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— Ça ne veut rien dire, protesta le garde.

— Les mots de passe ne veulent jamais rien dire, répondit Everard d’un ton hautain.

Le Saxon s’éloigna dans un cliquetis métallique en hochant tristement la tête. Toutes ces idées nouvelles !

— Etes-vous sûr que ce soit très astucieux ? demanda Whitcomb. Il va se tenir sur ses gardes, à présent.

— Je sais qu’un personnage de son importance ne perdrait pas son temps pour un étranger quelconque. L’affaire presse, mon vieux ! Jusqu’à présent, il n’a rien fait de permanent, pas même assez pour que sa légende se perpétue. Mais si le roi Hengist réalisait une véritable alliance avec les Bretons…

Le garde revint, grommela quelque chose et les conduisit en haut des marches, puis à travers le péristyle. Au-delà se trouvait l’atrium, une pièce de bonne taille où des tapis modernes en peau d’ours faisaient contraste avec le marbre ébréché et la mosaïque décolorée. Un homme se tenait debout devant un grossier lit de bois. A leur entrée, il leva la main et Everard aperçut le mince canon d’un désintégrateur du XXXe siècle.

— Gardez vos mains bien en vue et à l’écart de votre corps, leur dit-il doucement. Autrement, il me faudra sans doute vous anéantir en jouant les lanceurs de tonnerre.

Whitcomb eut le souffle coupé, mais Everard s’attendait assez à cette réception. Néanmoins, il se sentait l’estomac noué.

Stane le sorcier était un homme de petite taille, vêtu d’une belle tunique brodée qui devait provenir de quelque villa bretonne. Son corps mince était bien musclé, sa tête volumineuse, et ses traits d’une laideur assez plaisante sous une masse de cheveux noirs. Un sourire pincé se dessinait sur ses lèvres.

— Fouille-les, Eadgar, commanda-t-il. Prends tout ce qu’ils peuvent porter dans leurs vêtements.

Le Saxon était maladroit, mais il trouva les paralyseurs et les jeta sur le sol.

— Tu peux partir, lui dit Stane.

— Vous ne risquez rien de leur part, maître ? demanda le soldat.

— Avec ceci dans ma main ? Non, va.

Stane sourit plus largement. Eadgar s’éloigna en traînant les pieds.

« Du moins avons-nous encore l’épée et la hache, songea Everard. Mais elles ne nous serviront pas à grand-chose contre cet objet qui nous vise. »

— Ainsi, vous venez bien de demain, murmura Stane. (La sueur brilla soudain sur son front.) Cela m’intriguait. Parlez-vous l’anglais futur ?

Whitcomb ouvrit la bouche, mais Everard le devança, en improvisant, car sa vie était en jeu.

— Quelle langue voulez-vous dire ?

— Celle-ci. (Stane se mit à parler avec un accent particulier, mais d’une façon reconnaissable pour des oreilles du XXe siècle.) Je veux savoir d’où et de quand vous venez, vos intentions et tout le reste. Dites-moi la vérité ou je vous réduis en cendres.

Everard hocha la tête.

— Non, répondit-il en saxon. Je ne vous comprends pas.

Whitcomb lui lança un coup d’œil, mais se tut, prêt à suivre la voie tracée par l’Américain. L’esprit d’Everard fonctionnait activement, sous l’aiguillon du désespoir ; il comprenait que la mort le guettait à la première erreur.

— A notre époque, nous parlions ainsi.

Il se mit à débiter une tirade de jargon mexicano-espagnol.

— Ainsi… une langue latine ! (Les yeux de Stane s’enflammèrent. Le désintégrateur tremblait dans sa main.) De quand venez-vous ?

— Du XXe siècle après Jésus-Christ. Notre pays s’appelle Lyonesse. Il se trouve de l’autre côté de la mer occidentale…

— L’Amérique ! (C’était un soupir.) L’a-t-on jamais appelé Amérique ?

— Non. Je ne sais pas de quoi vous parlez.

Stane ne put réprimer un frisson. Il se domina.

— Vous connaissez la langue romaine ?

