Quand les dieux sont convoqués ils montent à cheval, traversent au galop Farc-cn-ciel, qui sert de pont entre la terre et les cieux, et s'assemblent pour délibérer, à l'ombre du frêne Ygdrasil, arbre sacré dont le feuillage s'étend sur l'univers entier comme un immense parapluie. Ce frêne est le premier et le meilleur parmi tous les arbres qui existent. Ses plus petites branches sont tellement grosses que quatre cerfs courent sur elles de front sans se heurter. 11 y a trois racines, l'une est au ciel parmi les dieux, la seconde tient à la terre, et la troisième descend jusqu'aux enfers. La racine céleste est placée au-dessus d'une fontaine sainte dont l'eau est si pure qu'elle blanchit tout ce qu'elle touche. Lcà vivent deux cygnes d'une blancheur éblouissante. Trois fées, Urda, Yérandi et Sculda (le présent^ le passé et l'avenir), habitent près de cette fontaine et sont sans cesse occupées à y puiser de l'eau pour arroser le frêne Ygdrasil, de crainte qu'il ne se dessèche. La racine qui plonge dans les enfers est sans cesse rongée parle monstrueux serpent Nidhogger, être malfaisant, toujours nourrissant des projets sinistres. Mais tous ses mouvements sont épiés par un petit écureuil qui, parcourant sans cesse l'arbre dans toute sa hauteur, rapporte les faits et gestes du serpent à un aigle divin placé au sommet de l'arbre.
Cependant la guerre n'était pas finie, car Loke, l'esprit des ténèbres, et roi des Alfes noirs ou génies malfaisants, voulait sans cesse troubler l'ordre de l'univers et ravir à Odin son trône de lumière. Les enfants de Loke sont Hela (la mort) et le terrible loup Fenris, qui à lui seul peut tenir tète à tous les Azes et aux Valkyries, vierges des combats, qui dans le Valhalla versent aux héros l'hydromel et la bière. Les guerriers d'Odin parvinrent pourtant a vaincre le loup Fenris, mais ils ne savaient comment le tenir, car ce loup était si fort qu'il rompait les chaînes de fer les plus solides et aucun corps n'était assez puissant pour le garrotter. Enfin les Azes pour l'enchaîner furent obligés d'avoir recours à l'industrie des Alfes noirs, nains malfaisants, mais très-habiles forgerons. Ceux-ci tressèrent ensemble le pas d'un chat, la barbe d'une femme, la racine d'un rocher, le soupir d'un ours et l'àme d'un poisson, et avec tout cela ils firent une corde si forte que le loup Fenris lui-même ne saurait en venir à bout. Mais pour la mettre au collier de Fenris il fallut user de ruse, car le loup se méfiait.
Pour vaincre ses scrupules, il fut convenu que Thor, le fils aîné d'Odin, mettrait comme gage, son propre bras dans la gueule de Fenris. Moyennant cela les Azes parvinrent à enchaîner le terrible loup, et ils firent passer la corde à travers un grand rocher plat, qu'elle traversait pour aller se perdre dans les entrailles de la terre. Fenris alors s'aperçut qu'il était prisonnier et que tous les efforts qu'il faisait pour se
dégager, ne servaient an contraire qn'à resserrer davantage ses liens. Il commença par manger le bras du pauvre Thor, ce qui ne l'avança à rien : aussi il entra dans une fureur si horrible, que l'écume qui lui sortait de la bouche forma le fleuve Wam (les vices).
Vaincu par la force, le méchant Loke ourdit des complots pour faire périr par la ruse Balder, le second fils d'Odin. Balder est l'Apollon Scandinave : il est le plus beau des Azes. Jeune, sage et éloquent, son visage étincelant projette de tous côtés des rayons de lumière. 11 est puissant parmi les dieux, et sa bonté l'a fait aimer de tous. Pourtant, un malheur le menace: sa mère Frigga le sait, et redoutant de funestes présages, elle fit jurer à tous les objets qui sont dans la nature, de ne pas prêter leur concours à la mort du jeune dieu. Les corps animés et inanimés, les végétaux et les minéraux, le feu et l'eau jurèrent de respecter les jours de Balder, et mainte fois dans les exercices du Walhallaon fut à même de vérifier s'ils tenaient leur serment, car Balder se sachant invulnérable offrait lui-même sa poitrine aux jeux des convives, et ni le fer, ni aucune arme, si effilée qu'elle fût, ne consentait à lui faire du mal.
