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Tous ces êtres étaient supérieurs à l'homme, puisque Ihomme n'avait aucun moyen de les contraindre. Mais la fréquence même des luttes prouvait suffisamment que la victoire n'était jamais définitive, et la question était de savoir laquelle des deux puissances finirait par l'emporter.

Aussi, pouvons-nous difficilement nous faire une juste idée des inquiétudes qui devaient torturer ces populations pastorales pour qui les ténèbres étaient d'autant plus terribles qu'elles n'avaient pour les écarter que des moyens bien insuffisants, et que la nuit les exposait presque sans défense aux attaques des tribus sauvages et des bêtes féroces, que leur imagination tourmentée transformait en émissaires et en instruments des démons nocturnes. La pensée que la destruction des puissances lumineuses pouvait d'un moment à l'autre les livrer à la merci des puissances contraires ne leur laissait aucun repos.

Nous trouvons quelque chose d'analogue dans les terreurs qui ont signalé l'approche de l'an mil, que d'anciennes croyances marquaient comme le terme assigné à l'existence du monde. Cette préoccupation constante et générale de la destruction prochaine a laissé dans l'histoire des nations européennes une trace profonde. C'est elle qui explique en partie l'affaissement moral qui a suivi le règne de Charlemagne. Deux siècles après l'an mil les âmes n'étaient pas encore parvenues à se ressaisir complètement, et l'épouvante n'élaitpas entièrement dissipée (1).

(1) C'est cette terreur de la destruction qui explique l'importance que prit Satan dans la théologie vulgaire, et le culte même qu'on lui rendait souvent. Beaucoup de gens adoraient le Diable dans l'espoir de se le rendre .moins cruel. C'est par la même raison que les cuites primitifs ont été partout si féroces et si sanguinaires. On tâchait de désarmer les divinités ennemies par des offrandes qu'on croyait appropriées à leurs exigences. Les sacrifices humains n'ont pas d'autre raison d'être. Mais partout ce culte s'est adouci à mesure que par l'habitude et l'amélioration des conditions vitales la crainte a diminué.

Ce culte des divinités cruelles, telles que Baal-Moloch, Melcarth, etc., a subsisté longtemps chez certains peuples. Celui de Cijhèle et d'Astarté rappelle par quelques traits une conception analogue. Cybèle, la déesse des montagnes, — [i-rirr^p ôçiix ou ISai'a — aime le bruit des cym-baies et le rugissement des lions qui la traînent; elle porte sur le front une couronne de tours ; on l'adore dans les antres et dans les cavernes, et ses prêtres accompagnent son char, en sautant, en criant, en agitant des torches enflammées. Ces traits et bien d'autres nous r;.-mènent à la personnification de la nuée orageuse, qui tourbillonne dans l'air en portant le tonnerre et l'éclair. Les Aryas comparent sans cesse les nuages à des lions rugissants. Héraclès étouffe le lion de Némée, et s'enveloppe dans sa peau. Eros — Agni enfant — est représenté monté sur un lion qu'il dompte. Ils en font également des montagnes, des cités aériennes, des cavernes pleines d'eau, et ces trois assimilations expliquent également les attributs de Cybèle. La persistance du culte de la nuée se comprend du reste facilement dans des contrées où la pluie était toujours désirée. C'est par ce caractère que l'idée qui avait donné naissance au culte de Cijbèle et àWslmté a fini par se confondre avec celle de fécondité, et que ces divinités ont été identifiées avec Dèmèter. On trouve dans le Rig-Véda un certain nombre d'hymnes consacrés à célébrer les bienfaits de la nuée et à l'invoquer. Voir particulièrement section VIII, lecture 7, hymne 4. (Traduction de Langlois.)

On conçoit que dans de pareilles conditions, la grande préoccupation des Aryas ait été de concourir de toutes leurs forces au triomphe des divinités lumineuses. C'est pour cela que le sacrifice du matin est devenu chez tous les peuples adorateurs de la lumière la partie essentielle du culte. C'est là, autour du foyer sacré, que se sont formés un à un les mythes qui se rapportent à la lutte de la lumière et des ténèbres. C'est laque nous allons, nous aussi, en rappelant les traits principaux de ces cérémonies et sans entrer dans les détails qui sont infinis, chercher l'histoire et la signification de celles de ces légendes qui se retrouvent dans la mythologie grecque et latine.

