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Ce fut la confusion absolue. Une balle partit encore, érafla le mur du puits, alla se perdre dans le ciel tandis que le commissaire, par prudence, frappait comme un sourd, de ses deux poings, le crâne de Michonnet.

Au quatrième coup, l’agent d’assurances lui lança un regard d’animal blessé, vacilla, tomba en travers, l’œil poché, la mâchoire démantibulée.

Else, qui se tenait la gorge à deux mains, faisait des efforts pour respirer.

C’était à la fois tragique et loufoque, cette bataille au fond d’un puits, dans une odeur de salpêtre et de vase, dans la demi-obscurité.

Plus loufoque l’épilogue : Michonnet, qu’on remonta avec la corde de la poulie, tout mou, tout flasque, et gémissant ; Else, que Maigret hissa à bout de bras et qui était sale, avec sa robe de velours noir couverte de grandes plaques de mousse verdâtre.

Ni elle ni son adversaire n’avaient perdu complètement connaissance. Mais ils étaient brisés, écœurés, comme ces clowns qu’on voit parodier un combat de boxe et qui, couchés l’un sur l’autre, continuent à donner des coups imprécis dans le vide.

Maigret avait ramassé le revolver. C’était celui d’Else, qui manquait dans la cachette de la chambre. Il y restait une balle.

Lucas arrivait de la maison, le front soucieux, soupirait en regardant ce spectacle :

— J’ai dû faire lier l’autre sur son lit…

L’agent tamponnait d’un mouchoir imbibé d’eau le front de la jeune fille. Le brigadier questionnait :

— D’où sortent-ils, ces deux-là ?

Il avait à peine fini de parler qu’on voyait Michonnet, qui n’avait même plus l’énergie de se tenir debout, se jeter néanmoins sur Else, le visage décomposé par la fureur. Il n’eut pas le temps de l’atteindre. Du pied, Maigret l’envoya rouler à deux mètres de lui, tonna :

— C’est fini, hein, cette comédie !…

Il fut pris de fou rire, tant l’expression de physionomie de l’assureur était comique. Il faisait penser à ces gosses rageurs qu’on emporte sous le bras en leur donnant la fessée et qui continuent à s’agiter, à hurler, à pleurer, à essayer de mordre et de frapper, sans s’avouer leur impuissance.

Car Michonnet pleurait ! Il pleurait et grimaçait ! Il menaçait même, du poing !

Else était enfin debout, se passait la main sur le front.

— J’ai bien cru que ça y était ! soupira-t-elle avec un pâle sourire. Il serrait tellement fort…

Elle avait une joue noire de terre, de la boue dans ses cheveux en désordre. Maigret n’était guère plus propre.

— Qu’est-ce que vous faisiez dans le puits ? questionna-t-il.

Elle lui lança un regard aigu. Son sourire disparut. On sentit que, d’un seul coup, elle reprenait possession de tout son sang-froid.

— Répondez…

— Je… J’y ai été transportée de force…

— Par Michonnet ?…

— Ce n’est pas vrai ! hurla celui-ci.

— C’est vrai… Il a voulu m’étrangler… Je crois qu’il est fou…

— Elle ment !… C’est elle qui est folle !… Ou plutôt c’est elle qui…

— Qui quoi ?…

— Je ne sais pas ! Qui… C’est une vipère, dont il faut écraser la tête contre une pierre…

Le jour s’était levé insensiblement. Dans tous les arbres des oiseaux piaillaient.

— Pourquoi vous étiez-vous armée d’un revolver ?…

— Parce que je craignais un piège…

— Quel piège ?… Un instant !… Procédons avec ordre… Vous venez de dire que vous avez été assaillie et transportée dans le puits…

— Elle ment ! répéta convulsivement l’assureur.

— Montrez-moi donc, poursuit Maigret, l’endroit où a eu lieu cette attaque…

Elle regarda autour d’elle, désigna le perron.

