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Il se nommait Nezahualpilli. Un nom plutôt simple pour un Aztèque. (Essayez donc un peu un de ces mots barbares comme Ixtlilxochitl, qui était le nom de son père.) Il avait fait le grand périple touristique qui comprend, Rome, la Grèce, la Turquie, avec le détour jusqu’à l’Egypte, et maintenant il rentrait chez lui pour se marier. D’après ce que je pus saisir, la future épouse était grosse, d’esprit lent, le visage moustachu, mais sa famille possédait une plantation de cacaoyers aussi vaste que le Yorkshire.

Le mariage avait été arrangé par Papa Ixtlilxochitl et toute protestation de la part de Nezahualpilli lui aurait coûté son héritage. C’était là son problème. Le mien était tout différent, je naviguais vers le Nouveau Monde avec six shillings en poche et pas la moindre idée de ce que j’allais faire, bien décidé toutefois à ce que ce fût quelque chose d’exaltant et de grandiose.

« Tu n’as rien arrangé à l’avance pour ton séjour au Mexique ? » me demanda Nezahualpilli.

« Rien. »

« Alors, que feras-tu ? »

« Je ne sais pas. »

« Nous refusons les indigents. On va t’arrêter et t’envoyer à l’armée. »

« Oh non. Ce n’est pas pour ça que je suis venu au Mexique. »

Il fit encore remarquer : « Mais tu n’as rien d’autre à y faire. »

Je reconnus que c’était vrai. Je reconnus que j’agissais à l’étourdie. J’avais surtout voulu fuir la maison, avec la permission de mes parents, sans doute, mais sans vrai plan pour l’avenir. En m’embarquant pour les Hespérides, je me berçais de l’espoir naïf d’être un de ces audacieux auxquels sourit la fortune.

Je demandai : « Eh bien, toi, que ferais-tu si tu étais à ma place ? »

Nezahualpilli réfléchit un moment, puis répondit : « D’abord, j’irais à Tenochtitlan. La capitale est l’endroit où il se passe quelque chose. Je me mettrais alors à la recherche d’un membre de la famille royale, quelqu’un de jeune et d’ambitieux, et entrerais à son service. À partir de là, tout peut arriver. Nos princes sont assez turbulents. Ils font souvent des projets d’aventures militaires. Si tu choisis bien, tu peux y trouver ton profit. »

« Veux-tu me donner le nom d’un de ces princes, pour que je m’efforce de le rencontrer, à Tenochtitlan ? »

Il haussa les épaules : « Je ne suis pas de cette ville. Je ne me mêle pas de ce genre d’affaires. C’était simplement une suggestion, et qui vaut ce qu’elle vaut. »

Nezahualpilli refusa d’en dire davantage ; je n’insistai pas. Bien qu’Aztèque, il m’était sympathique. J’appris plus tard qu’il n’était pas un pur Aztèque, car il venait de Texcoco, une ville à l’est du grand lac, au cœur du Mexique ancien. Texcoco était déjà une grande ville quand les Aztèques mâchaient encore de la boue, sur les hauts plateaux du Nord, et même à présent, après six siècles, ses habitants ne voient dans les Aztèques que des intrus. Nezahualpilli m’invita à lui rendre visite lorsque je passerais à Texcoco. « Je te présenterai à ma femme, dit-il d’un air lugubre.

Je réfléchis à son conseil pendant que notre bateau approchait du Mexique. Plus j’y pensais, plus l’idée me plaisait. Oui, j’irais trouver quelque vaillant prince, je lui déclarerais hardiment : « Me voici, pour vous servir. Dans mes veines coule le sang du roi Arthur. Richard Cœur de Lion est aussi mon ancêtre. Et Jacques le Valeureux qui s’est baigné dans des fleuves de sang turc. Prenez-moi a votre service, et ensemble, nous atteindrons la gloire. » Oui, c’était ce qu’il fallait faire.

Nous naviguions à présent dans les eaux tropicales. Le soleil étalait sur la moitié du ciel son grand œil jaune et boursouflé. Je commençai à craindre l’effet de ses rayons ardents sur ma peau d’Anglo-Saxon habitué au climat brumeux de Londres ; je décidai de ne m’y exposer que progressivement. Après quelques essais douloureux, j’arrivai à mes fins : au bout de dix jours, je pouvais supporter la brûlure du ciel, à l’exception du soleil de midi, et ma peau se hâlait rapidement.

