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Dans l’angoisse du naufrage, dans le souci des ordres à donner pour sauver le bâtiment, pour sauver les hommes, le jeune officier avait oublié sa passagère. Le présence de cette femme lui revint soudain à l’esprit. Qu’était-elle devenue ? qui donc avait tiré ce coup de revolver qui avait précédé d’une seconde la découverte de la torpille ?

— Visitez la coque, commanda le lieutenant, voyez les cloisons arrière, Premier maître, assurez-vous de la personne qui nous accompagnait.

Tandis que les hommes enlevaient le plancher à claire-voie formant le fond du sous-marin pour s’assurer que nulle voie d’eau ne s’était formée, le premier maître se rendait au compartiment arrière du submersible.

Et c’est avec une angoisse nouvelle que le lieutenant de Kervalac l’entendit jurer.

— Quoi ? qu’est-ce encore ?

— Notre passagère. Elle s’est tuée. Elle s’est fichu un coup de revolver dans la poitrine.

Le matelot ne se trompait point. Au moment même où la malheureuse Hélène avait aperçu les caisses immergées qui lui apprenaient le nouveau crime de son père, elle n’avait pu supporter son désespoir, la honte.

La jeune fille, en une seconde, avait eu l’impression que ses plus chers espoirs étaient ruinés une fois encore, que d’insurmontables obstacles allaient encore la séparer de Fandor, que si elle revenait vivante à Cherbourg, il lui faudrait trahir son père ou son fiancé.

Hélène n’avait pas hésité : elle avait tiré un revolver de sa poche, revolver qui ne la quittait jamais, son seul espoir d’une paix dernière. Elle avait fait feu. Et, au moment même où le matelot annonçait : « Une torpille, mon commandant », Hélène s’écroulait sur le plancher du sous-marin, la poitrine ensanglantée.

Le lieutenant de Kervalac, cependant, en entendant annoncer que la passagère s’était tuée, avait sursauté.

— C’est affreux. Est-elle morte ?

— Elle respire encore, mon commandant, mais c’est tout juste.

— Portez-la dans la chambre des machines. Faites au mieux.

Or, de violents coups ébranlaient la carcasse sonore. La vigie signalait quelque chose :

— Sauvés, nous sommes sauvés, cria soudain le jeune commandant, on nous a vus.

Le lieutenant de Kervalac, en effet, par les vitres du blockhaus, apercevait une barque arrivant, à force de voiles, droit sur L’Œuf.

C’était assurément un des canots accrochés aux pontons de renflouement, un homme le manœuvrait, il avait dû être témoin de l’accident de la torpille –  si c’était un accident —, il avait vu remonter le sous-marin, s’était douté qu’il était désemparé et maintenant il venait à son secours.

Le lieutenant de Kervalac, le premier mouvement de joie passé, retrouvait tout son sang-froid. C’était d’une belle voix de commandement qu’il ordonnait :

— Allons, les enfants, tout le monde à son poste et du calme. Mécaniciens, prenez d’abord la blessée. Passez-la à Le Goffic, il faut qu’elle embarque la première. Quartier-maître, préparez un filin, on va nous donner la remorque, nous irons faire l’accoste le long des pontons.

***

— Hisse !

— Laisse aller !

Une corde jetée du sous-marin fut habilement saisie par l’homme qui manœuvrait la petite barque. En un tour de main, celui qui venait sauver l’équipage de L’Œuf avait enroulé le cordage au pied du mât de sa barque. L’Œuf et le bachot furent bientôt bord à bord.

— Un accident ? demanda le matelot.

— Un accident, répondit Le Goffic.

Et mis au courant par les camarades qui lui parlaient par le panneau, Le Goffic ajouta :

— Attends, mon gars, tu vas nous donner la remorque tout à l’heure, mais pour plus de sûreté, on va d’abord te passer quelqu’un. Fais attention, c’est une dame et elle est blessée.

