avait la dégaine — y compris les lunettes carrées bleu vif et le stetson-hat blanc — de l’inestimable Elton John, et il l’avait largué devant les marches de la Poste centrale. La pédale avait disparu rapidement en direction de la zone piétonne.