« 0 Saraswati, qui composes pour nous la prière. » [Rig-Véda, s. II, 1. 5, h. 11, V. 8.) « 0 divine Sai'aswati, gardienne de la prière et maîtresse de l'abondance, sauve-nous en pourvoyant à notre existence. » [Rig-Véda, s. IV, 1. VIII, h. 14, v. 4.) « 0 le premier des êtres parlants, ô la meilleure des
mères et des déesses, ô Saraswafi, nous sommes comme des gens maudits. 0 mère, donne-nous ta bénédiction! » {Rïg-Véda, s. II, 1. 8, h. 5, v. 16.) a Que Saraswati, qui remplit de ses rayons les espaces du ciel, de la terre et de l'air, nous protège contre Tennemi. » [Ri/j-Véda, s. IV, 1. 8, h. 14, v. 11.) « Saraswati^ toi qui purifies, ô toi, trésor de la prière! C'est Saraswati qnl inspire les paroles saintes, elle exprime les bonnes pensées. » [Rig-Véda, s. I, 1. 1, h. 111, V. 10 et 11 ) «Au moment où s'opère la séparation du ciel et de la terre, que la grande Prière consolide l'univers qui s'agrandit. » [Riy-Védn, s. III, 1. 2, h. 2, Y. 13.)
Enfin la parole sainte,— vâk, vox —l'hymne, finit logiquement par prendre la tète de la hiérarchie divine : « Je marche avec les Roiub-as, les Vasous, les Adùyas, les Vt'swadevas. Je porte Mùj'a et Vai'ouna, Indra et Agni^ les deux Aiwins. Je porte le redoutable Soma, Twachtri, Pouchan, Bhaga. J'accorde l'opulence à celui qui honore les dieux par l'holocauste, la libation, le sacrifice. Je suis reine et maîtresse des richesses ; je suis sage ; je suis la première de celles qu'honore le sacrifice. Ainsi me connaissent les Dévas qui m'ont donné un grand nombre de demeures et de sanctuaires. Celui qui voit, qui respire, qui entend, mange avec moi les mets sacrés. Les ignoranfs me détruisent. Ami, écoute-moi, je dis une chose digne de foi. Je dis une chose bonne pour les dieux et pour les enfants de Manou. Celui que j'aime, je le fais terrible, pieux, sage, éclairé. Pour tuer un malfaisant ennemi, je tends l'arc de Roudra. Je fais la guerre à l'impie. Je parcours le ciel et la terre. J'enfante le Père. Ma demeure est sur sa tête même, au milieu des libations sacrées, dans le réservoir des eaux saintes (le Samoudra). J'existe dans tous les mondes et m'étends jusqu'au ciel. Telle que le vent, je respire dans tous les mondes. Ma grandeur s'élève au-dessus de cette terre, au-dessus du cirl même. » {Rig-Véda, s. VIII, 1. 7, h. 6, v. 1 à 8.)
« Je suis grande, plus grande que tout ce qui est grand. » [Rig-Véda, s. VIII, 1. 8, h. 3, V. 3.)
Il y a dans toutes ces évolutions une logique secrète, qui guide les hommes à leur insu. Lorsque le culte du feu est devenu prédominant, Agni n'a pas été du premier coup élevé à la souveraineté ; il a eu pour précurseur Soinn dont les effets dans le sacrifice avaient frappé les yeux des Aryas. Mais cette splendeur, Soma ne la devait qu'au feu qui le consumait, et dont il ne faisait que révéler la puissance. La royauté de Soma eût été une erreur et une usui--pation. Ainsi ne tarde-t-il pas à céder la place à Agni, qui règne et domine pendant une longue période, dont il est impossible d'apprécier, même approximativement, la durée.
Puis un nouveau mouvement se produit. De même que la flamme du sacrifice semble illuminer tous les mondes, parce que le soleil paraît pendant qu'il brille, on arrive peu h peu à remarquer que cette transformation s'opère pendant la récitation de l'hymne sacré. Les dieux ne font que répondre à son appel, et ils y répondent toujours. La puissance de l'hymne est donc incontestable, et la régularité môme de son effet devait à la fin la faire paraître souveraine (1). C'est ce qui est arrivé. Nous venons de voir dans le Véda s'ac-
'Ij Certains rliythnies ou mètres ont une puissance i).irticulièi'0. Dans un comnientairi; du
ciiser cette conception. Saraswali .s'élève progres.'sivement au bomniel de la hiérarchie hindoue, mais elle ne s'y établit pas définitivement, non plus que Sonia. Elle ne fait que préparer la voie à Brainna, qui n'est pas seulement la prière, mais la panjle et par suite le sacrifice môuie dont elle constitue la partie essentielle.
