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Whitcomb acceptait le fait avec plus de calme, mais ses yeux étaient sans cesse en mouvement, comme pour absorber ce jour de la gloire de l’Angleterre.

Je commence à comprendre, dit-il à voix basse. On ne s’est jamais mis d’accord sur le point de savoir si cette période marque le triomphe des conventions rigides et sans naturel, ou si elle est la dernière fleur de la civilisation occidentale avant le début de sa flétrissure. Rien que de voir ces gens, cela me fait comprendre : c’était à la fois tout ce qu’on en a dit, le bon et le mauvais, car ce n’était pas une simple chose qui arrivait à chacun, mais bien le produit de millions de vies individuelles.

— Naturellement, cela doit être vrai de tous les âges.

Le train n’était guère surprenant, pas tellement différent des voitures de chemins de fer anglais de l’an 1954, ce qui fournit à Whitcomb l’occasion de placer quelques observations sarcastiques sur les inviolables traditions. Au bout de deux heures, le train les déposa dans une gare de village endormie, parmi des jardins de fleurs amoureusement soignés, où ils louèrent une voiture pour les conduire au château de Wyndham.

Un constable poli les fit entrer après leur avoir posé quelques questions. Ils se faisaient passer pour des archéologues

— Everard un Américain, et Whitcomb un Australien – qui avaient été fort désireux de rencontrer Lord Wyndham, et durement éprouvés de sa fin tragique. Mainwethering, qui semblait avoir des accointances dans tous les domaines, leur avait remis des lettres d’introduction signées d’une personnalité bien connue du British Muséum. L’inspecteur de Scotland Yard consentit à leur laisser examiner le tumulus.

— L’affaire est close, messieurs, il n’y a plus d’indices, même si mon collègue n’est pas d’accord, ha, ha !

L’enquêteur privé eut un sourire acide et les observa avec soin tandis qu’ils approchaient du monticule ; il était grand, mince, le visage aigu, et accompagné d’un individu trapu, à moustaches, boiteux, qui paraissait jouer le rôle d’acolyte.

Le tumulus était long et élevé, couvert d’herbe, sauf à l’endroit où une entaille à vif marquait l’entrée des fouilles jusqu’à la chambre funéraire. Celle-ci avait été étayée de poteaux mal équarris, depuis longtemps écroulés ; il y avait encore dans la poussière, des fragments de ce qui avait été autrefois du bois.

— Les journaux ont parlé d’un coffre de métal, dit Everard. Je me demande si nous pourrions y jeter un coup d’œil ?

L’inspecteur acquiesça du geste et les emmena dans une bâtisse extérieure où étaient exposées les principales trouvailles. A part la boîte, il n’y avait que des morceaux de métal corrodé et des ossements écrasés.

Le regard de Whitcomb était pensif en se posant sur la surface polie et nue du petit coffre. Celui-ci brillait d’un éclat bleuté – fait de quelque alliage à l’épreuve du temps, non encore inventé.

— Tout à fait inusité, dit-il. Rien de primitif. On penserait presque que cela a été usiné, n’est-ce pas ?

Everard s’approcha prudemment. Il avait une idée assez juste de ce qui se trouvait à l’intérieur, et faisait montre de la circonspection naturelle en pareil cas chez un citoyen de l’Ere atomique. Il tira un compteur de son sac et le braqua sur la boîte. L’aiguille oscilla, pas beaucoup, mais…

— Un appareil curieux, dit l’inspecteur. Puis-je vous demander ce que c’est ?

— Un électroscope expérimental, mentit Everard. Délicatement, il releva le couvercle et tint le compteur au-dessus de la boîte.

Grand Dieu ! La radio-activité de l’intérieur était suffisante pour tuer un homme en une seule journée. Il entrevit à peine de lourds lingots à l’éclat sourd, avant de rabattre brutalement le couvercle.

— Faites attention à ce truc, dit-il en chevrotant.

Grâce au Ciel, l’individu qui avait transporté ce fardeau mortel était venu d’une époque où l’on savait comment se protéger des radiations !

Le détective privé s’était approché, derrière eux, sans bruit. Son visage perspicace avait une expression de chasseur sur la piste.

— Vous en identifiez donc le contenu, monsieur ? demanda-t-il d’une voix calme.

— Oui… je le crois. (Everard se rappela que Becquerel ne découvrirait pas la radio-activité avant deux ans ; même les rayons X ne verraient le jour que dans un an. Il lui fallait se montrer prudent.) C’est-à-dire… en pays indien, j’ai entendu parler d’un minerai qui serait un poison…

Le compagnon du détective s’éclaircit la gorge.

— Indien, hé ? Curieux pays, l’Inde. Quand j’étais à…

— Ridicule, mon cher, fit le détective, impatienté. Il est sûrement évident, d’après l’accent de ce monsieur, que les Indiens dont il parle sont des Peaux-Rouges… Très intéressant. (Il se mit à bourrer une pipe en terre bien culottée.) Comme les vapeurs de mercure, non ?

— Alors, c’est Rotherhithe qui a placé cette boîte dans la tombe, hein ? marmonna l’inspecteur.

— Ne soyez pas idiot ! s’écria le détective. Je peux prouver de trois façons décisives que Rotherhithe est tout à fait innocent. Ce qui m’a intrigué, c’est la cause réelle de la mort de Sa Seigneurie. Mais si, comme le dit ce monsieur, il se trouvait un poison mortel enterré dans ce tumulus… pour écarter les violateurs de sépultures ? Je me demande pourtant comment les anciens Saxons ont pu se procurer un minerai américain. Peut-être y a-t-il du vrai dans ces théories selon lesquelles les Phéniciens auraient traversé l’Atlantique dans l’Antiquité. J’ai fait moi-même quelques recherches à propos d’une de mes idées, selon laquelle il y aurait des éléments de chaldéen dans la langue galloise. Et ceci semble appuyer ma théorie.

Everard éprouva un sentiment de culpabilité en pensant au tort qu’il causait à l’archéologie. Oh ! après tout, cette boîte serait jetée dans la Manche et vite oubliée. Whitcomb et lui-même trouvèrent un prétexte pour partir le plus vite possible.

Pendant le trajet de retour à Londres, tandis qu’ils étaient en sûreté dans la solitude de leur compartiment, l’Anglais montra un fragment de bois pourri.

— J’ai glissé cela dans ma poche pendant que nous étions dans le tumulus. Cela nous servira à établir une date. Passez-moi ce compteur au radiocarbone, s’il vous plaît. Il plongea le bois dans l’appareil, tourna des boutons, et lut la réponse : Mille quatre cent trente ans, à dix près. Le tumulus a été construit aux environs de l’an… voyons… 464, donc à l’époque où les Saxons commençaient à s’installer dans le Kent.

— Pour que ces lingots aient encore cette activité, murmura Everard, je me demande ce que cela devait être à l’origine ? Difficile de comprendre comment il peut subsister une telle activité, après une aussi longue semi-vie, mais il est vrai que, dans le futur, on est capable de faire avec l’atome des choses dont ma propre époque n’a seulement jamais rêvé.

Après avoir remis leur rapport à Mainwethering, ils se promenèrent pendant une journée tandis que l’agent expédiait des messages dans le temps et mettait en mouvement le mécanisme de la Patrouille. Everard s’intéressait à la Londres victorienne, il en était presque enchanté, en dépit de sa pauvreté et de sa saleté. Whitcomb avait une expression lointaine dans le regard.

— J’aurais aimé y vivre, dit-il.

— Ouais… avec leur médecine et leurs dentistes ?