— C’est là ? Et vous n’avez pas crié ?…

— Je n’ai pas pu…

— Et ce petit bonhomme maigrichon a été capable de vous porter jusqu’au puits, autrement dit de parcourir deux cents mètres avec une charge de cinquante-cinq kilos ?…

— C’est vrai…

— Elle ment !…

— Faites-le taire ! dit-elle avec lassitude. Vous ne voyez pas qu’il est fou ?… Et cela ne date pas d’aujourd’hui…

Il fallut calmer Michonnet, qui allait se précipiter à nouveau vers elle.

Ils étaient un petit groupe dans le jardin : Maigret, Lucas, deux inspecteurs, regardant l’agent d’assurances au visage tuméfié et Else qui, tout en parlant, essayait de mettre de l’ordre dans sa toilette.

Il eût été difficile de déterminer pourquoi l’on ne parvenait pas à atteindre au tragique, ni même au drame. Cela sentait plutôt la bouffonnerie.

Sans nul doute cette aube indécise y était-elle pour quelque chose ? Et aussi la fatigue de chacun, la faim même ?

Ce fut pis quand on vit une bonne femme marcher en hésitant sur la route, montrer sa tête derrière les barreaux de la grille, ouvrir enfin celle-ci et s’écrier en regardant Michonnet :

— Emile !…

C’était Mme Michonnet, plus abrutie que désemparée, Mme Michonnet qui tira un mouchoir de sa poche et fondit en larmes.

— Encore avec cette femme !…

Elle avait l’air d’une bonne grosse mère ballottée par les événements et se réfugiant dans l’amertume lénifiante des pleurs.

Maigret nota, amusé, la netteté dont s’imprégnait le visage d’Else, qui regardait tour à tour chacun autour d’elle. Un visage joli, très fin, tout tendu, tout pointu soudain.

— Qu’alliez-vous faire dans le puits ?… questionna-t-il, bon enfant, avec l’air de dire : « Fini, hein ! Entre nous, ce n’est plus la peine de jouer la comédie. »

Elle comprit. Ses lèvres s’étirèrent dans un sourire ironique.

— Je crois que nous sommes faits comme des rats ! concéda-t-elle. Seulement j’ai faim, j’ai soif, j’ai froid, et je voudrais quand même faire un bout de toilette… Après, on verra…

Ce n’était pas de la comédie. C’était au contraire d’une netteté admirable.

Elle était toute seule au milieu du groupe et elle ne se troublait pas, elle regardait d’un air amusé Mme Michonnet en larmes, le pitoyable Michonnet, puis elle se tournait vers Maigret et ses yeux disaient :

« Les pauvres ! Nous, nous sommes de la même classe, pas vrai ?… On causera tout à l’heure… Vous avez gagné !… Mais avouez que j’ai bien joué ma partie !… »

Pas d’effroi, pas de gêne non plus. Pas une ombre de cabotinage.

C’était la véritable Else qu’on découvrait enfin et qui savourait elle-même cette révélation.

— Venez avec moi ! dit Maigret. Toi, Lucas, occupe-toi de l’autre… Quant à la femme, qu’elle retourne chez elle, ou qu’elle reste ici…

— Entrez ! vous ne me gênez pas !…

C’était la même chambre, là-haut, avec le divan noir, le parfum obstiné, la cachette derrière l’aquarelle. C’était la même femme.

— Carl est bien gardé, au moins ? questionna-t-elle avec un mouvement du menton vers la chambre du blessé. Parce qu’il serait encore plus forcené que Michonnet !… Vous pouvez fumer votre pipe…

Elle versa de l’eau dans la cuvette, retira tranquillement sa robe, comme si c’eût été la chose la plus naturelle du monde, et resta en combinaison, sans pudeur ni provocation.

Maigret pensait à sa première visite dans la maison des Trois-Veuves, à l’Else énigmatique et distante comme une vamp de cinéma, à cette atmosphère trouble et énervante dont elle parvenait à s’entourer.

Etait-elle assez jeune fille perverse quand elle parlait du château de ses parents, des nurses et des gouvernantes, du rigorisme de son père ?

C’était fini ! Un geste était plus éloquent que tous les mots : cette façon d’enlever sa robe, de se regarder maintenant dans la glace avant de se passer de l’eau sur le visage.

C’était la fille, simple et vulgaire, saine et rouée.