Hermès ou Mercure est dans le môme cas que Ares. Aucune divinité grecque u'a été plus souvent représentée par les arts grecs, aucune n'a une origine et une histoire plus obscures. On a imaginé des hypothèses pour expliquer ses attributions et son caractère. Une des plus ingénieuses consiste à faire de ce dieu une personnification du crépuscule ; l'idée de transition, de changement qui se trouve impliquée dans celle du crépuscule expliquerait en effet quelques-unes des attributions uiylhologiquesde Hermès. Elle estmême trop ingénieuse pour une divinité aussi ancienne. Les Grecs ont poussé très-loin ce système d'interprétation, mais surtout dans les derniers temps. Dans le principe, les fonctions attribuées aux divinités ont presque toujours été restreintes aux effets directs et aux résultats réels de leur intervention. Aussi ne trouvons-nous rien dans la légende védique des Aswins qui nous permette de les identifier avec Hermès, et dans la mythologie grecque Castor et Polliix, qui sont les Asicins grecs, ne rappellent nullement les attributions les plus significatives A'Hermès.
La personnification védique qui paraît se rapprocher le plus complètement du dieu grec, c'est Sarama, dont le nom même présente avec Hermès une analogie étymologique manifeste. En sanscrit la racine sar forme une foule
de mots dont les significations diverses se rapportent aux rôles multiples de YHei'mès grec : Sarami, marcher, couler, sarùnan, le vent, sarpa, serpent. Le substantif srtrfl nous donne un curieux exemple de l'accumulation des signi-lications successives dans un même mot. Sa?-a veut dire primitivement marche, chemin. Mais comme il s'applique également à la murr/ie de l'eau, et que dans le sacrifice l'écoulement des libations est, par les conséquences qu'on y rattache, un fait capital, ce même mot arrive à désigner le beurre clarifié et le soma, qu'on versait dans le foyer et en général les eaux sacrées. Mais ces libations rendent aux Aryas la lumière, et le sens de ciel, air s'ajoute aux autres. Ce n'est pas tout. Sarasiva/i, la mer, —le samoudra, — la personnification de la libation, finit par signifier l'éloquence, la parole, parce que l'offrande des libations est accompagnée de la parole sacrée, l'hymne. On entrevoit déjà comment va se former la légende.
Mais ce n'est pas tout. Dasarami, marcher, s'est formé sat-ameya, chien. Or le sacrifice lui-même est souvent, dans le liig-Véda, représenté sous la forme deSarama, la chienne divine, qui accompagne les chasseurs célestes à la poursuite de leurs ennemis. C'est Saraiim qu'on envoie à la découverte et qui découvre le repaire de Vritm et des Panis, voleurs des rayons lumineux et des eau.x, ou qui délivre la vache gardée par le Sa/iasrâkc/ia, l'Argus aux mille yeux.
« Deux chiens aux quatre yeux, au poil fauve, qui surveillent le sacrifice et enfants de Sarama, sont à Varna. Ces deux messagers d'Varna ont de larges narines, une respiration forte, une grande vigueur. Ils s'élancent à travers le monde. Qu'ils nous donnent aujourd'hui la vue du soleil et des vents heureux. » {/iig-Véda, s. VII, 1. 6, h. 9, v. 10, 11, 12.)
Ces deux chiens sont les deux pièces de l'arani, attachée par quatre clous. Ils symbolisent la flamme qui va consumer le bûcher. Mais ils appartiennent à Varna, le dieu souterrain, soit parce que l'arani est en bois produit par la terre et qu'elle se consume elle-même, soit parce que l'extinction quotidienne du bûcher rappelle l'idée de la mort (1).
