tradictions ; mais ce système aurait jeté dans notre travail une confusion tout h fait inutile. Nous ne nous piquons pas d'impartialité, et iious sommes toujours du parti des sculpteurs; s'il y a deux légendes contradictoires sur le même dieu, nous adoptons de parti pris celle qui figure le plus communément dans les bas-reliefs. Comme l'imagerie est toujours l'expression fidèle des sentiments populaires, nous sommes certain qu'ils traduisent la croyance du temps où ils ont été faits. »
Nous croyons, comme M. Ménard, que le plan choisi par lui est en effet le seul qui convînt au but qu'il se proposait.
Cependant il présente par un côté un inconvénient qui a une certaine gravité. Les personnes qui ont été dès leur enfance familiarisées avec les mythes anciens par la lecture des poètes, n'y trouvent plus rien qui les étonne ni qui les choque. Sans même en démêler bien nettement le sens, l'habitude suffit pour en masquer les bizarreries. Mais l'effet est tout différent sur les autres. Mettez entre les mains de personnes étrangères aux études classiques une traduction des Mélamorphoses d"Ovide, par exemple, puis interrogez-les sur cette lecture. Vous pourrez vous convaincre que, dans la plupart des cas, ces fictions, qu'on est convenu de considérer comme pleines de poésie, sont surtout, pour qui n'y est pas habitué, des imaginations singulières remplies d'invraisemblances et de puérilités. De là à les trouver ridicules et indignes d'occuper l'attention d'un homme intelligent, il n'y a qu'un pas. Il est bientôt franchi, et l'on arrive presque forcément à celte conclusion, que, malgré leur poésie et leurs arts, les anciens étaient après tout assez peu exigeants en fait de croyances, et que cette civilisation tant vantée avait plus d'apparence que de réalité. Comment admettre en effet que des hommes raisonnables aient pu se satisfaire de tous ces contes fantastiques et aient soumis leur raison à des conceptions aussi parfaitement inintelligibles?
Cette contradiction a de tout temps (I) frappé les hommes qui se sont appliqués à la mythologie. Mais, lorsque aux premiers siècles du christianisme, les prédicateurs de la doctrine nouvelle se firent une arme de l'absurdité de ces fables, c'est alors surtout que les défenseurs des vieux cultes s'efforcèrent de ramener tous les mythes à des interprétations morales et métaphysiques. Homère, Hésiode et tous les poètes théologiens de la Grèce antique devinrent, entre les mains des commentateurs, des sages uniquement occupés à envelopper de voiles plus ou moins transparents les enseignements d'une doctrine secrète, qui ne se révélait qu'à ceux dont l'esprit était assez pénétrant pour atteindre sous les apparences grossières les leçons divines qu'elles contenaient.
Celte prétention d'expliquer les mythes par des allégories volontaires et laborieusement calculées a eu des partisans jusque dans les temps modernes.
(1) Anaxagorc, au cinquième siècle avant Jésus-Christ, voit dans les poèmes d'Homère une explication voilée des vérités de la physique et de la morale. Pindare, à la mC>me époque, considère les mythes comme de pures fictions dont l'invention appartient aux poètes. Les stoïciens y cherchent la confirmation de leurs doctrines théologiques.
D'autres, à la suite d'Evhémère, tentaient de démêler sous les fables des faits réels et transformaient tous les dieux du panthéon grec en autant de rois, princes ou héros, divinisés par la reconnaissance, l'admiration ou la crainte publiques.
Mais elle avait le torl grave d'attribuer à la première antiquité des connaissances qui lui manquaient nécessairement. On arriva d'ailleurs h se demander quel intérêt pouvaient avoir les sages de ces époques reculées à dissimuler ainsi leur science, à tromper leurs contemporains, à parler pour n'être pas compris.
Cette objection sans cesse répétée, et à laquelle il était bien difficile de faire une réponse satisfaisante, finit par ruiner la base de l'école allégorique. On chercha ailleurs un point de départ plus philosophique. On le trouva dans le principe môme du rationalisme.
Étant admis que la raison contient de toute éternité le dépôt des vérités universelles et nécessaires, et que l'efTort de l'intelligence humaine se borne à comprendre, à élucider et à préciser de siècle en siècle les enseignements immuables contenus dans cette révélation primitive et permanente de la sagesse divine, on arrivait à cette conclusion, que les différences apparentes des civilisations successives se bornaient uniquement à des divergences de forme dans l'expression des idées, mais que sous ces symboles divers la raison devait forcément se retrouver identique à elle-même, si l'on savait les interpréter convenablement, de même que dans le langage des premiers hommes la science découvre le germe de toutes les idées postérieures et que dans les instincts et la pensée obscure de l'enfant, il est possible, avec un peu de sagacité, de pressentir l'homme tout entier.
Ainsi se forma l'école symbolique qui apporta dans ses recherches une conviction, une ardeur et une érudition des plus méritoires et des plus consciencieuses.
Mais à ce moment-là môme pénétraient en Europe les premiers monuments du sanscrit, l'antique langue sacrée des Aryas. En traduisant les Védas, on ne tarda pas à se convaincre, par des analogies de vocabulaire et de grammaire, que cette vieille langue supposait elle-même une langue plus ancienne, d'où étaient sortis le latin, le grec et la plupart des idiomes de l'Europe. De cette observation et des comparaisons qui en furent la suite résulta la preuve que tous les peuples qui parlaient ces idiomes étaient ou les frères ou les fils des antiques Aryas, et la philologie comparée, qui avait été jusqu'alors un pur jeu d'esprit, sans méthode et sans direction, prit subitement parmi les sciences une place considérable.
11 ne faudrait pourtant pas s'exagérer son importance relativement à ces questions. 11 est bien certain que l'identité des mots employés pour exprimer des idées différentes a eu une influence sur la constitution des mythes. Ainsi pour prendre un exemple, la racine sanscrite gu signifie marcher. 11 est tout simple qu'on l'ait appliquée aux nuées qui marchent et qu'on les ait appelées gavas. Mais comme le même mot en sanscrit signifie vaches, et que ce sens a fini par devenir spécial au mot go, il est résulté de cette confusion une foule de mythes où les nuées sont représentées comme un troupeau de vaches.
De mèvciQ ijarvala, adri, gin, açman s'appliquent aux nuages et aux montagnes.
En grec [xrlXov signifie chèvre et pomme ; aiicw, s'élancer, se dit également de la chèvre bondissante et de l'éclair qui jaillit de la nue. De là, une
foule (Je confusions et d'identili(Mlions qui nous paraissent étranges et qui s'expliquent parla philologie.
Mais il reste une difficulté. Pourquoi les mêmes mots pour désigner des objets aussi différents? Outre les confusions de légendes quien sont résultées, ne faut-il pas tenir compte aussi des confusions d'idées qui ont accumulé dans un même terme ces significations diverses? Eu somme, les mots expriment la pensée. Si parvata signifie nuage et montagne, c'est évidemment parce que les Aryas ont été frappés de certains rapports de similitude. Si le même terme désigne la vache et la nuée, est-ce seulement parce que l'une et l'autre se meuvent? N'y a-t-il pas entre la nuée qui donne l'eau fécondante et la vache qui produit le lait d'autre similitude que celle du mouvement? Mais le même terme s'applique également à la lumière du soleil, aux libations du sacrifice. 11 y a dans tout cela autre chose que des hasards de formations verbales, il y a des intentions, des métaphores évidentes, par conséquent des intentions, qui procèdent d'un état mental que la philologie néglige trop souvent.