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Le téléphone sonna. Agacée, Joyce alla répondre. C’était Herb, l’agent de change de Gene Shirak. Il s’excusa de déranger Joyce, tourna autour du pot et finalement demanda :

— Gene n’a pas été à Vegas, ces jours-ci ?

— À Vegas ? Non, répliqua Joyce. (Elle ne voyait pas où Herb voulait en venir.) Pourquoi ?

Devant l’hésitation du « Broker », Joyce se fit chatte, ronronna, oublia sa rancœur. Elle voulait savoir :

— C’est toujours gênant de dire cela, avoua Herb. Gene vient de me téléphoner pour m’ordonner de tout vendre et de tenir l’argent à sa disposition… J’étais contre cette décision, car ce n’est vraiment pas le moment de vendre. Mais il a tellement insisté que j’ai obéi. Après tout, c’est son argent… Mais je pensais qu’il s’était peut-être laissé embarquer dans un gros poker, comme la dernière fois…

« Son » argent. Joyce fumait. Il lui fallut un effort surhumain pour retrouver son calme. Le poker auquel Herb faisait allusion leur avait coûté 70 000 dollars… En une nuit. Mais depuis, Gene n’avait jamais rejoué.

— Non, Herb, Gene n’a pas joué, dit-elle. Je crois qu’il envisage une grosse spéculation immobilière. J’espère que cela marchera…

— J’espère aussi, conclut le « Broker » qui avait hâte de voir revenir un gros client. Mais surtout, ne parlez pas de mon coup de téléphone à Gene. Il pourrait se vexer.

— Vous pouvez compter sur moi, dit Joyce, doucereuse. Il pouvait compter sur elle. À peine raccroché, elle jeta l’appareil à travers la pièce. Un flot d’ordures s’échappait de sa bouche, elle hurlait des imprécations. Ainsi, ce fumier se préparait à la plaquer !

Effrayé, le Navajo disparut dans la cuisine.

Un peu calmée. Joyce alla se laver le visage. Cela ne servirait à rien de faire une scène à Gene. Il fallait être plus maligne que lui. Qu’il parte, mais sans l’argent. Elle s’assit et tenta de faire le point.

Pourquoi Gene s’enfuyait-il ? Et avec qui ?

Pendant qu’elle réfléchissait, la sonnette de la porte d’entrée fit entendre son timbre à deux tons. Joyce regarda à travers la glace du living-room et aperçut l’homme blond à qui elle avait jeté un verre à la tête.

Elle le soupçonnait de savoir beaucoup de choses sur son mari. Par lui, elle parviendrait peut-être à battre Gene Shirak sur son propre terrain. Elle se recoiffa sommairement et alla ouvrir.

* * *

Malko sentait que la femme en face de lui pouvait considérablement l’aider. Mais elle était intelligente et rusée. Il décida de jouer cartes sur table.

— Madame Shirak, attaqua-t-il, votre mari s’est mis dans une situation difficile. Il est mêlé à une histoire très grave intéressant la sécurité du pays. Je travaille moi-même pour une agence fédérale et je pense que vous pourriez le conseiller utilement.

Joyce ne broncha pas :

— Je ne suis pas au courant des affaires de mon mari, répondit-elle, et ce que vous me dites m’étonne beaucoup. C’est un honnête homme.

Il fallait un sacré tempérament pour dire cela sans sourire. Même bourré de marijuana jusqu’aux yeux, personne n’aurait songé à qualifier Gene d’honnête homme. L’amour est aveugle.

En dépit de ce calme apparent, Malko sentait la nervosité de Joyce. Il fallait trouver le défaut de la cuirasse. Il caressa la femme de Gene de ses yeux dorés.

— Joyce, dit-il d’un ton pressant, si vous n’intervenez pas, vous risquez d’en subir les conséquences.

Elle ferma les yeux, se revit portant les plateaux à la cantine d’Universal. Elle n’avait pas le courage de recommencer à zéro. Tant pis pour Gene.

Quand elle releva la tête, ses yeux n’avaient plus aucune expression.

— Gene est en possession d’une très grosse somme d’argent en ce moment, dit-elle à voix basse, 3 ou 400 000 dollars. Il vient de les retirer de son « Broker ». En liquide. Je veux cet argent. Je vous dirai alors ce qui vous intéresse.

