« Trois fois, avec effort, en s'appuyant sur le coude, elle se soulève; trois fois elle retombe sur sa couche ; de ses yeux égarés elle cherche la lumière des cieux, et gémit de l'avoir trouvée. »
La mort de Didon est figurée sur une miniature du Virgile du Vatican, où on voit la reine couchée sur le lit qu'elle a fait dresser sur le bûcher et (jui tient encore l'épée qu'elle avait donnée à Enée et avec laquelle elle vient de se frapper (fig. 701).
La Sibylle de Cumes. — Enée, qui était parti secrètement pour obéir à l'ordre des dieux, essuya bientôt une nouvelle tempête qui le jeta sur les côtes de Sicile. Il y célébra des jeux en l'honneur de son père mort l'année précédente et se disposa ensuite à repartir. Mais les femmes froyennes, lasses de ses longues courses, incendièrent la plus grande partie de ses vaisseaux. 11 bâtit alors en Sicile une ville appelée Aceste, et y laissa les femmes, les vieillards et tous ceux qui refusaient de le suivre. Puis il se rembarqua sur les vaisseaux qui lui restaient, emmenant seulement avec lui l'élite de ses guerriers. Il arriva d'abord à Cumes et il interrogea la Sibylle qui lui enseigna le chemin des Enfers, où il descendit, après avoir trouvé le rameau d'or que la Sibylle lui avait commandé de cueillir pour en faire présent à Proserpine. Il y reconnut son père qui lui annonça les hautes destinées de ses descendants.
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Énée etTurnus. — Après une nouvelle navigation, Énée arriva sur les bords du Tibre, où le roi du pays, Latinus, le reçut avec amitié et lui offrit sa fille Lavinie en mariage. A cette nouvelle, Turnus, roi des Rutules, que la reine Amate, épouse de Latinus, avait flatté de l'espé-
Fig. 762. — Les vaisseaux d'Éuf'e changés en nymphes (d'après une miniature du Virgile du Vatican).
rance d'épouser Lavinie, prit les armes et entraîna plusieurs peuples voisins dans sa querelle, qui dura longtemps et se termina par un combat singulier dans lequel Turnus perdit la vie.
Pendant cette guerre, les vaisseaux d'Énée, attachés par la poupe aux rives du Tibre, furent changés en nymphes au moment où Turnus allait s'en emparer ou les brûler. Cybèle avait obtenu de Jupiter que les navires qui devaient porter les Troyens en Italie^ seraient métamorphosés en Néréides : elle s'y intéressait parce qu'ils avaient été construits avec les pins sacrés de l'Ida (fig. 762). D'ailleurs, les dieux qui avaient réglé les destinées de Rome, ne voulaient pas qu'Énée pût quitter l'Italie.
Nisus etEuryale. —Parmi les épisodes qui signalèrent la guerre des Troyens contre les Rutules, le plus intéressant est la mort de Nisus et d'Euryale. L'amitié qui unissait Nisus et Euryale était proverbiale en Italie, comme en Grèce celle qui unissait Oreste et Pylade. « Nisus, dit Virgile, avait suivi la fortune d'Énée : à ses côtés était Euryale, son compagnon, le plus beau parmi les guerriers de l'armée troyenne, enfant dont les joues laissaient a peine apparaître le premier duvet de la jeunesse. » Ces deux amis toujours inséparables s'égarèrent un jour dans un bois que l'ennemi cernait de toutes parts : des sentinelles gardaient toutes les issues. <( Cette forêt était toute hérissée de broussailles touffues et obstruée de ronces épaisses : à peine quelques rares sentiers s'ouvraient dans ces noires profondeurs. L'obscure épaisseur du feuillage et le poids de son butin embarrassent Euryale, que la frayeur égare bientôt
LA GUERRE Dli TROIE.