Cette distinction est plus f^ravc qu'on ne pourrait le croire ;\ première vue. La royauté de Saras/vati pouvait à la rigueur s'accommoder des anciens usages, qui donnaient au père de famille la présidence du sacrifice. Tant qu'il ne s'agissait que de la prière, de l'hymne abandonné à l'inspiration individuelle, tout homme pouvait invoquer les dieux et les api)elcr à venir combattre le grand combat.
Mais peu à peu, par le fait seul de la durée et de la dilliculté croissante de trouver indéfiniment des chants nouveaux pour des circonstances qui se reproduisaient toujours les mêmes, la réglementation s'introduisit dans la cérémonie sacrée. Les rites s'imposèrent aux actes et aux paroles et pénétrèrent jusque dans les moindres détails. Il fallut suivre dans les actes, dans les mouvements, dans les gestes, un ordre déterminé, sous peine de vicier le sacrifice. La récitation de l'hymne fut astreinte aux mêmes obligations. Les mètres, les intonations se diversifièrent à l'infini, et la liturgie devint une science obscure et compliquée, qui exigea des études spéciales et fort longues (1).
Cette conséquence dériva tout naturellement de l'usage qui s'était introduit peu à peu, de remettre la célébration du sacrifice à des hommes, qui après avoir été les auxiliaires du père de famille, finirent par former une classe particulière. Celle-ci se transmit de génération en génération, comme une sorte de propriété particulière, la science sacrée, et par là même la poussa jusqu'à des complications infinies. Ainsi se forma le sacerdoce aryen.
A mesure que cette classe croissait en nombre et en influence, par le fait qu'elle était seule en possession des traditions nécessaires, les pères de famille devenaient de plus en plus incapables de célébrer eux-mêmes le sacrifice. Ils finirent par y renoncer complètement.
Sâma-Véda, le Pancavinçati (xiii, 5, 22), nous lisons à propos du mètre, ^-ipelé ladastob/ia . « /?îrfra lança sa foudre contre Vritra; mais celui-ci s'y enroula seize fois. Alors hulra aperçut ce padastobha, avec lequel il le fit prisonnier. «
C'est par la même raison que dans les hymnes védiques le nom à'Indra est quelquefois remplace par une autre personnification, qui est un acheminement à la conception de Brahma. Ce nom est celui de Brihaspati, le dieu de la prière.
(1) Nous voyons déjà dans les Védas l'emploi de certaines formules consacrées, de certains mots qui devaient être prononcés d'une façon déterminée ; « Par cinq degrés je monte vers vous ; quatre pieds soutiennent ma marche ; je profère la syllabe sacrée omn et je purifie mon hymne au sein de Rita. »{Riy-Véda, s. V, 1. 6, h. 8, v. 3.) « Ayni, sois avec nous quand nous disons Vachat. » [Rig-Véda, s. V, 1. II, h. 13, v. 3.) Swaha, buh bu\v.\s swaii. sont des formules du même genre.
Quant à l'importance des rites, elle éclate à chaque page des Védua. Il suffit d'une erreur dans l'ordre des cérémonies, des mouvements ou des paroles pour irriter le dieu qu'on invoque.
« Quand même nos prêtres commettraient quelque erreur, ô dieux, répandez sur nous votre miel. Mais pourquoi Agni nous serait-il favorable? Comment avons-nous accompli son œuvre ? Qui peut être juge? Notre hymne est un ami que nous envoyons aux dieux; mais comme un coursier imprudent, il peut se tromper de route. » iRig-Veda, s. VII. 1. ('., li. 7, v. 4, 5.'*
C'est alors, selon toute probabilité, que cette science sacrée, l'hymne, la parole, déjà divinisée sous le nom de Saraswati, devint, sous le nom de Bvahma, la divinité suprême. C'était pendant la récitation de l'hymne que paraissait la lumière ; on en concluait que c'était lui qui chassait les ténèbres, (lui mettait en mouvement les dieux célestes, qui créait par sa puissance propre la terre et le ciel. La grande parole de la Genèse : Que la lumière soit, se réalisait chaque jour aux yeux des Aryas, et cette parole toute-puissante, c'était le prêtre qui en était le dépositaire ; bien plus, c'était lui qui la créait.