C’était une manœuvre extraordinaire, folle d’imprudence, merveilleuse de témérité que Le Goffic réussit avec l’aide de ses camarades. Hélène, sans vie, sans mouvement, délirante, fut hissée par le panneau. Les marins bretons, s’agrippant à la coque de L’Œuf, trouvèrent prise sur le bronze lisse et luisant, réussirent enfin, en dépit des lames moutonneuses, en dépit de la houle grandissante, à passer la blessée à bord de la barque.

— File du câble, dit le sauveteur, ou bon Dieu, on s’en va chavirer.

La houle grandissait en effet. De minute en minute, les lames se creusaient davantage et elles commençaient à se coiffer de blanc, à mettre ce bonnet d’écume qui présage la formation des tempêtes, des vagues déferlantes et mauvaises.

Le Goffic, dans le vent, transmettait les ordres qu’il recevait de l’intérieur du sous-marin :

— Je te file dix brasses de corde. Arrime-nous à ton arrière et souque ferme, tâche de nous faire ranger près des pontons.

La réponse du matelot sauveteur se perdait dans le vent, mais il avait dû comprendre, il orienta sa voile, le sous-marin avança.

Or, tandis que sur les appels pressants du commandant de Kervalac, Le Goffic, trempé, épuisé, redescendait à l’intérieur du bateau, il se passait une scène étrange :

Le matelot, l’inconnu, l’homme qui était venu au secours de L’Œuf, après avoir commencé à remorquer le sous-marin, cessait brusquement de manœuvrer. Il se pencha sur le visage de celle qu’il avait prise à son bord, et il s’écria :

— Malédiction, c’est Hélène, c’est ma fille.

Moins de cinq minutes plus tard, Kervalac s’aperçut que la remorque était détachée, que son bâtiment flottait à l’aventure, que la marée l’emportait vers le large, cependant que la barque du sauveteur, dans la nuit, au lointain, comme un oiseau volant au ras des eaux, disparaissait au milieu de la tempête.

***

Dans le grand salon luxueusement meublé attenant à son cabinet de travail à bord du Courage, cuirassé d’escadre battant son pavillon, l’amiral Achard se tenait immobile, songeur.

C’était le type du vieux marin, parfait homme du monde, ayant conquis ses grades par sa valeur, les ayant justifiés par sa courtoisie parfaite, alliée à une haute science de technicien. L’amiral Achard était, en justes proportions, craint et aimé de tous les officiers. On le savait sévère, mais juste et il était redouté pour la discipline sévère qu’il maintenait dans son équipage. On s’accordait à reconnaître qu’il avait le droit d’être strict, étant lui-même le premier à faire son devoir, étant aussi bon homme de guerre que manœuvrier habile et chef indulgent, lorsque l’indulgence n’était pas une faiblesse. L’amiral Achard, peu de temps avant, avait été averti par un officier de son bord que le lieutenant de Kervalac, commandant le sous-marin L’Œuf, désemparé à la suite d’un accident inconnu, entraîné par le flot au large de Cherbourg, miraculeusement retrouvé par un contre-torpilleur qui lui avait donné la remorque et l’avait ramené en rade, demandait à lui parler pour lui faire un rapport très grave. L’amiral Achard déjà documenté sur l’ensemble des faits par le rapport qu’il avait reçu du lieutenant de vaisseau commandant le contre-torpilleur ayant sauvé L’Œuf, avait immédiatement donné l’ordre d’introduire le jeune capitaine. C’était lui qu’il attendait. Deux coups discrets, la porte du salon s’ouvrit, un fusilier présentant les armes annonça :

— Le lieutenant de Kervalac.

L’amiral Achard fit trois pas en avant. Son maintien, grave tout à l’heure, s’était soudainement fait ému. Comme le fusilier refermait la porte du salon, comme le lieutenant de Kervalac, après avoir fait trois pas, saluait à l’ordonnance l’amiral Achard, puis s’immobilisait dans une position déférente, le commandant suprême de l’escadre s’avança, les deux bras tendus, vers le jeune officier.