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Il s’excusa d’un vague sourire.

— De bien mesquines nécessités, comme vous le voyez, mais des nécessités impérieuses… J’ai besoin d’argent…

Il retira un instant son monocle noir pour mieux le caler dans l’orbite et Maigret détourna la tête, car il n’aimait pas rencontrer le regard fixe de son œil de verre.

— Votre sœur ?

— Précisément… J’allais vous en parler… Est-ce trop vous demander de faire surveiller de temps en temps la maison ?…

Trois voitures sombres montaient la côte venant d’Arpajon, tournaient à gauche dans la direction d’Avrainville.

— Qu’est-ce que c’est ?…

— Le Parquet… Mme Goldberg a été tuée cette nuit, au moment où elle sortait d’une auto, en face de l’auberge…

Maigret épiait ses réflexes. De l’autre côté de la rue, M. Oscar faisait en face de son garage une balade paresseuse.

— Tuée !… répéta Carl.

Et, avec une soudaine nervosité :

— Ecoutez, commissaire !… Il faut que j’aille à Paris… Je ne peux pas rester sans argent, surtout le jour où les fournisseurs présentent leur facture… Mais je veux, dès que je reviendrai, aider à la découverte du coupable… Vous m’y autoriserez, n’est-ce pas ?… Je ne sais rien de précis… Mais je pressens… comment dire ?… je devine la trame de quelque chose…

Il dut serrer le trottoir de plus près, parce qu’un camion, qui revenait de Paris, cornait pour réclamer le passage.

— Allez ! lui dit Maigret.

Carl salua, prit encore le temps d’allumer une cigarette avant d’embrayer, et le tacot descendit la côte, gravit lentement l’autre versant.

Trois voitures étaient arrêtées à l’entrée d’Avrainville et des silhouettes s’agitaient.

— Vous ne voulez pas prendre quelque chose ?

Maigret fronça les sourcils en regardant le garagiste souriant, qui ne se décourageait pas de lui offrir à boire.

Tout en bourrant une pipe, il s’achemina vers la maison des Trois-Veuves, dont les grands arbres étaient pleins de vols et de piaillements d’oiseaux. Il dut passer devant la villa des Michonnet.

Les fenêtres étaient ouvertes. Au premier étage, dans la chambre à coucher, on voyait Mme Michonnet, un bonnet sur la tête, occupée à secouer une carpette.

Au rez-de-chaussée, l’agent d’assurances, sans faux col, non rasé, les cheveux mal peignés, regardait la route d’un air à la fois lugubre et distant. Il fumait une pipe d’écume à tuyau de merisier. Quand il aperçut le commissaire, il feignit d’être occupé à vider cette pipe et il évita de le saluer.

Quelques instants plus tard, Maigret sonnait à la grille de la maison Andersen. Il attendit en vain pendant dix minutes. Toutes les persiennes étaient fermées. On n’entendait aucun bruit, sinon le murmure continu des oiseaux qui transformaient chaque arbre en un monde en effervescence.

Il finit par hausser les épaules, examina la serrure, choisit un passe-partout qui fit jouer le pêne. Et, comme la veille, il contourna le bâtiment pour atteindre les portes-fenêtres du salon.

Il y frappa, n’obtint pas davantage de réponse. Alors il entra, têtu, grognon, jeta un regard au phonographe ouvert, muni d’un disque.

Pourquoi le fit-il tourner ? Il n’aurait pas pu le dire. L’aiguille grinça. Un orchestre argentin joua un tango tandis que le commissaire s’engageait dans l’escalier.

Au premier, la chambre d’Andersen était ouverte. Près d’une penderie, Maigret avisa une paire de chaussures qui venaient sans doute d’être cirées, car la brosse et la boîte de crème étaient encore à côté, tandis que le plancher était étoilé de boue pulvérisée.

Le commissaire avait relevé, sur un papier, le contour des empreintes découvertes dans le champ. Il compara. La similitude était absolue.

Et pourtant il n’eut pas un tressaillement. Il ne parut pas se réjouir. Il fumait toujours, aussi maussade qu’à son réveil.

Une voix féminine s’éleva.