Malko était sur des charbons ardents.

— C’est-à-dire ?

Elle eut un sourire las.

— Ne me prenez pas pour une imbécile. Je n’ouvrirai la bouche que contre l’argent.

Malko se leva et lui baisa la main.

— À bientôt, madame Shirak.

Il avait au moins appris une chose : Gene Shirak se préparait à partir. Il manquait encore des morceaux du puzzle, mais celui-là était de taille.

Chapitre XVIII

Malko n’écouta pas Carrol qui le suppliait de ne pas entrer dans le bureau. Sa rage couvait depuis la veille. Toute la soirée, il avait discuté avec Albert Mann. Il n’existait aucun moyen légal de retenir le producteur s’il avait envie d’aller au Mexique.

Gene Shirak eut une grimace de rage lorsqu’il aperçut Malko.

— Qu’est-ce que vous foutez ici ? aboya-t-il. Vous ne pouvez pas vous faire annoncer, comme tout le monde. Carrol ! Carrol !

Malko ôta ses lunettes noires. Ses yeux jaunes étaient aussi dépourvus d’expression que ceux de Sun. Le producteur, hors de lui, se leva, contourna son bureau et fonça sur Malko.

— Out, éructa-t-il. Ici, je suis chez moi. Malko ne broncha pas.

— Monsieur Shirak, demanda-t-il calmement, pourquoi vous préparez-vous à vous enfuir, puisque vous n’avez rien à vous reprocher. Vous avez retiré tout votre argent liquide de chez votre broker. Pourquoi ?

Il crut que le producteur allait lui sauter à la gorge. Gene Shirak était devenu livide. Il tenta de parler, mais la rage l’étouffait. Ce ne pouvait être que Joyce… Mais comment avait-elle su ? Il aurait dû la noyer dans la piscine depuis longtemps.

— C’est mon argent ! hurla Gene Shirak, foutez le camp. Malko avait encore dans les oreilles la voix de Daphné en train de mourir. Gene Shirak ne s’en tirerait pas aussi facilement. Il restait un ultime bluff à tenter. Il s’avança jusqu’à un téléphone et décrocha.

— Vous allez donc vous expliquer avec le FBI, annonça-t-il paisiblement.

Le visage plat de Gene Shirak sembla s’aplatir encore. Sa main plongea machinalement dans un tiroir et ressortit tenant son colt 38 Cobra, cadeau du shérif.

— Vous n’allez appeler ni le FBI ni personne, dit Gene Shirak.

Malko essaya de rester calme, l’arme braquée sur lui.

— Si vous m’abattez, vous aurez toute la police de Los Angeles aux trousses dans deux heures, dit-il. Vous n’arriverez même pas au bout du Sunset… D’ailleurs, je crois que vous n’arriverez plus nulle part maintenant.

Gene Shirak continuait à braquer son arme sur Malko, hagard. Le canon s’abaissa légèrement.

Puis il posa le pistolet sur le bureau, ramassa une lourde serviette noire posée derrière le bureau et l’ouvrit, face à Malko. Elle était pleine de liasses de billets. Des centaines de milliers de dollars. Les yeux pâles du producteur fixèrent son vis-à-vis.

— Combien ?

Malko secoua la tête. Pourtant, avec ce qu’il avait dans sa serviette, il pouvait terminer son château et vivre enfin selon son rang sans courir le monde en flirtant avec la mort.

— Ce n’est pas une question de prix, dit-il.

Gene Shirak hésita imperceptiblement. La serviette était toujours ouverte devant lui. Il eut un regard pour les billets puis pour Malko. Le temps pressait.

Sa main se posa sur le « Cobra ».

— Je vous donne cent mille dollars cash, et vous quittez ce bureau ? O.K. ?

Comme pour matérialiser son offre, il prit une liasse de billets et la jeta sur le bureau. Malko secoua la tête.

— Vous ne comprenez pas. L’argent n’achète pas tout. Brutalement, le producteur ferma la serviette noire, sans même récupérer la liasse qui se trouvait devant lui, de la main droite, il prit le Cobra et le braqua sur l’estomac de Malko.