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— Restitué les papiers. Ah ça, Fandor, es-tu devenu complètement fou ?

— Pourquoi ?

— T’imagines-tu que je m’en vais te rendre ces documents pour que tu t’en ailles les porter à ce bandit et que nous perdions ainsi, bénévolement, le plus gros atout dans notre jeu, qui nous permet d’espérer gagner la partie ?

— Juve, j’ai donné ma parole d’honneur.

— On ne se déshonore pas, Fandor, en manquant de parole à Fantômas.

— Je vous demande bien pardon, Juve, du moment que j’ai engagé ma parole, peu importe à qui.

— D’accord, fit Juve, la parole donnée est une chose respectable, et j’estime, comme toi que l’on ne transige pas avec une telle promesse. Mais moi je n’ai rien promis du tout. Or, c’est moi qui possède les papiers.

Fandor, qui s’était levé et approché du lit de Juve, recula, désespéré, se laissa tomber sur un fauteuil.

— Juve, je vous en prie, rendez-vous compte de la situation dans laquelle je me trouve. Vous aviez, jusqu’à présent, le devoir de lutter contre Fantômas par tous les moyens, c’est possible. Mais à l’heure actuelle je suis redevable, moi, de quelque chose à Fantômas, et ce quelque chose, c’est ma vie, en échange de laquelle j’ai donné ma parole au bandit, il faut que je la tienne.

— Eh bien, tiens-la, Fandor. Tu es robuste, solide, libre de tes mouvements. Moi, je suis infirme, paralysé.

— Oh, Juve, supposez-vous un seul instant que je serais capable d’agir par la force.

— Il est des cas, fit-il, où on se demande quelle est l’attitude à observer la plus équitable. Tu as donné ta parole, Fandor, de livrer à Fantômas des documents que tu sais que je possède et que je refuse de te donner. Si tu veux les prendre, tenir ta promesse, tu sais qu’il te faudra user de violence.

— Et dans ces conditions ?

— Ce sera à mon tour de te répondre de la même façon.

— Juve, vous me mettez dans une situation inextricable.

— Écoute, Fandor, fit-il, laissons cela. Fantômas, m’as-tu dit, a écrit sous tes yeux une lettre dans laquelle il s’accuse de l’assassinat d’Hervé Martel, dans laquelle il se vante d’avoir voulu torpiller le sous-marin ?

— Il a écrit tout cela, je l’ai vu, de mes yeux vu.

— Donc, poursuivit le policier, de plus en plus énigmatique, cette lettre, lorsqu’elle parviendra à destination, c’est-à-dire lorsqu’elle te sera remise, non seulement t’innocentera, mais encore incriminera Fantômas ?

— C’est exact. Où voulez-vous en venir ?

— À ceci, Fandor.

Juve, péniblement, leva le bras et appuya trois fois sur un bouton de sonnette.

On frappait à la porte.

— Entrez, dit Juve.

Deux hommes entrèrent.

— Emparez-vous de lui, ordonna Juve.

Nalorgne et Pérouzin considérèrent Fandor stupéfaits, puis Pérouzin s’écria, tendant cordialement la main au journaliste :

— Mais au fait, c’est notre collègue de la police locale de Cherbourg. Comment allez-vous, cher monsieur ?

— De qui faut-il s’emparer ? Qui devons-nous mettre en état d’arrestation ? demanda Nalorgne.

— Je viens de vous le dire, hurlait déjà le paralytique, arrêtez cet homme, car c’est celui que vous recherchez, c’est l’individu inculpé des divers crimes pour lesquels M. Havard vous a envoyés ici. Vous cherchez Jérôme Fandor, n’est-il pas vrai ? eh bien, arrêtez-le, car cet homme ici présent n’est autre que Jérôme Fandor.

— Mais pardon, dit Nalorgne, l’individu dont nous avons le signalement et que nous connaissons d’ailleurs du nom de Jérôme Fandor ne ressemble pas du tout à Monsieur ? Jérôme Fandor est blond, il a une toute petite moustache, tandis que Monsieur est brun, très brun même.

— Imbécile, hurla Juve dont la lèvre écumait de rage, je vous dis que c’est Jérôme Fandor, je vous donne l’ordre de l’arrêter.