Everard fit un signe affirmatif.

Stane éclata d’un rire nerveux.

— Dans ce cas, utilisons-la. Si vous saviez combien je suis écœuré de ce langage de porcs qu’est le saxon…

Son latin était un peu décadent, appris évidemment en ce siècle, mais assez courant. Il agita son arme.

— Pardonnez-moi mon manque de courtoisie avec ceci. Mais je dois me montrer prudent.

— Naturellement, fit Everard. Ah… je m’appelle Mencius et mon ami Iuvelanis. Nous venons du futur comme vous l’avez deviné. Nous sommes historiens. Notre époque vient juste d’inventer les voyages dans le temps.

— A proprement parler, moi, je suis Rozher Schtein, de l’année 2987. Vous avez… entendu parler de moi ?

— La question est superflue ! fit Everard. Nous sommes revenus à la recherche de ce mystérieux Stane qui semble être l’un des personnages essentiels de l’Histoire. Nous soupçonnions que ce pouvait être un… (il explora son latin à la recherche d’une expression signifiant voyageur dans le temps, et finit par en improviser une)…peregrinator temporis. A présent, nous le savons.

— Trois ans. (Schtein se mit à arpenter fiévreusement la pièce, son arme au bout du bras, mais il était trop loin pour sauter sur lui par surprise.) Trois ans que je suis ici. Si vous saviez combien de fois je suis resté éveillé à me demander si j’allais réussir… Dites-moi, votre monde est-il uni ?

— Le monde et les planètes, dit Everard.

Cela fait longtemps. Il frissonna intérieurement. Sa vie dépendait de son habileté à deviner quels avaient été les plans de Schtein.

— Et vous êtes un peuple libre ?

— Nous le sommes. C’est-à-dire que l’empereur préside, mais c’est le Sénat qui fait les lois, et il est élu par le peuple.

Le visage de gnome de Schtein avait pris une expression quasi sacrée. Il était transfiguré.

— Tel que je l’ai rêvé, murmura-t-il. Merci.

— Vous êtes donc revenu depuis votre propre époque pour… créer l’Histoire ?

— Non, pour la changer.

Les paroles lui venaient, précipitées, comme s’il eût souhaité parler depuis de nombreuses années sans jamais l’oser :

— De plus, en mon temps, j’étais historien. Par hasard, j’ai rencontré un homme qui se prétendait commerçant et venu des lunes de Saturne, mais comme j’y avais moi-même séjourné, je l’ai percé à jour. En faisant des recherches, j’ai appris la vérité. C’était un voyageur temporel venu de très loin dans l’avenir.

« Il vous faut comprendre que l’époque où je vivais était atroce, et en tant qu’historien psychographe, je me rendais bien compte que la guerre, la misère et la tyrannie qui nous accablaient ne provenaient pas d’un mal inné chez l’homme, mais de la simple loi de causalité. Il y avait eu des périodes de paix, même assez prolongées : mais le mal était trop profondément enraciné, l’état de conflit faisait partie de notre civilisation même. Ma famille avait été anéantie au cours d’un raid vénusien, je n’avais rien à perdre. J’ai pris la machine temporelle après… avoir disposé de son propriétaire.

« La grande erreur, me disais-je, avait été commise pendant les siècles obscurs. Rome avait unifié un vaste empire qui connaissait la paix, et de la paix peut toujours naître la justice. Mais Rome s’était épuisée dans l’effort et maintenant se désagrégeait. Les barbares nouveaux venus étaient vigoureux, ils avaient beaucoup de possibilités, mais ils ne tardèrent pas à se corrompre.

« Cependant, prenons l’Angleterre, isolée de l’influence pourrissante de la société romaine. Les Saxons font leur apparition, ce sont des paresseux dégoûtants, mais ils sont forts et ne demandent pas mieux que de s’instruire. Dans mon Histoire, ils avaient tout simplement anéanti la civilisation bretonne, puis, intellectuellement impuissants, ils avaient été englobés par cette nouvelle – et mauvaise – civilisation qualifiée d’occidentale. Je désirais qu’il arrivât quelque chose de meilleur.