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— Je suis certain de ce que j’avance, commença Fandor.

Il dit alors tout ce qu’il soupçonnait des machinations du faux Norvégien et des caisses d’or camouflées.

— Me croyez-vous ? demanda-t-il pour finir, et, d’une voix vibrante, Hélène répondit :

— Non, Fandor, pas du tout.

Et la jeune fille était sincère. Ce qu’inventait Fandor, ce que Fandor imaginait, Hélène ne pouvait pas l’admettre. Cela lui semblait à la fois trop monstrueux et trop compliqué.

— Je vous croirais, Fandor, si je pouvais admettre que mon père eût su d’avance que le Triumph allait couler. Il aurait pu, alors, je l’admets, préparer la fausse monnaie, mais vous oubliez que le naufrage de ce bateau est dû au gros temps, à la mer démontée, que mon père, par conséquent, ne peut pas en être rendu responsable, et qu’il n’aurait pas eu le temps de préparer la fausse monnaie. Je vous croirai, Fandor, quand j’aurai vu, de mes yeux vu, le sauveteur, et quand je me serai persuadée que c’est…

— Écoutez, Hélène, je tiens à agir loyalement avec vous. Ce que je vous ai dit, j’en suis certain, mais je n’en ai pas de preuve, Cette preuve, je vais pourtant vous la fournir. Écoutez-moi bien. Vous savez que la direction du port veut faire sauter l’épave du Triumph. Ce soir même, d’ici une heure, un sous-marin, L’Œuf, va aller reconnaître la situation et préparer l’opération. Au prix de mille difficultés, j’ai obtenu de Paris l’autorisation d’embarquer à bord. Il est certain que celui-ci passera sous les pontons de renflouement. Je ne doute pas qu’au cours de sa croisière, quelqu’un de prévenu ne puisse acquérir la certitude rigoureuse de ce que j’avançais tout à l’heure. Eh bien, voulez-vous embarquer à ma place, aller à ma place chercher ces preuves que vous me demandez ? Je ne vous demande pas de m’aider à m’emparer de votre père, je vous demande d’aller loyalement acquérir la conviction que je n’invente rien, que je ne me suis point trompé, que j’ai raison de le poursuivre.

***

Hélène venait d’arriver à bord du sous-marin L’Œuf et le lieutenant de Kervalac, bien que surpris de l’autorisation donnée par le ministère de la Marine, n’avait fait aucune difficulté à l’admettre dans son petit bâtiment, étant assez amusé par l’idée qu’il allait piloter une femme sous les flots.

— Mademoiselle, expliqua le lieutenant, conduisant Hélène à l’un des compartiments étanches de l’étroit bâtiment, vous n’avez certainement jamais effectué de plongée. Vous m’excuserez par conséquent de vous donner quelques indications sur la façon dont vous devez vous acquitter de votre rôle de passagère. Vous allez vous installer sur ce pliant, je regrette de n’avoir pas mieux à vous offrir, mais notre installation est rudimentaire. Par ce hublot, vous pourrez observer, sur la droite du bâtiment, tout ce qui se passera, car L’Œuf, que j’ai l’honneur de commander, est muni de puissants projecteurs qui permettent d’explorer le fond de la mer assez facilement. Enfin, je vous recommande de ne pas bouger, quoi que vous entendiez, sauf si je vous en donne l’ordre. J’ajoute que vous ne courez aucun risque, que vous ne devez éprouver aucune émotion, mais enfin deux prudences valent mieux qu’une, et il n’arriverait jamais d’accident à bord des sous-marins si chacun exécutait exactement les consignes.

Le lieutenant de Kervalac, abandonnant sa passagère au poste qu’il lui avait assigné, se dirigea vers le blockhaus où le périscope allait lui permettre de diriger son bateau.

— En avant, doucement.

L’hélice trépida, la coque de noix gagna le milieu de la passe.

— En avant, à toute allure.

— Les panneaux sont fermés ?

— Oui, commandant.

— Eh bien, mes enfants, ouvrez les vannes, inclinez les gouvernails, en plongée par fond de dix mètres.

