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« Ça ne marchera pas, Topiltzin. »

« Et pourquoi ? »

« Ils ne risqueront pas leur vie dans une révolution pour remplacer ensuite leurs anciens maîtres par de nouveaux. S’ils se débarrassent de la garnison, crois-tu qu’ils te proclameront roi ? »

« J’en suis sûr. Ils sont incapables de se gouverner et ils le savent. Voilà trois cents ans qu’ils sont les sujets des Aztèques, ils ont besoin de quelqu’un qui prenne pour eux les décisions. Je serai là. Toi aussi. Peu à peu, nous leur deviendrons indispensables. Nous ne nous imposerons pas à eux par la force. C’est avec circonspection que nous nous glisserons aux postes de commande. Ils nous considéreront comme de grands hommes, les héros de la révolution. »

« Tu seras un grand homme sans moi. Je vais en Afrique avec Takinaktu. »

« Ne sois pas stupide. C’est la chance de ta vie. C’est ce que tu cherches depuis que tu as quitté l’Angleterre. Regarde en face tes erreurs passées, mais afin d’en tirer profit. »

« J’ai vu à Taos échouer un soulèvement. J’ai quitté Kuiu avant qu’un autre tourne au massacre. Je ne prendrai aucune part à celui-ci. »

« Mais cette fois, tout est différent ! Des milliers d’hommes armés sont avec nous ! Comment pourrions-nous perdre ? »

« Ta révolution, fais-la sans moi. Je lirai le compte rendu dans les journaux du Ghana. »

Comme je m’éloignai, Topiltzin me saisit par le bras et il me glissa à l’oreille des paroles qu’il voulait persuasives. Pourtant, je ne me laissai pas convaincre. J’avais presque perdu la vie au cours de la dernière machination de Topiltzin. Cela suffisait.

J’étais très content de moi. Pour la première fois dans toute mon existence je faisais un choix raisonnable. J’avais montré beaucoup de sagesse et je voulais des compliments. J’allai donc trouver Takinaktu et lui racontai toute l’histoire. Elle fit grise mine durant la première moitié de mon récit. Elle pensait sûrement que je la préparais à entendre l’annonce de ma participation à l’entreprise de Topiltzin. Je gardai ma surprise pour la fin et lui fis part alors de ma vertueuse décision de repousser les offres de l’Aztèque.

Takinaktu battit des paupières : « Tu ne vas pas avec lui ? »

« Non. »

« Vraiment ? »

« Vraiment. »

« Oh, Dan, c’est merveilleux ! J’étais sûre que tu irais. Tu te serais fait tuer et tout aurait été fini. »

Elle jeta ses bras autour de moi. Pendant un moment éblouissant, ses lèvres touchèrent les miennes et je sentis contre le mien son corps doux et souple. Dans sa tribu, on ignore le baiser, me semble-t-il ; elle avait dû apprendre ça dans Shakespeare. Quoi qu’il en soit, c’était délicieux, un moment inoubliable. Je m’y reporte en pensée de temps en temps puisque c’est le point culminant de mon amitié avec Takinaktu.

Lorsqu’on a atteint un sommet, habituellement, on redescend de l’autre côté. C’est ce qui est arrivé. Et ce que je vais vous raconter sans rien omettre, mais non plus sans m’attarder en des détails trop pénibles.

Les bras de Takinaktu retombèrent. Elle s’écarta de moi. Ce fut le commencement de la descente. Elle avait l’air tout intimidée et stupéfaite de ce qu’elle avait osé. Je souris faiblement et elle fit de même, puis elle me tourna le dos et s’enfuit comme une biche effrayée. Je portai la main à mes lèvres. Elles étaient brûlantes.

Je me dis que j’avais été merveilleusement intelligent de dire non à Topiltzin. C’était un signe de maturité. En abandonnant ma folle idée de devenir riche par le moyen d’une conquête je montrais que j’étais adulte.

Alors, pourquoi ai-je changé d’avis ? Pourquoi ai-je fini par choisir de suivre Topiltzin ?

