Mais sans nous arrêter à cette conception qui a abouti de nos jours à la grande théorie de l'équivalence mécanique de la chaleur,^nous devons nous borner à constater ([n'Agni est devenu pour les Aryas le dieu suprême. Quelques citations prises au hasard entre mille en donneront la preuve.
« Agni, tu es le dieu des dieux. » {Rig-Véda, s, I, 1. 6, h. 14, v. 13.) « 11 donne la vie et la force. Tous les êtres, les dieux mêmes sont soumis à sa loi. L'immortalité et la mort ne sont que son ombre. Il a tout créé, il remplit tout. La terre et le ciel ont frémi du désir de le voir. Parmi les dieux, il est le dieu incomparable. » {Rig-Véda, s. VIII, 1. i, h. 2, v. 2, 3, 4, 5, 6,8.)
De toutes les divinités lumineuses, Agni est celle qui naît la première, puisque le feu du sacrifice était allumé avant l'apparition du jour. De là l'épithôte de « premier-né » {Rig-Véda, s. V, 1. I, h. 12, v. 1) qui lui est donnée souvent. Ce n'était d'abord que la constatation d'un fait; plus lard ce fut un titre à la suprématie. Du reste cette naissance (VAgni est un des points sur lesquels s'est le plus exercée l'ingéniosité des Aryas.
L'existence du feu dans le ciel leur était démontrée par la foudre, par la chaleur du soleil. On conçoit leur étonnement de retrouver ce même feu céleste dans deux morceaux de bois frottés l'un contre l'autre. Ils découvrirent bientôt l'explication de ce mystère. Le feu céleste, représenté tantôt par Savitri, tantôt par Som^ya, a déposé dans VA7'ani un germe de lui-même ; Agnicsi donc fils du ciel. Mais en même temps il estfils de Manon, l'homme (1),
\\) Le sage père Alla (la Terre) voulant produire celui qui fait réclat du sacrifice, a dit :
puisque c'est par le frottement des deux pièces de VAram, que le sacrificateur lui donne naissance. On le considère aussi comme lils de Tivachtri, le dieu ouvrier, qui a fabriqué ÏArani. Mais bientôt par son identification avec la lumière elle-même, avec Savitri, avec Soun/a, avec Indra, Agni devint son propre père. Cette idée n'est qu'indiquée dans les Yédas, mais elle s'exprime sous des formes qui, pour être indirectes, n'en sont pas moins curieuses. Une première Triade védique nous montre Agni, naissant de Savitri ou de Sourya, dans le sacrifice, par l'opération de Vayou, le vent, le souffle qui servait à allumer les herbes sèches sur lesquelles on recevait l'étincelle de YArmn. Mais cette triade d'/4.9?i« enfant fait place à une autre conception qui revient sans cesse, c'est la triade à'Agni, Vagou et Sourga ou Saviùi, considérés comme identiques. Et en effet, sous ces trois noms, il s'agit toujours du même dieu. Agni, c'est le feu sur la terre, dans le foyer ; Vagou, comme Boudra, représente le feu dans le nuage; Sourga ou Savitri, le feu dans le ciel, dans les astres. Cette triade se ramène donc d'elle-même à l'unité par l'identité du feu avec lui-même, quelque demeure qu'on lui attribue.
