Moi, convaincu de la grande sainteté de l'action, je saute sur le plat de bouillie.
La femme. — Misérable ! iS'avais-tu aucune crainte du dieu?
Carion. — Oui, sans doute; je craignais qu'avec sa couronne il ne fût avant moi au plat de bouillie ; le fait de son prêtre m'en disait assez : la vieille, entendant du bruit, étendit la main pour retirer le plat ; alors je siffle comme un serpent et je la mords. Aussitôt elle retire la main, et s'enveloppe en silence dans ses couvertures, en là-
:1H\ APOLI.OX KT DIANK.
chant (le IVaycnir un vent |>liis puant ({uc celui d'un chat. Alors je nie bourre de honillie, et puis je me recouche le ventre plein.
La femme. — Et le dieu ne venait donc pas?
Carion. — Pas encore. Mais après cela, je lis une honne farce : lors-(pi'il s'approcha, je fis résonner une décharge des plus bruyantes; car j'avais le ventre tout tiontb'.
La femme. — Sans doute il s'eni[»orta en imprécations contre toi?
Carion. — 11 n'y prit seuh^ment pas garde.
La femme. — Tu veux dire que ce dieu est grossier?
Carion. — Non; mais il aime l'ordure (1).
La femme. — Ah ! misérable !
Carion. — Cependant je m'enfonçai dans mon lit, de frayeur. Le dieu fit le tour et visita gravement cha([ue malade. Ensuite un esclave lui apporta un jietit mortier en pierre, un pilon et unv petite boîte.
La femme. —Mais comment pouvais-tu Aoii- tout cela, pendard, puisque tu te cachais, dis-tu ?
Carion. — Je voyais tout à travers mon manteau ; car il y a assez de trous. Il se mit d'abord à pré[)arer un cataplasme })Our les yeux de Néoclide : il prit trois tètes d'ail de Ténos, qu'il pila <lans le mortier, avec un mélange de gomme et de suc de lentisque ; il arrosa le tout de vinaigre sphettien, puis il l'appliqua dans l'intérieur des paupières, pour rendre la dbuleur plus cuisante. Néoclide criait de toutes ses-forces et voulait s'(Mifuir. Mais le dieu lui dit en riant : Demeure ici avec ton cataplasme; je veux t'empécher de prodiguer des parjures dans l'assemblée.
La femme. — Quel dieu sage et patriote !
Carion. — Il vint ensuite auprès de Plutus ; et d'abord il lui làta la tète, puis il lui essuya les yeux avec un linge bien jiropre : Panacée^ lui couvrit la tête et le visage d'un voile de pourpre ; le dieu siftla, et aussitôt deux énormes serpents s'élancèrent du fond du temple.
La femme, — Bons dieux !
Carion. — Ceux-ci, s'étant glissés doucement sous le voile de pourpre, léchèrent, je crois, les })aupières du malade ; et en moins de temps, ma chère maîtresse, que tu n'en mettrais à boire dix cotyles de vin, Plutus recouvre la vue. Moi, dans ma joie, je battis des mains et je réveillai mon maître. Aussitôt le dieu disparut, et les serpents se cachèrent au tond du temple. Mais ceux qui couchaient auprès de Plutus, avec quel empressement ils le serrèrent dans leurs bras! Ils restèrent éveillés toute la nuit, jusqu'à ce (]ue le jour parût. Pour moi,
(1) Allusion aux tncdt'oiu? qui cousliitcnl lélal du malade par riiispoctioii dos e\-croinents.
ESCULAPE.
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je ne cessais de remercier le dieu d'avoir si Nile rendu la vue à Plutus, et augmenté la cécité de Néoclide.
La femme. — Divine puissance d'Esculape I... »
(Aristophane.)
Esculape à Rome. — Esculape fut également tres-honoré des Romains. 11 y avait trois ans qu'une maladie contagieuse faisait à Rome de grands ravages, sans qu'aucun secours parût mettre fin à ce fléau terrible. Les pontifes, chargés de consulter les livres des Sibylles^, trouvèrent que le seul moyen de ramener la salubrité dans Rome, était de faire venir Esculape d'Epidaure. On y envoya des ambassadeurs, et le dieu se montra favorable, puisqu'il permit que son serpent apparût aux onvovés de Rome, et montât avec euv sur leur vaisseau. Les ambassa-
Fig. 247. — Esculape dans lile du Tibre (d'après un médaillon de Commode.
deurs, au comble de leurs vœux, se hâtèrent de remettre à la voile, après s'être informés de la manière dont le serpent devait être honoré. A peine le vaisseau fut-il entré dans Rome, que le serpent, se jetant a la nage, alla gagner l'île oii on a bâti de})uis son temple. L'épidémie
cessa immédiatement.
