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Miss Victoria Hunt vécut, sur ce banc, l’instant culminant de son existence. Elle ne parvenait pas à se rassasier. Des sanglots la secouaient et elle émettait des sortes de râles, évocateurs d’une agonie difficile. Ils attirèrent l’attention de différents promeneurs qui, bien qu’ils fussent britanniques, jugèrent charitable de lui porter secours. Mais constatant que les mains de la jolie nurse s’engouffraient dans une braguette de nain, ils passèrent leur chemin, terriblement choqués de ces privautés qu’ils estimèrent « contre nature ».

Il s’ensuivit entre sir David et miss Hunt des relations surprenantes que ce livre se propose de raconter.

* * *

Elle l’attendait dans le studio, sobrement vêtue de bas résille et d’un porte-jarretelles de dentelle noire brodée de fleurettes bleu pâle. Une chaleur de serre lui permettait cette tenue. Un amour inextinguible de la lecture faisait qu’elle ne s’ennuyait jamais. Victoria dévorait de gros volumes consacrés à la littérature sentimentale, la seule qui la ravît, bien qu’elle fût passablement cultivée. Son tempérament romanesque la poussait à transformer sa liaison avec le fils de lord Jeremy en conte de fées.

Malgré son nanisme, elle le trouvait superbe. Son regard couleur ardoise la mettait en moiteur et son sexe démesuré la rendait hystérique. Elle éprouvait, depuis son plus jeune âge, un besoin de soumission qui s’accomplissait pleinement avec David. Beaucoup de femmes se rêvent esclaves. Il la subjuguait si complètement qu’elle voyait sa propre personnalité lui échapper progressivement. Sa conversation l’éblouissait et le plus sombre de ses caprices, le plus cruel de ses actes prolongeaient la félicité qu’elle ressentait en sa compagnie.

Elle vit tout de suite son expression triomphante et fut comblée.

Sans mot dire, il jeta l’escarpin sur le canapé, avec le geste blasé du chasseur exhibant un gibier rare.

Victoria avança timidement ses doigts vers le trophée.

— C’est à « elle » ?

Le sourire orgueilleux du nain le lui confirma.

— Mais que va-t-elle penser en ne le retrouvant pas ?

Sir David haussa les épaules, la question le laissait indifférent. Sa « nurse » ne put retenir un rire espiègle en évoquant la princesse en train de quitter l’hôtel particulier des Bentham privée de l’une de ses chaussures.

— Vous êtes un homme étourdissant ! assura-t-elle.

3

Il s’allongea sur le grand canapé, au côté de Victoria, caressant la chaussure de lady Di comme s’il se fût agi d’un animal familier.

Ce n’était pas la première fois qu’il se dissimulait sous la grande table pour contempler les cuisses des invitées de sa mère. Sir David possédait un Nikon très sophistiqué avec lequel il lui arrivait de prendre des photographies de leur intimité. Généralement, sa moisson d’images n’offrait pas grand intérêt à cause de ces satanés collants que, jeunes ou vieilles, elles s’obstinaient à porter. Il se consolait de ses échecs en se livrant à des farces pendables. Ainsi, ayant trouvé des préservatifs dans l’un des réticules qu’elles posaient à leurs pieds, il en avait saupoudré l’intérieur de piment, et procédé de même avec des tampons périodiques ou des Kleenex, avec le regret que ces innocentes niches fussent peu gratifiantes pour lui, puisque le résultat lui en échappait.