Pourtant quand Frigga avait fait prêter sermentaux plantes, elle avait oublié le gui, et Loke. le méchant Loke, était informé de cela. Loke tailla donc un morceau de gui, et le mêla parmi les autres objets avec lesquels on jouait. Un jour l'aveugle Hoder, ayant pris ce gui, le lança contre la poitrine de Balder, qui reçut le coup du gui, contre lequel il n'était pas invulnérable, et expira sur-le-champ. Tous les dieux pleurèrent : Nanna, la femme de Balder, mourut de chagrin et on fit un magnifique bûcher sur lequel on brûla leurs deux corps.
Les Azes étaient inconsolables de la mort de Balder, et l'un d'eux, Hermode, résolut d'aller aux enfers voir s'il n'y aurait pas moyen d'en ramener Balder ; Héla consentit à le rendre si tous les êtres de la créa-sion versaient une larme sur lui. Pour rendre Balder à la vie, il n'est pas une créature animée ou inanimée qui n'aurait volontiers donné toutes ses larmes ; mais Loke prit la forme d'une magicienne, et refusa de pleurer, de sorte que Balder resta })armi les morts. Ainsi flit rendu inutile le généreux effort d'Hermode^ et la larme que toute la nature avait donnée à Balder.
La grande guerre des esprits malfaisants contre les Azes doit un jour recommencer et le méchant Loke en sortira victorieux. Le loup Fenris délivré de ses chaînes dévorera-Odin, et Thor succombera sous l'haleine empoisonnéedu grand serpent frère de Fenris. Alors la terre s'enfoncera dans rOcéan, les astres s'éteindront et il y aura la nuit partout. Quand tout sera détruit, le Dieu tout-puissant formera un nouvel univers, et rapj)(>llcra Odin, Balder et tous les Azes qui reprendront leur place dans le palais de lumière et régneront éternellement sur les justes.
FIN.
APPENDICE
Le titre seul de ce volume indique suffisamment que le but de Fauteur n'a pas été de faire de l'exégèse religieuse. M. Ménard n'a pas eu d'autre intention que de montrer la mythologie dans ses rapports avec les arts plastiques. Aussi s'est-il enfermé résolument et de parti pris entre deux dates significatives : Pisistrate et Marc-Aurèle. 11 ne s'inquiète pas de ce qui précède ; il ne s'occupe pas de ce qui suit. Il se contente d'aller d'une de ces dates à Tautre, exposant le plus brièvement possible, et la plupart du temps par des citations textuelles des poètes grecs et latins, les mythes qui ont inspiré les artistes anciens et modernes, et rapprochant de ces mythes les œuvres sculptées et peintes qui en sont nées. Le plan suivant lequel il les dispose est simple, clair, méthodique. Quant au sens plus ou moins caché de ces mythes, à leurs origines et aux interprétations diverses qui en ont été tentées dans les temps postérieurs, il ne s'y est pas arrêté, ne voulant pas embarrasser son travail de questions qui n'avaient pas un rapport nécessaire avec celle qu'il s'était proposé de traiter. « L'étude de la mythologie, dit-il lui-même dans les premières pages de son livre, peut se faire de différentes manières selon le but qu'on veut atteindre. Si l'on se propose de rechercher le sens des symboles religieux, on doit toujours remonter à leur origine, et les documents les plus anciens sont nécessairement les meilleurs, parce que ce sont eux qui peuvent éclairer sur la filiation des races et la souche commune des
traditions La mythologie artistique se place sur un terrain tout à fait
différent; ce ne sont pas les origines qu'elle prend pour objectif, ce sont les résultats. Elle ne s'informe pas des croyances qu'avaient les guerriers du temps d'Homère ou les bergers contemporains d'Hésiode; elle recherche quelles idées pouvaient avoir les hommes qui fréquentaient l'atelier de Phidias ou de Praxitèle. De même pour les traditions en dehors de la Grèce, c'est au moment de leur virilité qu'elle les prend, non à leur point de départ. Pour nous, la mythologie classique commence à Pisistrate et finit à Marc-Aurèle : avant Pisistrate, l'Olympe grec n'a pas encore pris place dans l'art, et les mythes sont en voie de formation. Après Marc-Aurèle, les mythes païens sont en décomposition, et l'art ne trouve plus d'inspiration dans l'Olympe délaissé. Dans la période même où nous avons circonscrit notre travail, il fallait faire un choix, caries légendes sont très-multiples; elles varient suivant les localités où elles se sont produites, et les poètes racontent l'histoire des dieux d'une manière très-différente. Dans un livre d'érudition, il aurait fallu opposer une tradition h une autre et signaler partout les con-