Hélène sentit le navire s’affaisser, couler sous elle, cependant qu’un bouillonnement marquait sa disparition de la surface des flots, cependant que l’on entendait les réservoirs formant contrepoids s’emplir à grands fracas. Étrange, épouvantable, angoissant au suprême degré. Hélène avait un peu pâli, elle serrait les dents, mais ne bronchait pas. Qu’allait-elle voir ? Fandor avait-il eu raison ? Ah, L’Œuf pouvait s’enfoncer dans la profondeur opaque des eaux glauques, L’Œuf pouvait couler dans le grand océan, ce n’était pas à cela que songeait la fille de Fantômas. Elle se demandait si son fiancé avait eu tort ou raison, si c’était son père, si c’était l’infernal Fantômas, l’auteur des drames qui bouleversaient encore une fois sa vie, qui menaçaient d’éloigner d’elle, une fois de plus, le bonheur. Qu’allait-elle voir ? Après dix minutes peut-être de marche silencieuse, soudain le lieutenant de Kervalac cria un ordre :

— Le projecteur avant droit, pleins feux.

Le visage collé au hublot, Hélène vit tout un fourmillement d’êtres surprenants, des bancs de poissons qui se sauvaient, des poulpes qui tordaient leurs tentacules, des méduses incendiées de mille reflets, une forêt sous-marine dans laquelle L’Œuf glissait à vive allure. La jeune fille, toutefois, n’eut pas longtemps le loisir de contempler le paysage de rêve éclairé par le projecteur.

Un ordre résonna :

— Un quart à tribord, les machines à demi-vitesse.

Le petit navire pivota sur lui-même, ralentit sa marche et soudain, dans le silence de sa coque d’acier, une exclamation étonnée retentit :

— Ah sapristi, que diable cela veut-il dire ?

Le lieutenant de Kervalac, de son poste de commandement, avait aperçu quelque chose d’extraordinaire, quelque spectacle surprenant :

— Timonier, ordonnait-il, passez-moi la barre.

Le lieutenant, au gouvernail, manœuvra lentement, savamment, et bientôt, dans l’encadrement rond de son hublot, Hélène vit ce qui avait motivé la surprise de l’officier. L’Œuf venait de parvenir à la hauteur de l’épave du Triumph. Le vaisseau coulé avait dû toucher le fond en s’inclinant sur le flanc. Mais il était tombé sur un fond de vase, et la vase, déjà, l’avait englouti, à tel point que seuls les mâts apparaissaient, dressés dans l’eau, comme plantés sur le fond même de la rade.

Et le lieutenant de Kervalac, du haut de sa tourelle, criait à sa passagère :

— Regardez donc, mademoiselle, c’est extraordinaire. C’est invraisemblable, ce que nous voyons. Le Triumph est déjà à cinq mètres sous la vase, et pourtant le sauveteur norvégien prétendait encore aujourd’hui même que ses scaphandriers atteignaient la cale du bâtiment. Il en donnait pour preuves les caisses d’or repêchées. Miséricorde. Je me demande comment il a pu faire pour les retirer, ces caisses d’or ? En haut, délestez du quart, laissez battre à demi-vitesse.

Le sous-marin, allégé par la manœuvre, regagna la surface.

— Stop, commanda le lieutenant.

Le navire s’immobilisa lentement et de nouveau le lieutenant de Kervalac attira l’attention de la fille de Fantômas :

— Ah bougre de bougre, mais c’est encore plus extraordinaire que n’importe quoi. Regardez, mademoiselle, nous sommes à côté des pontons de renflouement, et, tenez, voyez-vous, en dessous du plus gros, à droite, il y a cinq caisses qui se balancent à bout de cordes. Qu’est-ce que cela peut bien signifier ?

Le lieutenant parlait en toute tranquillité d’âme, car il était à coup sûr fort éloigné de deviner le trouble où ses paroles jetaient sa passagère.

Ainsi, c’était vrai, le sauvetage des caisses d’or était impossible puisque le Triumph était envasé. Les caisses d’or ramenées à la surface ne provenaient pas de ses cales. Fandor avait eu raison.