Depuis qu’il était à Saint-Martin, Juve s’était fait officiellement reconnaître par Nalorgne et Pérouzin, qui déjà, dans M. Ronier, avaient deviné le Roi des Policiers.

Nalorgne et Pérouzin, cependant, ne comprenaient pas, mais malgré eux, impressionnés par l’attitude du fameux inspecteur de la Sûreté, qu’ils savaient être si apprécié en haut lieu, ils se décidèrent à agir, d’autant que Fandor ne protestait pas, n’opposait aucune résistance.

Pour mettre sa conscience à l’aise, Nalorgne demanda une dernière fois à Juve :

— Alors, vous prenez la responsabilité de cette arrestation que vous ordonnez, monsieur Juve ?

— J’en prends la responsabilité.

Une seconde plus tard, Fandor avait les menottes.

— Où faut-il le conduire ? demanda Pérouzin.

— Immédiatement et sous bonne garde, dit Juve, à la prison de Cherbourg.

— Allez, en route, déclarèrent les deux hommes en posant leurs lourdes mains sur les épaules du journaliste.

Et celui-ci, qui jusqu’alors n’avait pas prononcé une parole, se demandant s’il n’était pas victime d’une hallucination, ne put s’empêcher de se tourner brusquement vers Juve :

— Enfin, Juve, pourquoi me faites-vous arrêter ?

— Il fallait, Fandor, pour t’empêcher de commettre le vol des papiers d’Hélène que t’ordonnait ton devoir, un cas de force majeure.

22 – FACE À FACE

— Jean ?

— Monsieur ?

— Jean, mon ami, vous allez sortir d’ici, sortir même très ostensiblement de la maison, vous irez ensuite… ma foi, je n’en sais rien. Ou plutôt si, je le sais, Jean, vous irez boulevard du Palais, vous entrerez au Café des Avocats, vous commanderez un bock, un apéritif à votre choix, puis, quand vous aurez fini de boire, vous recommencerez, mais au préalable vous aurez soin de dire à la caisse que si au téléphone on demande une personne nommée M. Jean, on vienne immédiatement vous chercher.

— Je ne comprends pas.

— Vous n’avez pas besoin de comprendre. Faites ce que je vous dis.

— Combien de temps faudra-t-il rester ?

— Jean, vous êtes décidément trop curieux. Quand vous aurez achevé votre verre, si le cœur vous en dit, prenez-en un autre, puis un troisième, en un mot, restez au café jusqu’à ce que vous ayez de mes nouvelles.

Le vieux Jean leva les bras au ciel.

— Monsieur est fou, murmura-t-il, de me faire sortir alors que nous venons à peine de rentrer, que depuis trois mois nous n’avons pas mis les pieds rue Bonaparte, qu’il y a un désordre de tous les diables dans l’appartement et une épaisse couche de poussière sur tout.

— Vous êtes un impertinent. Faites comme je vous dis. Toutefois, dès que je vous aurai téléphoné, vous vous précipiterez à la Sûreté et vous irez dire à M. Havard, de ma part : « Juve vient ». Non. Au fait, c’est inutile.

— Mais, qu’allez-vous devenir, monsieur Juve, pendant mon absence ? Il vous faudrait quelqu’un, si vous avez besoin de quelque chose ?

— Inutile, j’ai tout ce qu’il me faut, et d’ailleurs vous allez faire une chose. En partant, laissez la porte entrouverte.

— Pourquoi ?

— Parce qu’il est inutile que le visiteur que j’attends démolisse ma serrure. Allons, allons, Jean, dépêchez-vous, vous allez être en retard.

— En retard ? fit le domestique, je comprends de moins en moins.

— Moi, fit Juve, je sais qu’il est quatre heures et demie et que, par conséquent, j’éprouve dès maintenant un impérieux besoin d’être seul. Voulez-vous sortir, oui ou non ? Et n’oubliez surtout pas de sortir bien ostensiblement.

Seul désormais dans son appartement, étendu de tout son long sur le canapé-lit, Juve prêta l’oreille.

Soudain, il tressaillit. Un bruit. La porte communiquant avec son cabinet de travail, au milieu duquel il se trouvait, s’entrebâillait doucement. Juve tournait le dos à cette porte. Il devinait, mais ne pouvait apercevoir le visiteur.