(Valère-Maxime.
Hercule et Esculape. — Esculape reçut après sa mort les honneurs divins, et fut admis à la table des dieux, mais si nous en croyons les auteurs comiques, il se prit de querelle avec Hercule, pour une question de préséance. Jupiter essaya de les calmer. « Cessez, dit-il, de vous quereller comme des hommes, c'est inconvenant et indigne de la table des dieux.
Hercule. —Veux-tu donc, Jupiter, que cet empoisonneur soit assis au-dessus de moi ?
Esculape. — Eh! certainement, puisque je vaux mieux.
Hercule. — Comment cela, cerveau brûlé? Est-ce parce ([ue Jupiter t'a foudroyé, pour avoir fait ce que tu ne devais pas faire, et que tu es admis par pure pitié, à partager notre destin immortel?
^^^■' APOLLON ET DIANE.
EscuLAPE. — Tu oublies, Hercule, <juo tu as été brûlé sur l'OEta, toi qui me reproches d'avoir j»assé jtar le feu.
Hercule. — Avec cela (jue nous avons vécu de la même manière! Fils de Jupiter, j'ai acconi|ili de |)r()difiieu\ tra\au\, jungcant le monde, luttant contre les monstres, punissant Ic^s bi'i<.:ands (jui outi'a-yeaient l'humanité; toi, tu n'es qu'un herl)orislc, un charlatan, bon tout au plus pour appliquer des remèdes aux malades, et qui n'as jamais rien fait de viril.
EscuLAPE. — Tu as raison ; mais c'est moi qui ai guéri tes brûlures, lorsque dernièrement, tu es monté ici, le corps rôti d'un côté par la tunique du centaure, et de l'autre par le feu du bûcher. Et puis quand je n'aurais rien autre chose à dire, je n'ai pas été esclave comme toi, je n'ai pas cardé de laine en Lydie, vêtu d'une robe de pourpre, recevant des coups de la sandale dorée d'Omphale, et surtout, dans un accès de fureur, je n'ai pas tué mes enfants et ma femme.
Hercule. — Si tu ne fais trêve à tes insolences, tu sauras bientôt que ton immortalité n'empêchera pas que je ne te saisisse, et ne te jette du haut du ciel la tète la première.
Jupiter. — Cessez, vous dis-je, et ne troublez pas la réunion, autrement je vous mets à la porte. » (Lucien.)
LE SOLEIL.
Le Soleil et l'île de Rhodes. — Les signes du Zodiaque. — Le char du Soleil. — Phaéthon. — Les chevaux du Soleil. — Chute de Phaéthon. — Les sœurs de Phaéthon et le roi Cvcnus.
Fig. 2i8. — Le Soleil (d"après une statue antique).
Le Soleil et l'île de Rhodes. — Héélios, le Soleil, était dans l'anti-
<juit(' priinilivi', tout à fait distinct d'Apollon, avoc qui il a ét('; idenliliô plus tard. Le Soleil \oit foui et révèle ce qu'il voit : c'est lui qui dénonce à \ iilcain rinlidéliié de sa icmme, à Cérès le rapt de sa fille ; le crime d'Atrée le fait reculer d'horreur. Mais ces faits ne sauraient se rapporter à Apollon, à côté duquel on voit le Soleil formant un personnage distinct, dans un has-i'clief qui représenic Mars (>l Vénus surpris par Vulcaiii.
Une statue antique nous jnontre le Soleil sous la loime d'un jeune houinie vêtu, teiuint d'une main une boule, et de l'autre la corne d'abondance : les chevaux qui conduisent son char sont figurés en buste à coté de lui (fig. 248). Le fameux colosse de Rhodes qui, selon une tradition erronée, laissait les vaisseaux passer à pleines voiles entre ses jambes, était une image du Soleil et la môme effigie se voit dans les médailles de Rhodes. Quand, après la chute des Titans, les dieux olympiens se partagèrent le monde, le Soleil, qui n'était pas là, fut oublié : il s'en plaignit, et l'île de Rhodes sortit des mers tout exprès pour lui être consacrée. Un beau bas-relief, découvert dernièrement dans les fouilles de l'ancienne Troie, montre le Soleil avec la tète radiée, et conduisant son char : dans une peinture d'IIerculanuni on le voit causant avec un(> des Heures.