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Victoria avec frénésie, David distraitement.

Elle s’endormit aussitôt après, en chien de fusil, le menton sur son poing fermé. Lui, laissa briller la veilleuse comme il le faisait la plupart du temps car il avait un sommeil tourmenté de tsar.

Ses mains croisées au plus juste sur sa poitrine développée par les exercices de musculation, il se remémorait les paroles de son géniteur relatives à son inactivité. Habituellement, les rabâchages du vieil homme le laissaient de marbre. Pourquoi, ce soir, les recevait-il avec autant de violence ? Ils le meurtrissaient parce qu’il en réalisait la justesse.

Effectivement, un désarroi endémique stagnait en lui, le mettait en porte-à-faux avec les autres. Hormis sa position de fils de lord, rien n’apportait une quelconque assise à sa vie. Son père se consacrait à l’écriture chaotique de ses mémoires, sa mère vivait pour sa peinture, son frère pour ses affaires ; mais lui ? Lui, l’infirme malfaisant, l’inoccupé aux farces monstrueuses, sur quels fondements reposait son existence ? Il enchaînait un jour à celui qui le précédait, sans rien attendre. Il trichait, il traquait, et s’efforçait de connaître, grâce au crime, des sensations fortes susceptibles de l’arracher à la torpeur de son triste destin.

A un moment donné, Victoria respira un peu plus fort et il la regarda. Il fut frappé par sa beauté. Elle détenait un charme particulier, dont il était parfaitement conscient. Peut-être parviendrait-il à l’aimer un jour ? A coup sûr, elle représentait son unique « chance ». Jamais une autre femme ne pourrait le chérir de cette manière fanatique, calquer à un tel point sa vie sur la sienne. Il possédait suffisamment d’autocritique pour comprendre qu’avec Victoria, il tenait le seul être capable de lui vouer une véritable passion.

Une grisante exaltation lui insufflait, pour la première fois, un réel bonheur de vivre.

10

Il s’éveilla tard. Quand sa lucidité l’eut réintégré, il avisa la nurse, assise en tailleur au pied du lit, qui le contemplait.

Voyant qu’il était réveillé, elle dit :

— Vous dormiez merveilleusement bien.

Elle eut envie d’ajouter : « comme un enfant », mais craignit qu’il le prît mal.

— Savez-vous qu’il est plus de midi, sir ?

— J’aurais cru davantage. Vous voulez bien commander le breakfast ? Lait et porridge, toasts et marmelade. Vous préviendrez l’office que nous ne dînerons pas ici ce soir.

Elle répercuta docilement ces instructions par le téléphone interne. S’abstint de lui demander où il comptait prendre le repas du soir. Généralement il appréciait peu les lieux publics car on le regardait comme une attraction de baraque foraine. Chaque fois qu’il entrait dans un restaurant ou un magasin, il repensait au film Eléphant Man. Sa personne inspirait beaucoup de curiosité et peu de compassion.

Il avait lu dans un livre des « records » que l’un des plus petits nains homologués affichait une taille de soixante-huit centimètres. Soit une quarantaine de moins que lui. Or, sir David figurait, avec son mètre zéro quatre, parmi les plus petits individus du Royaume-Uni.

Il chassa ses pensées désagréables et déclara :

— Je vous emmène passer la soirée au Red Lion.

Elle connaissait ce pub ancien de Charles Street à la façade vénérable ; l’établissement datait de 1752 et, bien que d’aspect accueillant, imposait le respect. Miss Victoria le savait fréquenté par la gentry de Mayfair qui, en tenue du soir, venait y côtoyer des hommes du peuple à boucles d’oreilles et jeans déchirés. Qu’il la conduisît dans ce lieu si particulier éblouissait la jeune fille.

— Je suis confuse, murmura-t-elle, ne trouvant rien de mieux pour exprimer sa satisfaction.

Sir David eut plaisir à la vue de sa joie.