Les dieux de cette époque n'étaient pas encore de purs esprits. Quelle que fût la supériorité de leur puissance, comparée à la faiblesse humaine, elle ne s'exerçait pas par d'autres moyens. De môme qu'ils avaient les passions de l'homme, ils en éprouvaient les besoins. Sujets h la fatigue, à la soif, à la faim, il leur fallait, pour réparer leurs forces, se reposer, se désaltérer, se nourrir. C'était là l'objet propre du sacrifice. L'homme nourrissait les dieux qui combattaient pour lui, et s'il offrait trois sacrifices par jour, le malin, à midi, le soir, c'est qu'il croyait que ces dieux avaient besoin, comme lui-même, de prendre trois repas.

Cette idée est très-fréquemment exprimée dans les hymnes védiques. « Indra et Vayou, c'est pour vous que sont ces libations; venez vous fortifier des mets que nous vous offrons ! Voici les boissons qui vous attendent. » [Big-Véda, sect. 1, 1, I, h. 11, v. 4.) — « 0 Indra, reçois dès le matin le soma, avec ces beignets, ce plat de lait caillé, ce gâteau et ces hymnes. » [Rig.-Véda, sect. III, 1. 3, h. i;^, V. 1.) — « La force de ceux qui combattent pour nous leur vient du sacrifice. Que l'offrande soit chauffée et macérée avec soin. » {Rig.-Véda, sect. III, 1. 6, h. 6, v. 5).

Le matin, avant le jour, chaque père de famille devait avec tous les siens se rendre sur une éminence, sur un tertre naturel ou artificiel, où était établi le foyer sacré, formé lui-même d'un massif de terre carré, et que protégeait contre l'approche des animaux impurs vme palissade de pieux fichés en terre. Toute la famille ou la tribu se rangeait en face du foyer, qui était placé sur le point culminant de l'éminence et se disposait de manière à avoir devant les yeux à la fois le foyer et la partie du ciel où devait se montrer le soleil, c'est-à-dire l'orient. Chacun avait son rôle dans la cérémonie. Les uns apportaient le bois qui devait former le bûcher, l'he'rbe sèche sur laquelle on devait recevoir les premières étincelles du feu naissant; les autres se chargeaient des offrandes et des instruments du sacrifice, le soma (1), le beurre clarifié, le caillé, les gâteaux, les coupes, les cuillers, etc. Quand le moment était venu, — il était marqué par la disparition de certaines étoiles — quand tout était disposé suivant les rites et que chacun avait pris sa place, l'officiant prenait Varani (2), agitait le pramanfha, et mettait le feu au bûcher. Un autre au

(1) Le soma était une liqueur alcoolique que l'on obtenait par la fermentation du suc de YAsclepias acida, et que l'on versait sur le foyer pour activer la flamme.

(2j Vavnni était l'instrument qui servait à allumer le feu. Il se composait de deux pièces de bois disposés en croix, que l'on fixait par un clou :\ chacune des quatre extrémités. Au point

même moment entonnait un des hymnes dont le recueil constitue les Védas. C'était un appel aux divinités lumineuses, qu'on suppliait de venir prendre part au sacrifice, afin de puiser dans les libations sacrées les forces nécessaires pour la grande lutte. En même temps, on versait sur le bûcher le beurre clarifié et le sûma qui s'enflammaient en lançant dans l'espace des lueurs immenses.

Les dieux, comme on pense, ne manquaient jamais de répondre à ces appels. Pendant que l'officiant chantait 1 hymne, on voyait d'abord le ciel blanchir à l'horizon. C'étaient les Asiuins, personnifications des crépuscules du matin et du soir, qui faisaient leur apparition, apparition rapide, car dans ces climats le crépuscule dure peu. C'est pour cela qu'on les appelait les cavaliers — cmca, cheval —. On les nommait encore les médecins, parce que leur venue guérissait les hommes de leurs (erreurs, et en particulier de la cécité dont les avaient affligés les ténèbres. On les représente encore fendant la me)'céleste sur un vaisseau animé, comme VArgo des Grecs. C'est ainsi qu'ils sont devenus les protecteurs des marins.