Le nain considérait la malfaisance comme un art noble ; il aimait nuire avec passion. Doté d’un esprit inventif, il renouvelait inlassablement ses trouvailles. Il agissait moins par vice, peut-être, que par goût du risque. Il possédait un tempérament espiègle. Parfois, il s’habillait comme un garçonnet, jouait au demeuré, pour aborder une femme et l’implorer de lui faire faire pipi en l’appelant « mamy ». Il choisissait généralement des femmes au visage avenant qu’il présumait compatissantes. La plupart du temps, ses victimes, embarrassées, acceptaient de le conduire dans un lieu propice à cette libération. Il les laissait s’affairer sur ses brailles, se repaissait de leur effarement quand elles en dégageaient un sexe de cheval, roide et vibrant comme la corde d’un arc. Sir David en profitait pour glisser la main sous leurs jupes et palper violemment leur toison pubienne à travers les étoffes chargées de la défendre. Affolées, n’osant crier, les charitables personnes se débattaient silencieusement ; l’une d’elles, trouvant probablement l’aventure cocasse, se laissa tripoter sans regimber et y prit un plaisir dont le fils de lord Bentham conserva durant plus de vingt-quatre heures le souvenir au bout des doigts.

Lorsque Victoria Hunt survint dans son existence, qu’il l’eut « initiée », puis « formée », il connut la confortante sensation que doit éprouver un joueur de football accédant à la Ligue professionnelle. Le champ de ses expériences s’élargit et il se sentit invincible. Par son enthousiasme, elle cautionnait ses « frasques ». Elle adhérait à toutes ses entreprises, principalement aux pires, les peaufinait quand elle le pouvait. Ce qu’elle lui apportait allait bien au-delà de la complicité : elle devint sa muse.

Le père de la jeune femme avait, pendant vingt ans, travaillé pour la brigade de répression des jeux à Scotland Yard. On l’en avait brutalement radié après qu’eut disparu une très importante somme d’argent dans une salle clandestine tenue par le gratin de la pègre londonienne. A la suite de ce sombre licenciement, Jack Hunt ouvrit un bar plutôt équivoque dans la périphérie de Wapping, près des docks. Il divorça et prit pour concubine une virago à la rousseur de clown.

La mère de Victoria, Lisbeth, qui adorait son époux, faillit mourir de chagrin. Pour réagir contre la neurasthénie, elle se mit à boire et devint assez rapidement la plus considérable alcoolique de son quartier, au point qu’elle interrompit toute activité (elle était caissière dans un drugstore) et passa désormais sa vie installée dans un fauteuil, consommant une folle quantité de liqueurs étranges dont les couleurs soulevaient l’estomac.

La fille de ce couple à la dérive termina son école de nurses contre vents et marées et, courageusement, assura la vie matérielle de sa mère.

Sa profession, contrairement à ce qu’elle pensait au départ, ne lui apporta pas les satisfactions qu’elle en escomptait. Se vouer à des bébés de riches, porteurs des gènes de leurs parents, lui parut rapidement une occupation ingrate. Elle trouva « ses nourrissons » antipathiques. Leurs cris féroces la déprimèrent davantage que les récriminations de leurs procréateurs. Au cours des nuits blanches qu’elle passait près de leurs berceaux, elle exerçait sur eux d’innocents sévices, tels que leur proposer des biberons brûlants, leur tordre les testicules (quand il s’agissait de petits mâles), enduire leurs sucettes de moutarde extra-forte, ou même leur faire absorber des barbituriques.

Sa rencontre passionnelle avec le fils de lord Bentham lui permit d’échanger cette existence de galère contre une vie étourdissante où le luxe, le crime et la jouissance venaient remplacer ses rêves étiolés de jadis.

Etre la partenaire de ce nain machiavélique devait constituer l’époque la plus enthousiasmante de son étrange destin.

En compagnie de sir David, toutes les conventions, toutes les contraintes tombaient ; riche, puissant, il ignorait la notion du mal, ce qui le rendait totalement libre.

Elle le devint également ; avec lui et pour lui.

* * *

Sir David caressait la chaussure princière, dans l'espoir d'un trouble qui tardait à se manifester. Comme à peu près tous les hommes du Royaume-Uni, lady Di le faisait délirer. Il souhaitait lui pratiquer de perverses intromissions et fixer ces instants rares sur des clichés artistiques, afin d’en conserver la plaisante image. Victoria, qui connaissait son dessein, ne cherchait pas à l’en détourner, sachant combien il était imperméable à la discussion. Elle jugeait préférable de lui prêcher la patience.