Peu de fables ont été aussi populaires dans l'antiquité que celle qui
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concerne Persée ; une série très-nombreuse de monuments reproduisent sa victoire sur Méduse et quelques-uns remontent à la plus haute antiquité. Une métope de Sélinonte, qui est une des plus anciennes sculptures parvenues jusqu'à nous, montre le héros coupant la tète de Méduse près de laquelle on voit paraître Pégase. Le style de cette sculpture est absolument barbare.
Un miroir étrusque nous montre Persée coiffé du casque de Pluton, vêtu de la chlamyde et tenant la harpe, sorte de couteau recourbé avec lequel il vient de tuer Méduse. Minerve, placée près de lui, touche du bout de sa lance la tête de Méduse tombée à terre ; cette tète a le crâne dépouillé des cheveux de serpent qu'on lui met habituellement.
Le célèbre sculpteur Myron avait fait un Persée vainqueur de Méduse qui était placé dans l'Acropole d'Athènes. L'art de la grande époque a rarement représenté le combat lui-même : les artistes préfèrent montrer
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Fig. 341.— Les Gorgones poursuivant Persée (d'après une peinture de vase)
le héros après son triomphe. Sur les pierres gravées, le héros tient d'une main la harpe, et lève l'autre en montrant la tête de Méduse (fig. 342). .
Comme formes, Persée n'a pas de type qui lui soit propre, mais il participe de la nature de Mercure, avec lequel il présente aussi de grands rapports comme costume, dans les monuments archaïques. Quand on le représente nu, il apparaît comme un éphèbc, svelte, élancé, nerveux, comme il convient à un héros dont l'agilité est un des attributs essentiels.
Sous la Renaissance, Benvenuto Cellini a fait un Persée victorieux, foulant aux pieds le corps de Méduse dont il présente la tête sanglante (fig. 343). Ce groupe se voit à Florence et peut être considéré comme le chef-d'œuvre de l'artiste, qui en parle longuement dans ses Mémoires. Au commencement de ce siècle, quand les Français dépouillèrent les musées d'Italie, Canova fut chargé de faire un Persée, et il
VULCAIN ET MINERVE.
excita une tello admiration que lltalic crut avoir acquis un chef-d'œuvre équivalent à ceux qu'elle avait perdus. Mais la postérité n'a pas ratifié ce jugement; le Persée de Canova, plein de délicatesse et de langueur, ne répond jtoint au caractère du héros et est sous ce rapport hien inférieur à celui de Cellini.
Fig. :î4'2. — Persée i^craprès une pierre gravée antique, agate-onyx).
Le corail. — Les poèmes orphiques nous apprennent comment le corail a été formé avec le sang de Méduse répandu sur l'herbe :
« Persée au vol rapide ne doit pas être considéré comme un monstre, car c'est lui qui, aux extrémités escarpées de l'Atlantide, tua cette vierge farouche et d'un aspect infernal. Destinée horrible pour tous! ceux qu'elle regardait de son œil sanglant, ceux qui contemplaient cet épouvantable monstre étaient tués sur-le-champ et changés en pierre j)ar une volonté fatale ! La robuste Minerve, quelque courageuse qu'elle fût, ne voulut pas la regarder en face, Persée au glaive d'or ne put se décider à jeter les yeux sur elle, même après qu'elle eut été exterminée. Il lui coupa la tête par ruse: s'approchant derrière elle qui ne le voyait pas, il lui trancha le gosier avec une arme recourbée. Quoiqu'elle fût morte, sa figure était encore dangereuse à voir, et beaucoup devaient descendre dans la noire demeure de Pluton à cause de sa mort. Le héros souillé de sang, s'approchant du rivage pour se laver dans la mer, déposa sur les herbes verdoyantes la tête de la Gorgone chaude encore et palpitante. Quand il se fut rafraîchi dans les gouffres
Fig. 343. — Pei'boe (groupe de Benvenuto Cellini, à Florence)