Le processus qui consiste à changer d’avis est subtil. Vous commencez en position A, que vous tenez avec un entêtement sévère, bien résolu à ne jamais l’abandonner. Mais cette détermination, vous la remettez bientôt en question. Est-il sage d’être aussi obstiné ? Peut-être devriez-vous considérer une alternative ? Vous révisez un peu votre inflexibilité première, abandonnant la position A pour adopter la position B, qui est sensiblement la même à cela près que s’y ajoutent deux ou troissi et peut-être. Puis, par une série de compromis graduels, de considérations privées, de détours et de biais, vous glissez mollement au long de l’alphabet jusqu’à vous trouver à la position Z, exactement à l’opposé de votre point de vue initial.

Il m’était arrivé quelque chose dans ce genre. Je vous épargnerai l’émunération des étapes intermédiaires et dirai simplement que je reconsidérai la question. Je commençai par me dire qu’il se pourrait que Topiltzin réussisse. Je me souvenais d’Opothle et de ses deux compagnons, de leur force, de leur ténacité, de leur haine féroce de la loi aztèque. Mes propres rêves d’un empire me revenaient en mémoire. Et je devais reconnaître que cette partie du monde était des plus désirables. Je me sentis même une certaine obligation envers Topiltzin et ses plans, bien que je me demande encore pourquoi.

Petit à petit, je glissai de A à G, à M, à P. Je restai un moment en position P, plus qu’à moitié déterminé à me joindre à Topiltzin mais n’en disant rien à personne.

Le problème, c’était Takinaktu. Je savais qu’elle était opposée à toute entreprise de ce genre. Si je lui demandais son approbation, je ne ferais que provoquer une violente querelle. Aussi, les deux semaines suivantes, comme nous avancions en pays Muskogee et que les projets de Topiltzin me séduisaient de plus en plus, j’interrogeai Takinaktu prudemment, indirectement, espérant découvrir en elle un changement d’attitude.

Aimerait-elle s’installer ici au lieu de s’en aller si loin, jusqu’en Afrique ?

Pas tellement.

Lui plairait-il de prendre part à une ou deux petites batailles ?

Pas vraiment.

N’apprécierait-elle pas la richesse et le pouvoir ?

Peut-être, mais ailleurs qu’ici.

Bien sûr, je m’efforçais d’être subtil, plus subtil qu’il n’y paraît à première vue. Il n’était pas question que je lui révèle à brûle-pourpoint ce que j’avais dans l’idée. Mais elle ne mettait aucune subtilité dans ses réponses.

Et un jour, elle demanda : « Cette guerre de Topiltzin, as-tu décidé de t’en mêler, après tout ? »

J’hésitais, je cherchais mes mots. N’en trouvais pas qui conviennent.

Elle continua. « Je veux simplement que tu saches, au cas où cette guerre te tenterait à présent, que je n’y prendrai aucune part. Je vais en Afrique, avec ou sans toi. Est-ce clair ? »

Je la calmai avec de vagues protestations.

Telle était ma suffisance que je me persuadai qu’elle bluffait. Puisque je l’aimais, je me figurais qu’elle devait m’aimer tout autant et ne mettrait donc pas sa menace à exécution. J’étais persuadé que j’arriverais à ce qu’elle m’approuve. Du moins, si je me décidais à seconder Topiltzin.

Cette décision, je la pris alors que nous avions pénétré très avant en territoire Muskogee, à moins de deux jours de la mer. Nous avions passé un certain nombre de villages bien tenus, aux rues droites et disposées de part et d’autre d’une place centrale bordée d’un côté par un temple, de l’autre par la maison du chef. Aux alentours s’étendaient des champs cultivés avec soin. Les plaines vertes, le ciel bleu, le soleil jaune, la terre brune, c’était une région tiède et luxuriante, plus tentante que tout ce que j’avais pu voir jusqu’ici. J’aimais son climat tempéré. Même en été, l’air restait beaucoup plus frais que dans les basses terres du Mexique, et sans l’âpreté de celui des montagnes. J’aurais bien terminé ici mes voyages.