L'hymne suivant résume à peu près tous les caractères à.'Agni : « Agni, tu es pour les hommes pieux le généreux Indim, tu es l'illustre Vichnou, toujours adorable; tu es le pontife opulent, le maître de la chose sacrée, le soutien de tous les êtres, le compagnon de toutes les prières. Agni, tu es le royal Varouna {Ouranos, le ciel étoile), tu es Mitra, si ferme dans ses œuvres, secourable et digne de nos chants; tu es Aryaman, le maître de la piété (une forme du soleil); dans le sacrifice tu es, ô dieu, un bienfaiteur. Agni, tu es Twadilri; les l'rières sont tes épouses, et ton serviteur trouve en toi un ami puissant, un parent fidèle qui fait sa force. Agni, tu es Roudra, qui règne dans les airs et qui donne la vie; tu es la force des Marouts et le maître des offrandes. Tes coursiers rougeàtres sont aussi rapides que le vent. En toi réside la prospérité, tu es Pouchan. Agni, pour l'homme qui t'honore, tu es Dravinodas. Tu es le divin Savitri et l'auteur de toute opulence. Roi des hommes, tu es Bhaga. Tu es le maître de tout; tu es le fils de celui qui t'adore; tu es Ribhou, vénérable et vivant près de nous; tu es/If////pour ton serviteur; iu es ffotra, tues Bhnrati; tu es l'éternelle lia pour nous combler de biens. Maître de l'opulence, tu as donné la mort à Vrifra, et tu es Sarasicati. Prudent Agni, tu es les Adiiyas. Les dieux ont emprunté ta bouche et ta langue ; c'est par toi que dans les sacrifices ils reçoivent les offrandes; c'est par toi que les dieux mangent les holocaustes (1). Tu produis les plantes, dont tu portes en toi le
« QxiAgni devienne par ma fille mon petit-flls. -> Et aussitôt dans le soin de cette fille, par la vertu d'un père aussi puissant, la libation est devenue féconde.
{Ruj-Véda, s. III, 1. 2, li. 2, v. I.) (I) Cette conception se trouve reproduite dans un bas-relief grec que M. Aléiiard a donné. Un serpent enroulé autour de l'arbre aux pommes d'or, boit dans une coupe que lui présente une femme. Un certain nombre de divinités sont autour et cueillent des fruits de l'arbre. L'auteur a voulu sans doute représenter la légende du dragon dos Hespérides. Or, cette légende peut s'interpréter de deux manières différentes. Dans la première, la plus généralement admise, les pommes d'or représentent la lumière cachée par le démon de la nuit ou l'eau dérobée par le nuage. Hérndè'!, le feu du sacrifice, les enlève au dragon et les restitue aux hommes. Pour moi, j'incline à voir dans l'arbre aux pommes d'or, avec le serpent qui l'entoure, le sacrifice lui-même. Le serpent représente le feu qui s'attache au bois du bûcher et qu'alimentent les
germe. Généreux Agni, parmi tous ces dieux que tu rassembles, lu excelles, tu domines avec majesté. Agni, tu nous conduis vers le bonheur, nous et les chefs de familles qui donnent à tes chantres d'excellentes vaches et de beaux chevaux. » {Hig- Véda, s. II, 1. 5, h. 9, v. 3 à 16.)
On voit qu'en somme les mythes d'Agni et de Soma se touchent et se res-temblent par bien des points.Par la môme raison Dionysos ou Bacchus, tout en se rattachant plus directement à Sonia par la plupart de ses caractères, par quelques autres se rapproche singulièrement d'Agni. On peut en dire autant d'Héraclès. Il est facile d'y reti'ouver les traits principaux de la légende d'Agni; mais il est certain que quelques-uns de ces traits pourraient à la rigueur s'expliquer parcelle de Soma ou même d'une divinité solaire. Ces confusions sont du reste faciles à comprendre, puisqu'elles existent dans le Véda lui-même. Agni ai Sonia sont expressément unis et confondus dans un grand nombre d'hymnes; quant à l'identification de ces deux divinités avec le soleil et la lumière, elle résulte naturellement de ce fait que le feu du sacrifice finit par être considéré comme le feu universel.
Héraclès —ïjpaç xXéoç, la splendeur de l'air — est fils dWlcmène et reçoit le nom d'Alcide. Il est à remarquer que ces deux noms se rattachent h la racine àXxYi, force, ce qui nous rappelle l'épithète d'Enfant de la force donné à Agni. L'histoire même de la naissance d'Héraclès nous ramène au mythe d'Agni. Agni purnil naître sur la terre d'un père et d'une mère mortels, VArani ci Manon, l'homme qui agite le pranian'/ia. Mais en réalité son père est Sourija ou Savitri, la lumière céleste, qui a déposé le germe invisible dans le bois, d'où le frottement ne fait que le dégager. De même Héraclès, qui passe pour le fils dWniphitryon, est en réalité celui de Zens. Mais s'il est divin par son père, il n'en reste pas moins humain par sa mère, et c'est grâce à ce caractère qu'il appartient à la classe des dieux médiateurs, dieux et hommes à la fois, comme l'est primitivement Agni.