Je commençais juste à me demander si le voyage finirait un jour quand circula l’information que nous allions entrer dans le port mexicain de Chalchiuhcueyecan. Non, ce n’est pas un mot que j’invente, et je ne trouve pas qu’il soit particulièrement difficile à prononcer, maintenant que j’ai passé quelque temps au Mexique. Prenez seulement une syllabe à la fois et vous verrez que ça ira. Ce port appartient à la province de Cuetlaxtla, qui se trouve sur la côte est de la partie étroite du Mexique, juste avant que les terres s’élargissent pour former les Hespérides Centrales.

Il faisait chaud. Je n’avais jamais encore connu une chaleur semblable, c’était comme une épaisse couverture pesant sur le monde. Parfois je croyais entendre grésiller mes poumons aspirant l’air brûlant. Ma peau luisait de sueur. Scrutant le rivage, à travers la brume étouffante, je vis les vertes frondaisons d’arbres inconnus et une plaine basse, marécageuse, s’étendant jusqu’à l’horizon. On m’avait averti que certaines régions du Mexique étaient torrides ; cette chaleur infernale me surprenait pourtant. Et s’il ne faisait pas plus frais à l’intérieur ? Je n’ai jamais aimé la chaleur, et je dois avouer que c’était la raison qui m’avait fait choisir le Mexique de préférence à l’Afrique. Et pendant que nous nous préparions à toucher terre à Chalchiuhcueyecan, je me demandais si je n’avais pas fait là une erreur regrettable.

Les roues à aubes tournaient avec une lenteur solennelle tandis que le bateau approchait du rivage. Nezahualpilli vint vers moi, à présent revêtu de sa plus belle parure aztèque, chamarré, avec des perles aux oreilles, la cape de plumes, tout l’attirail.

« Bonne chance. Que les dieux soient avec toi. J’espère que ceci pourra t’aider. »

Il enfonça quelque chose dans ma poche et me tourna le dos.

Je le regardai un instant s’éloigner, puis je sortis de ma poche ce qu’il y avait introduit. C’était une liasse de billets de banque, de l’argent mexicain ; chaque billet portait l’image d’un dieu à la bouche grande ouverte. Il m’avait donné plus d’une douzaine de cacaos-or. Le cacao-or vaut presque deux livres sterling, ou trois ducats, en comptant comme les Turcs ; c’est-à-dire que Nezahualpilli m’avait donné autant d’argent qu’un ouvrier anglais peut espérer en gagner dans une bonne année.

Une aumône ? Dan Beauchamp accepterait une aumône ?

J’allais me précipiter à sa suite pour lui jeter son argent à la tête. Un instant de réflexion et je changeai d’avis. J’ai toujours été un garçon raisonnable, après les premières réactions souvent trop vives. La liasse de billets ne représentait rien d’autre, pour Nezahualpilli, qu’un peu d’argent de poche ; à eux seuls ses bijoux valaient probablement cent fois plus que ce qu’il m’avait donné. Moi, je ne possédais que quelques shillings qui tintaient dans ma poche, et tout ce que je pouvais en faire, c’était les vendre au poids de l’argent, puisqu’ils n’avaient pas cours au Mexique. J’étais parti sans un sou, espérant vaguement que la chance serait du voyage. La chance venait d’enfoncer dans ma poche une douzaine de cacaos-or. Allais-je me déclarer offensé ? Je remerciai silencieusement Nezahualpilli de sa générosité et descendis chercher mes affaires.

Une heure plus tard, je posai le pied sur le sol mexicain. Je m’étais attendu à trouver un continent différent et je ne fus pas déçu. Après tout, c’était le Nouveau Monde, l’hémisphère qui fascinait les Européens depuis qu’en 1585 les vents avaient poussé Diogo Lobo vers lui, à travers l’immense Océan, alors qu’il voulait aller du Portugal en Afrique. Ces arbres étranges, ces fleurs inconnues, ces constructions trapues, les idoles fascinantes dressées au bout de la jetée, les enfants nus et bruns courant sur le rivage, l’odeur épicée des nourritures qu’on préparait, tout cela m’enchantait moi aussi. C’était un monde nouveau, en effet ! Et quoi qu’il pût m’arriver, je me réjouissais d’être venu.