* * *

Planté, nu, devant la psyché de son dressing-room, le nain s’abandonnait à la délectation morose. Ce qui le désespérait par-dessus tout, c’étaient ses jambes brèves et torses, caractéristique première de sa difformité. Par contre, il se réjouissait de rompre avec les lois du nanisme grâce à une tête de dimension normale. Il se félicitait de veiller à la musculation de son corps. Ses pectoraux se présentaient comme ceux d’un athlète, modèle réduit. Il faisait saillir et rouler ses muscles complaisamment, par des sollicitations répétées. Plusieurs années auparavant, il avait tenté de se grandir grâce à l’ingéniosité de son bottier ; résultat négatif. A cause des quelque huit centimètres acquis, il donnait l’impression de s’être juché sur un socle, ce qui rendait son infirmité plus pitoyable.

Lorsqu’il se livrait à cet auto examen, il étudiait consciencieusement son individu, passant des points les plus affligeants à ceux qui lui donnaient quelque sujet de réconfort. Il achevait régulièrement son inspection intime par son formidable sexe et, chaque fois, en retirait une certaine euphorie. Ce membre surcalibré le rassurait car il savait que peu d’hommes étaient aussi puissamment pourvus. L’extrémité de ce beau cadeau de la nature atteignait ses genoux. Même au repos, il était d’un volume confondant.

Sir David appela sa nurse. Après chacun de ses examens intimes, il requérait ses services. Elle le savait et attendait son bon vouloir avec une impatience qui la préparait heureusement à sa prestation. Elle portait déjà la « tenue adéquate », à savoir la partie supérieure d’une baby-doll ayant eu son heure de gloire avant qu’elle fût née.

Victoria s’asseyait en tailleur devant la glace et accomplissait avec ravissement les différentes pratiques que le nain lui ordonnait. A leur vue, sir David acquérait un phallus impressionnant. Une sorte d’hystérie saisissait alors la nurse, que son amant mettait à profit. Ses initiatives l’emportaient vers des sommets.

Après l’amour, le nain ne se sentait pas triste, mais profondément désœuvré. Une envie de nuisance s’emparait de lui, comme une obligation de faire payer à quelqu’un d’autre le bonheur qu’il venait d’accorder à sa partenaire.

Il tournait en rond, shootait dans les coussins en marmonnant des invectives qui ne s’adressaient à personne.

De guerre lasse, il alluma un de ses cigares préférés, dont la bague portait les armes des Bentham.

Devant cet énervement croissant, la nurse s’informa de ce qui le motivait.

— Croyez-vous qu’il serait déraisonnable de supprimer lady Mary, ma belle-sœur ? lui demanda-t-il brusquement.

— Rien ne serait plus fâcheux ! assura la pertinente jeune fille, car vous êtes de ses intimes. Je vous l’ai déjà dit : les soupçons se porteraient sur vous, comme sur tous ses familiers.

— Je hais cette garce aux grands airs !

— Elle aussi vous hait, sir, n’en doutez pas. Ce genre de sentiment entraîne automatiquement la réciproque.

— Alors quoi ? demanda-t-il, hébété.

Il lui saisit les mains et les pressa frénétiquement.

— Victoria, mon cher ange gardien, je dois absolument trouver un châtiment somptueux, mais de tout repos pour moi. Votre qualité de femme devrait vous permettre de me guider.

— Je vais y réfléchir, sir.

11

Le soir, ils s’habillèrent pour se rendre au Red Lion. Dans son smoking noir, sir David évoquait un artiste de music-hall. On s’attendait à le voir jaillir d’une malle dûment ficelée ou exécuter un numéro de dresseur de chiens. Il portait un gardénia blanc à la boutonnière et avait le cheveu plaqué par du gel. Ses épais sourcils ombrageaient un regard toujours ténébreux qui considérait la vie comme une bête à dépecer.

Il demanda à sa nurse de virevolter pour que se soulève sa jupe de soie moirée ; après quoi il voulut qu’elle vienne à lui et palpa son intimité. Son mécontentement fut instantané quand il constata qu’elle portait un collant. Il sortit de son gousset un canif d’or gris et dégagea les petits ciseaux incorporés pour le fendre sur une vingtaine de centimètres.