— C’est toi ?…

Il hésita à répondre. Il ne voyait pas celle qui parlait. La voix venait de la chambre d’Else, dont la porte était close.

— C’est moi… finit-il par articuler aussi confusément que possible.

Un silence assez long. Puis soudain :

— Qui est là ?…

Il était trop tard pour tricher.

— Le commissaire, qui est déjà venu hier… Je serais désireux de vous dire quelques mots, mademoiselle…

Un silence encore. Maigret essayait de deviner ce qu’elle pouvait bien faire de l’autre côté de cette porte que soulignait un mince filet de soleil.

— Je vous écoute… dit-elle enfin.

— Vous seriez aimable de m’ouvrir la porte… Si vous n’êtes pas habillée, je puis attendre…

Toujours ces silences crispants. Un petit rire.

— Vous me demandez une chose difficile, commissaire !

— Pourquoi ?

— Parce que je suis enfermée… Il faudra donc que vous me parliez sans me voir…

— Qui vous a enfermée ?

— Mon frère Carl… C’est moi qui le lui demande quand il sort, tant j’ai peur des rôdeurs…

Maigret ne dit rien, tira son passe-partout de sa poche et l’introduisit sans bruit dans la serrure. Sa gorge se serrait un peu. Peut-être des pensées troubles lui passaient-elles par la tête ?

Quand le pêne joua, d’ailleurs, il ne poussa pas l’huis immédiatement et préféra annoncer :

— Je vais entrer, mademoiselle…

Une impression étrange. Il était dans un corridor sans soleil, aux murs ternes, et soudain il pénétrait dans un décor de lumière.

Les persiennes étaient closes. Mais les lattes horizontales laissaient jaillir de larges faisceaux de soleil.

Si bien que toute la chambre était un puzzle d’ombre et de lumière. Les murs, les objets, le visage d’Else lui-même étaient comme découpés en tranches lumineuses.

A cela s’ajoutait le parfum sourd de la jeune femme et d’autres détails imprécis, du linge de soie jeté sur une bergère, une cigarette orientale qui brûlait dans un bol de porcelaine, sur un guéridon de laque, Else enfin, en peignoir grenat, étendue sur le velours noir du divan.

Elle regardait s’avancer Maigret avec, dans ses prunelles écarquillées, une stupeur amusée, mêlée peut-être d’une toute petite pointe d’effroi.

— Qu’est-ce que vous faites ?

— J’avais envie de vous parler… Veuillez m’excuser si je vous dérange…

Elle rit, d’un rire de gamine. Une de ses épaules sortit du peignoir, qu’elle remonta. Et elle restait couchée, blottie plutôt sur le divan qui, comme le décor tout entier, était zébré de soleil.

— Vous voyez… Je ne faisais pas grand-chose… Je ne fais jamais rien !…

— Pourquoi n’avez-vous pas accompagné votre frère à Paris ?

— Il ne veut pas. Il prétend que la présence d’une femme est gênante quand on traite des affaires…

— Vous ne quittez jamais la maison ?

— Si ! pour me promener dans le parc…

— C’est tout ?

— Il a trois hectares… C’est assez pour me dégourdir les jambes, n’est-ce pas ?… Mais-asseyez-vous, commissaire… Cela m’amuse de vous voir ici en fraude…

— Que voulez-vous dire ?

— Que mon frère fera une drôle de tête en rentrant… Il est plus terrible qu’une mère… Plus terrible qu’un amant jaloux !… C’est lui qui veille sur moi, et vous vous rendez compte qu’il prend son rôle au sérieux…

— Je croyais que c’était vous qui vouliez être enfermée, par crainte des bandits…

— Il y a de ça aussi… Je me suis tellement habituée à la solitude que j’ai fini par avoir peur des gens…

Maigret s’était assis dans une bergère, avait posé sur le tapis son chapeau melon. Et, chaque fois qu’Else le regardait, il détournait la tête, parce qu’il n’arrivait pas à s’accoutumer à ce regard-là.

La veille, elle n’avait été pour lui que mystérieuse. Dans la pénombre où il l’avait vue, presque hiératique, elle avait ressemblé à une héroïne de l’écran et l’entrevue avait gardé un caractère théâtral.