Tout cela est d'une transparence suffisante. Sarama, symbole du sacrifice, explique tout le mythe d^Hermès. Il est le dieu du commerce, parce que le sacrifice offert aux dieux est le prix dont l'homme achète leur protection, et du gain, parce que ce marché est avantageux pour les hommes. 11 est le dieu des trouvailles, parce que c'est lui qui découvre les objets cachés ; il est le messager divin, car c'est lui qui porte delà terre au ciel les vœux des hommes et du ciel à la terre la réponse des dieux. Son culte est uni à celui des Nymphes, parce que les Nymphes représentent les libations ; il préside à l'éloquence, en souvenir de l'hymne qui accompagne le sacrifice, et aux combats des athlètes, parce que c'est lui qui donne aux dieux la force de lutter contre leurs ennemis. Son caractère de dieu pastoral s'explique de même, puisque c'est lui qui
{\) Sarama, avant de personnifier la prière, a représenté le vent qui hurle dans la tempête. Il a deux fils, qui sont : Çahala, le tacheté, et Çarvara, le sombre. Çarvara, le Kfpêspo; des Grecs, personnifie l'obscurité. C'est pour cela que Héraclès l'enchaîne. Dans le Yaçna (IX, 24), héros Kereçàçpa frappe de sa massue le serpent Çravura, qui est évidemment dans la légende le Çarvara védique.
retrouve et ramène les vaches égarées ou volées. 11 ouvre les portes du ciel, en donnant aux dieux lumineux le signal du retour, mais en même temps il conduit les âmes aux enfers, car c'est lui qui guide aux enfers l'/l.^;*/souterrain qui devient Varna, quand le bûcher en s'cteignant semble condamner le dieu du sacrifice à une mort temporaire (1). 11 ne serait peut-être pas impossible de trouver dans cette dernière fonction (ÏHei-mès et dans la transformation àWfini en Yaina une allusion au sacrifice du soir, qui marque le moment où le soleil disparaît à l'occident, comme s'il s'engloutissait sous la terre.
L'hymne homérique nous présente Hermès comme le dieu du larcin et de la musique. Le second de ces caractères s'explique facilement par les chants qui accompagnaient le sacrifice; le premier est plus étrange. Hermès vole les bœufs é^Apollon, qui le force à les lui rendre. Est-ce une figure d'une lutte entre les deux cultes? ou bien faut-il attribuer à l'oubli des fonctions antiques de Sarama l'interversion de rôle qui transforme en protecteur du vol le dieu qui daqs le Véda le poursuit et le découvre? Faut-il y voir une intention de satire contre les habitudes des commerçants, placés sous la protection d'Hermès? 3e n'ai rien trouvé qui permît de trancher nettement cette question.
A côté de ces divinités principales, il y en a eu une foule d'autres qui reproduisaient les mêmes conceptions, mais qui, pour des raisons qu'il ne serait pas toujours facile d'expliquer, n'ont pu s'élever au même rang. Tels sont Cadmus, une forme antérieure de Dionysos, Thésée, V Héraclès ionien, Persée, Méléagre, Bellérophon, Achille, toute la série des mythes qui se rapportent à Laïus, Œdipe et ses fils. 6'flny/«è<;/e personnifie la libation qui moule au ciel. " Celui ^(Jr[)liée, plus obscur parce qu'il n'a pas atteint en Grèce le fuême développement que dans l'Inde, est d'abord la personnification de l'hymne sacré qui dompte les Rakcliasas, puis se confond avec le soleil qu'il fait naître. C'est à cette seconde forme que se rapporte la légende d'Eurydice, la lune ou l'aurore, qui disparaissent quand le soleil les regarde. Protée représente le nuage aux formes changeantes. V/liade, VOdyssée mêlent à des faits qui ont peut-être une réalité historique, un nombre incalculable de mythes, qui se rapportent évidemment à la grande lutte du jour et de la nuit, de la lumière et de l'orage (2). Nous n'essayerons pas même d'indiquer sommairement quelles peuvent être dans ces grandes épopées la part de l'histoire et celle de la mythologie. Si dans les pages qui précèdent nous avons réussi à expliquer clairement notre pensée, il nous semble qu'en appliquant les mômes principes, il sera assez facile à chacun de faire lui-même ce départ.
(1) Le caducée de Mercure, le trident de Neptune et la foudre de Jupiter représentent tous h^s trois la flamme. On sait que dans les repr(''sentations les plus antifiues, le caducée est ouvert à l'extrémité de manière h présenter deux pointes. Le trident et la foudre représentent surtout le feu de l'éclair; le caducée, celui du foyer sacré. Les serpents qui s'enroulent autour du bâton de Hermès, ne sont autre chose que la flamme du sacriflce s'emparant du bois du bûcher.