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— Avouez que vous avez marché !

— Pas longtemps !…

Elle s’essuya le visage du coin d’une serviette-éponge.

— … Vous vous vantez… Hier encore, quand vous étiez ici et que je vous laissais apercevoir un sein, vous aviez la gorge sèche, le front moite, en bon gros que vous êtes… Maintenant, bien sûr, que ça ne vous fait plus rien… Et pourtant, je ne suis pas moche…

Elle cambrait les reins, prenait plaisir à regarder son corps souple, à peine voilé.

— Entre nous, qu’est-ce qui vous a mis la puce à l’oreille ? J’ai commis une faute ?

— Plusieurs…

— Lesquelles ?

— Celle, par exemple, de parler un peu trop de château et de parc… Quand on habite vraiment un château, on dit plutôt la maison, ou la propriété…

Elle avait tiré le rideau d’une penderie et elle regardait ses robes en hésitant.

— Vous allez m’emmener à Paris, naturellement !… Et il y aura des photographes… Que pensez-vous de cette robe verte ?…

Elle la tint devant elle pour juger de l’effet.

— Non !… C’est encore le noir qui me va le mieux… Voulez-vous me donner du feu ?…

Elle rit, car malgré tout Maigret, surtout quand elle s’approcha de lui pour allumer sa cigarette, était un peu troublé par ce qu’elle parvenait à mettre de sourd érotisme dans l’atmosphère.

— Allons ! je m’habille… C’est rigolo, pas vrai ?…

Même les mots d’argot prenaient une saveur particulière dans sa bouche, grâce à son accent.

— Depuis quand êtes-vous la maîtresse de Carl Andersen ?

— Je ne suis pas sa maîtresse. Je suis sa femme…

Elle passa un crayon sur ses cils, aviva le rose de ses joues.

— Vous vous êtes mariés au Danemark ?

— Vous voyez que vous ne savez encore rien !… Et ne comptez pas sur moi pour parler. Ce ne serait pas de jeu… D’ailleurs, vous ne me tiendrez pas longtemps… Combien de temps après l’arrestation passe-t-on à l’anthropométrie ?…

— Vous y passerez tout à l’heure.

— Tant pis pour vous !… Car on s’apercevra que je m’appelle de mon vrai nom Bertha Krull et que, depuis un peu plus de trois ans, il y a un mandat d’arrêt lancé contre moi par la police de Copenhague… Le Gouvernement danois demandera l’extradition… Voilà ! je suis prête… Maintenant, si vous permettez que j’aille manger un morceau… Vous ne trouvez pas que cela sent le renfermé, ici ?…

Elle marcha vers la fenêtre, qu’elle ouvrit. Puis elle revint à la porte. Maigret franchit celle-ci le premier. Alors, brusquement, elle referma l’huis, tira le verrou, et l’on entendit des pas précipités dans la direction de la fenêtre.

Maigret eût été moins lourd de dix kilos qu’elle se fût sans doute enfuie. Il ne perdit pas un quart de seconde. Le verrou était à peine tiré qu’il fonçait de toute sa masse sur le panneau.

Et celui-ci céda au premier coup. La porte s’abattit, gonds et serrures arrachés.

Else était à cheval sur l’appui de fenêtre. Elle hésita.

— Trop tard ! dit-il.

Elle fit demi-tour, la poitrine un peu haletante, des moiteurs au front.

— C’était bien la peine de faire une toilette raffinée ! ironisa-t-elle en montrant sa robe déchirée.

— Vous me donnez votre parole de ne plus chercher à fuir ?

— Non !

— Dans ce cas, je vous préviens que je tire au moindre mouvement suspect…

Et désormais il garda son revolver à la main.

En passant devant la porte de Carl, elle questionna :

— Vous croyez qu’il s’en tirera ?… Il a deux balles dans la peau, n’est-ce pas ?

Il l’observa et à cet instant il eût été bien en peine de porter un jugement sur elle. Il crut pourtant discerner sur son visage et dans sa voix un mélange de pitié et de rancune.

