Выбрать главу

« Quand tu seras dans notre pays, tu viendras nous voir », dit Opothle, gravement. Il me donna une légère bourrade en signe d’adieu. Puis il s’en alla.

Haussant les épaules, je fixai l’objet à ma ceinture et sortis la lame de la gaine. C’était une arme excellente, je le savais déjà n’ayant pas oublié leTchuuitt si satisfaisant de l’acier allant se planter dans la cloison de la cabine. Sous l’effroyable soleil du Mexique, un couteau de ce genre pourrait bien m’être utile. Je secouai plusieurs fois la tête en direction de la silhouette d’Opothle qui s’éloignait rapidement, pour le remercier encore.

Puis je rengainai le couteau et partis à travers la ville.

Nouveau monde ou pas, tous les ports se ressemblent. On voyait d’abord un front de mer, avec ses jetées, ses hangars, sa rue bordée d’un seul côté par les entreprises des messageries, les établissements des courtiers. Puis les hôtels et les maisons de commerce. Enfin, plus loin vers l’intérieur, les demeures de ceux qui ont la chance d’habiter la jolie ville de Chalchiuhcueyecan.

À demi-mort de chaleur je traversai une zone d’entrepôts. Il me fallait d’abord trouver où me loger. Puis quelque part où dîner. Enfin les renseignements nécessaires pour me diriger vers Tenochtitlan, dans la haute et fraîche vallée de l’intérieur montagneux du pays.

De jeunes garçons me regardaient, l’air stupéfait, comme si j’étais un visiteur venu d’un autre monde, ce que j’étais, en un sens. N’avaient-ils donc jamais vu de cheveux blonds ? Ce port, le plus important de la ligne anglo-mexicaine, devait pourtant abriter un consulat anglais. Et il devait bien s’y trouver quelque fonctionnaire aux cheveux dorés, ces cheveux nordiques que les Angles et les Saxons ont légués à la Grande-Bretagne, avant l’arrivée des Normands au poil sombre.

Des enfants couraient derrière moi. Ils criaient d’une voix aiguë : « Quetzalcoatl ! Quetzalcoat ! »

Bien sûr ! Quetzalcoatl ! Le Serpent à Plumes, le dieu blond venant de l’Est, le faiseur de miracles au teint pâle. Voilà longtemps que les Mexicains attendent le retour du dieu. Quand les Portugais découvrirent le Mexique, sous le règne de Moctezuma III, il y a presque quatre cents ans, un cri s’éleva aussitôt : Quetzalcoatl était revenu. Mais le vieux roi rusé savait s’y prendre avec les dieux ; il leur arracha le cœur en haut de la grande pyramide de Tenochtitlan, et depuis lors c’est toujours avec une certaine appréhension que l’homme blanc s’aventure dans les Hespérides.

« Quetzalcoatl ! »

Je souris avec bienveillance et lançai, en anglais : « Que sur-le-champ le soleil s’obscurcisse, afin que soit prouvée ma nature divine ! »

Le soleil resta tout aussi brillant, tout aussi brûlant. Si j’avais parlé nahuatl, ça aurait peut-être réussi. Franchement, je n’eus pas le courage d’essayer.

Bientôt les enfants se désintéressèrent de moi. Je tournai au coin d’une rue et marchai vers ce qui ressemblait à un hôtel, me demandant comment j’aurais pu subvenir à mes besoins sans l’argent que Nezahualpilli m’avait forcé d’accepter.

C’était un bâtiment de trois étages, fait de boue séchée recouverte d’un enduit rouge vif à base de pierre réduite en poudre, un matériau qui semblait très courant.

Dès la porte franchie je me trouvai devant une jeune servante mexicaine aussi fraîche qu’un ruisseau printanier. Elle avait environ trois ans de moins que moi, un teint basané, des lèvres pleines, des dents éclatantes, de grands yeux sombres et brillants qui souriaient en me regardant.

Et ce regard me subjugua. Je restai immobile un long moment, stupide, silencieux, me torturant l’esprit pour trouver comment dire en mexicain : « Puis-je loger ici pour la nuit ? » J’ouvris la bouche. La refermai. Pas un mot n’en était sorti.

Puis une seconde femme apparut et tout changea.