dans ces routes inconnues. Nisus, qui ne s'en est point apeirn, continue (le fuir : déjà il avait échappé à rennenii, et ga^né les lieu\ qui turent de[»uis appelés Albains, du nom d'Albe : le roi Latinus y avait alors do grandes métairies. Nisus s'arrête, se retourne, ne voit plus son ami. «Malheureux Euryale ! où t'ai-je laissé? où te chercher maintenant ? « il se jette aussitôt dans les détours embarrassés de cette pertide l'orèt, parcourt les sentiers déjà parcourus et les buissons silencieux. Il en-
Fig. 7()3. — iXisus et Euryalo (d'après un groupe de Roman, an musi'e du Louvre).
tend les pas des chevaux, le bruit des armes et les signaux des soldats. Bientôt un cri frappe ses oreilles : il voit Euryale, qui, trompé par la nuit et par les lieux, et troublé par une attaque imprévue, est tombé entre les mains de l'ennemi, qui l'entraîne malgré sa vaine résistance. Oue faire ? Quelle force, quelles armes peuvent leur arracher son jeune ami?... De tout l'effort de son bras, il lance un javelot qui fend les ombres de la nuit, et vient s'enfoncer dans le dos de Sulmon ; il s'y brise et le bois en éclats lui traverse le cœur. Sulmon tombe, saisi par le froid de la mort, au milieu du sang qu'il vomit, et son flanc palpite avec de longs murmures. Les Rutules regardent autour d'eux ; et tandis qu'ils s'agitent en tumulte, Nisus, encouragé par ce premier succès, lance un second trait, qui frappe Tagus aux deux tempes et se fixe en fumant au milieu de son cerveau. L'impétueux Yolscens, furieux de ne pouvoir découvrir d'où le trait est parti: « Eh bien! c'est toi, dit-il, qui
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« vas payer de Ion sang la mort de ces deux guerriers. '> Aussitôt, le fer eu niain, il fond sur Euryale. Nisus, éperdu, hors de lui, ne peut résister à sa douleur et s'arrache aux ténèbres qui le cachaient; il s'élance, il s'écrie : « Moi... c'est moi!... me voici! J'ai tout fait; tournez « vos armes contre moi... c'est moi qui suis le coupable : cet enfant n'a « rien pu, rien osé; j'en atteste ce ciel et ces astres qui le savent! il a (( seulement trop aimé son malheureux ami. » 11 dit, et déjà le fer poussé avec force a traversé les côtes d'Euryale, et brisé sa blanche poitrine : il roule expirant; ses beaux membres sont inondés de sang, et sa tète défaillante retombe sur ses épaules. Ainsi une lleur brillante, que la charrue a tranchée, languit et meurt; ainsi le pavot, alfaissé par une pluie violente, baisse la tête et se penche sur sa tige. Cependant Nisus se précipite au milieu des ennemis; il ne cherche que Volscens, c'est sur Volscens seul que s'acharne sa vengeance. On le presse de tous côtés : rien ne l'arrête : il fait tournoyer son glaive foudroyant, jusqu'à ce qu'il l'ait plongé dans la bouche du Rutule, ouverte pour crier, et ([u'il ait arraché en mourant la vie à son ennemi. Percé de coups, il se jette sur son ami expiré, et s'endort auprès de lui du paisible sommeil de la mort. » (Virgile.)
Un groupe sculpté par Roman, au musée du Louvre, représente la mort de Nisus et d'Euryale (fig. 763).
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Fig. 7()1. — La truie blanche (d'après une monnaie anti((uc).
La truie blanche. — Après bien des péripéties, Enée avait épousé Lavinie, et avait succédé à son beau-père Latinus. Son fils Ascagne fut le fondateur d'Albe-la-Longue, souche du peuple romain. Elle fut élevée à l'emplacement même où Enée et Ascagne avaient trouvé une truie blanche, conformément à une prédiction faite à Enée : « Lors-qu'errant, inquiet, le long d'un tleuve écarté, sous les chênes du rivage, tu verras une énorme laie blanche avec trente nourrissons pressés autour de ses mamelles, et blancs comme leur mère, là sera l'emplacement de ta ville et le terme assuré de tes travaux. » Cet incident est figuré sur tme nK'daille anti([ue (llg. 764).