— C’est sa faute aussi ! conclut-elle comme pour mettre sa conscience en paix. Pourvu qu’il reste quelque chose à manger dans la maison…

Maigret la suivit dans la cuisine, où elle fouilla les placards et où elle finit par mettre la main sur une boîte de langouste.

— Vous ne voulez pas me l’ouvrir ?… Vous pouvez y aller… Je promets de ne pas en profiter pour filer…

Il régnait entre eux une drôle de cordialité que Maigret n’était pas sans apprécier. Il y avait même quelque chose d’intime dans leurs rapports, avec un rien d’arrière-pensée.

Else s’amusait avec ce gros homme placide qui l’avait vaincue, mais qu’elle avait conscience d’épater par son cran. Quant à lui, il savourait peut-être un peu trop cette promiscuité tellement en dehors de la norme.

— Voilà… Mangez vite…

— On part déjà ?

— Je n’en sais rien.

— Au fond, entre nous, qu’est-ce que vous avez découvert ?

— Peu importe…

— Vous emmenez cet imbécile de Michonnet aussi ?… C’est encore lui qui m’a fait le plus peur… Tout à l’heure, dans le puits, j’ai bien cru que j’allais y passer… Il avait les yeux hors de la tête… Il serrait mon cou tant qu’il pouvait…

— Vous étiez sa maîtresse ?

Elle haussa les épaules, en fille pour qui pareil détail a vraiment peu d’importance.

— Et M. Oscar ?… poursuivit-il.

— Eh bien ! quoi ?

— Encore un amant ?

— Vous essaierez de découvrir tout ça vous-même… Moi, je sais exactement ce qui m’attend… J’ai cinq ans à purger au Danemark pour complicité de vol à main armée et rébellion… C’est là que j’ai attrapé cette balle…

Elle désignait son sein droit.

— Pour le reste, ceux d’ici se débrouilleront !

— Où avez-vous fait la connaissance d’Isaac Goldberg ?

— Je ne marche pas…

— Il faudra pourtant bien que vous parliez.

— Je serais curieuse de savoir comment vous comptez vous y prendre…

Elle répondit tout en mangeant de la langouste sans pain, car il n’en restait plus dans la maison. On entendait dans le salon un agent qui faisait les cent pas, tout en surveillant Michonnet affalé dans un fauteuil.

Deux voitures stoppèrent en même temps devant la grille… Celle-ci fut ouverte et les autos entrèrent dans le parc, contournèrent la maison pour s’arrêter au pied du perron.

Dans la première, il y avait un inspecteur, deux gendarmes, ainsi que M. Oscar et sa femme.

L’autre voiture était le taxi de Paris, et un inspecteur y gardait un troisième personnage.

Les uns et les autres avaient les menottes aux poings, mais ils gardaient des visages sereins, hormis la femme du garagiste, qui avait les yeux rouges.

Maigret fit passer Else dans le salon, où Michonnet tenta une fois de plus de se précipiter vers elle.

On introduisait les prisonniers. M. Oscar avait à peu près la désinvolture d’un visiteur ordinaire, mais il fit la grimace en apercevant Else et l’assureur. L’autre, au type italien, voulut crâner.

— Mince de réunion de famille !… C’est pour une noce, ou pour l’ouverture d’un testament ?…

L’inspecteur expliquait à Maigret :

— C’est une chance de les avoir sans casse… En passant à Etampes, nous avons embarqué deux gendarmes qui avaient été alertés et qui avaient vu passer la voiture sans pouvoir l’arrêter… A cinquante kilomètres d’Orléans, les fuyards ont crevé un pneu. Ils se sont arrêtés au milieu de la route et ont braqué sur nous leurs revolvers… C’est le garagiste qui s’est ravisé le premier… Sinon, c’était une bataille en règle…

» Nous nous sommes avancés… L’Italien a quand même tiré deux balles de browning, sans nous atteindre…

— Dites donc ! Chez moi, je vous donnais à boire… Laissez-moi vous dire qu’il fait soif… remarqua M. Oscar.

Maigret avait fait chercher le mécanicien prisonnier dans le garage. Il eut l’air de compter son monde.