Celle-ci était manifestement la mère de la première. Elles avaient les mêmes yeux, les mêmes traits. Toutefois, entre la mère de trente-cinq ans et la fille de quinze ans la ressemblance s’arrêtait là. Comme j’allais en avoir plus tard confirmation, les femmes mexicaines vieillissent vite. La Marna avait de beaux yeux, mais elle pesait cent kilos. J’avais la pénible impression que sa fille, le temps venu, suivrait ses traces.

Je retrouvai ma langue et demandai une chambre. La Marna sembla hésiter un instant à abriter sous son toit un de ces sauvages de l’Est, mais elle s’attendrit à l’apparition de ma liasse de billets. La fille me conduisit jusqu’à une chambre de l’étage supérieur. Rien de luxueux, juste quatre murs et une paillasse, les Mexicains n’ayant pas trouvé nécessaire d’inventer les lits. Cependant la pièce était délicieusement fraîche, après la chaleur de fournaise.

« Désirez-vous quelque chose ? » demanda la jeune fille, d’une voix enrouée par la timidité. Elle paraissait aussi farouche qu’un faon.

« Pour l’instant, un bol de chocolatl. » J’ajoutai : « Plus tard, je dînerai. »

Elle m’apporta le chocolatl, une boisson froide et mousseuse assaisonnée de piments et de diverses autres épices. Je l’avalai à grandes gorgées. Le premier jour après mon départ de Southampton, j’avais trouvé répugnant ce liquide écumeux et sombre. Puis mes goûts avaient changés. J’en venais à apprécier la nourriture mexicaine, et c’était, somme toute, une bonne idée car je ne mangerais pas de sitôt du gigot de mouton anglais accompagné de pudding du Yorkshire.

Je me reposai un moment, ayant décidé d’attendre la fraîcheur du soir pour aller faire un tour dans la ville. Entre-temps, je dînai. On me servit le menu mexicain habituel, de la viande et des légumes très épicés, coupés en morceaux étalés entre des galettes de maïs. Je mangeai de bon appétit et arrosai le tout de chocolatl. Puis je déposai la vaisselle sale à la porte de ma chambre où la jeune fille viendrait la prendre.

La nuit était tombée à présent. Je sortis et fus surpris de constater qu’il était illusoire ici d’attendre la fraîcheur du soir. Il ne faisait pas aussi chaud que dans la journée mais encore trop chaud pour mon goût. Je regagnai ma chambre. Une nuit de repos et tout ira bien, pensai-je.

Je me déshabillai, m’étendis sur la paillasse – assez confortable d’ailleurs – après avoir pris la précaution de placer le couteau d’Opothle à portée de ma main. Sait-on jamais ce qui peut arriver ? Pourtant l’endroit semblait paisible, hospitalier. Après toutes ces heures passées à rôtir au soleil, devant le bâtiment de la douane, je me sentais très fatigué et ne souhaitais plus que le sommeil.

Je fermai les yeux. Je devais être déjà à moitié endormi quand retentit une voix de tonnerre. Et j’entendis : « Au meurtre ! À l’assassin ! On égorge Quéquex ! Au secours ! Au secours ! Au secours ! »

3. UN PLUS OU MOINS SORCIER

Ce n’était pas mon affaire. Il n’y avait aucune raison pour que je m’en mêle. Je passais ma première nuit sur une terre inconnue, et une bagarre entre étrangers ne me regardait pas. J’étais en sécurité derrière ma porte fermée au verrou.

Mais dans le couloir, un homme hurlait, appelait à l’aide. Allais-je rester là, tranquille, et laisser le malheureux se faire assassiner ?

D’autre part, ce pouvait être un piège, une façon de m’attirer hors de ma chambre pour m’attaquer et me voler.

Je réfléchis, et longuement me sembla-t-il, quoiqu’il ne me fallût probablement pas plus d’une seconde pour me décider. Empoignant le couteau, je me précipitai vers le couloir.

Là je trouvai deux jeunes bandits aux jambes interminables qui s’en prenaient à un vieillard extraordinairement gras et encore alourdi par des tonnes de bijoux de jade. On ne lui avait manifestement rien pris encore, mais il braillait comme une baleine à l’agonie. Un des attaquants s’efforçait de lui tenir les bras pendant que l’autre cherchait à s’emparer des bijoux. Le gros homme paraissait singulièrement vif pour son âge et sa corpulence et se défendait furieusement à coups de pieds et de poings. Néanmoins il se trouvait dans une situation difficile.