de la iiUT, il sortit do cotte route trompeuse et de ses périlleuses luttes. Les racines des herbes qui se ti-ouvaient au-dessous do la tète étaient alors humectées de sang-. Aussitôt les filles de la mer accourant s'empressèrent de la comprimer ; elles le firent si bien que vous auriez cru l'herbe changée en pierre solide, et cela était en eflct : elle perdit la verte couleur de l'herbe, il est vrai, mais elle n'en perdit pas la forme; elle conserva seulement une couleur rouge qui venait du sang. Le héros intrépide fut frap})é de stupeur quand il vit subitement ce grand mi-l'acle. La prudente Minerve, fille de Jupiter, accourut alors, l'admira aussi, et ])0ur rendre la gloire de son frère immortelle, elle voulut que le corail eût la faculté de garder toujours sa nouvelle nature. »
Atlas pétrifié. — Persée, après sa victoire, s'éleva dans les airs, à l'aide des talonnières de Mercure; tenant fièrement sa dépouille, il traversa plusieurs pays, et les gouttes de sang qui s'échappaient de la tête de Méduse, formèrent, en tombant sur l'Afrique, cette quantité effrayante de serpents et d'insectes dont cette contrée est encore remplie. Persée ayant ainsi parcouru l'univers, depuis les régions où le soleil se lève jusqu'à celles où il se couche, s'arrêta dans le royaume d'Atlas, qui s'étendait sur les dernières régions du monde. Mais Atlas, se souvenant qu'un oracle avait prédit que les fruits de ses jardins seraient un jour enlevés par un fils de Jupiter, le reçut assez mal et voulut le chasser de sa présence. Persée indigné, mais ne pouvant songer à lutter contre un géant d'une taille aussi prodigieuse qu'Atlas, dont nul ne pouvait égaler la force, lui présenta la tête de Méduse, dont les yeux avaient la propriété de changer en pierre tous ceux qui la regardaient. Aussitôt qu'il eut vu ce qu'on lui présentait, l'énorme Atlas fut changé en montagne : sa barbe et ses cheveux devinrent les arbres qui la couvrent, ses bras et ses épaules en formèrent les éminences et ses os devinrent les rochers qu'on y voit. (Ovide.)
Persée et Andromède. — Persée, ayant pétrifié Atlas, se dirigea vers l'Ethiopie, et aperçut, attachée à un rocher, une jeune fille qu'il aurait prise pour une statue, s'il n'avait vu en môme temps ses cheveux flotter au vent et ses yeux répandre des larmes. C'était la malheureuse Andromède, fille du roi de la contrée : sa mère Cassiopée, ayant eu la témérité de disputer le prix de la beauté a Junon, cette déesse vindicative suscita un monstre marin qui désolait le pays. L'oracle d'Amnion déclara que, pour apaiser la déesse, Andromède devait être exposée aux fureurs du monstre, et la nialheureuse jeune fille fut liée sur le rocher fatal par les Néréides elles-mêmes. A peine Persée était-il arrivé près d'elle, que les flots s'agitèrent avec fracas, et la mer vomit un monstre épouvantable dont le corps couvrait un es})ace inunense. Andromède pousse
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un cri, ses parents désolés la croient déjà perdue ; mais Persée, frappant la terre d'un coup de pied^ s'élève dans les airs, et son ombre, se rélle-chissant dans l'eau, irrite le monstre, qui tourne contre elle toute sa rage. Persée alors tombe du milieu des airs sur le dos du dragon, et lui enfonce dans l'épaule droite sa redoutable épée. Un sang noir jaillit, et la bête, se sentant blessée, s'élève en bondissant sur la surface de la mer, s'y replonge ensuite, s'agitant comme un sanglier que poursuit une meute de chiens. Les flots de sang qui jaillissent, mouillent les ailes du héros, qui déjà se sent fléchir et ne peut plus se soutenir en l'air. Alors, s'appuyant de la main gauche sur un rocher, il perce le monstre de part en part.
Dans les monuments antiques, Andromède, liée au rocher, est presque toujours vêtue d'une longue robe qui descend jusqu'aux pieds
Fis. 34-4. — Perscc et Andromède (d'après un bas-relief antique).
oA elle fixe habituellement les yeux sur son libérateur. C'est ainsi qu'on la voit figurer sur un bas-relief du musée Capitolin, oîi Persée, pourvu d'ailes à la tète et aux pieds, cache la tête de Méduse sous sa draperie pour ne pas pétrifier Andromède qu'il aide à descendre du rocher où elle était attachée. Le monstre marin qui allait la dévorer gît aux pieds du héros (fig. 344).