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Vers la fin du XVIIe siècle « ouvrable » était lui aussi tombé en désuétude, et avait déjà son sens réduit actuel : « Ne se dit qu’en cette phrase, Jour ouvrable, & signifie les jours ordinaires de la semaine où il n’est pas fête, où il est permis de travailler, d’ouvrir les boutiques. On dit aussi jours ouvriers. » (Furetière.)

Charles d’Orléans disait justement :

Et tandis qu’il est jour ouvrier Le temps perds quand à vous devise.

Faire le pont

« Il n’est pas de bonne fête sans lendemain », dit un vieux proverbe qui n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd : nous avons repris l’habitude salutaire de faire, dès que l’occasion se présente, d’agréables ponts pour relier les fêtes aux dimanches ! Nos ancêtres doivent se frotter les phalanges dans leur tombe de nous voir revenus à des coutumes aussi raisonnables.

Contrairement à ce qu’une pensée hâtivement syndicaliste pourrait laisser supposer, la chose et le mot, faire le pont, ne datent nullement de l’été 1936 et sa suite de congés payés. Ils existaient il y a un siècle et des poussières !… L’expression apparaît, avec son sens le plus actuel, sous le Second Empire. Alfred Delvau l’enregistre en ces termes en 1867 : « Pont, Congé que s’accorde l’employé pour joindre deux autres congés qui lui ont été accordés par ses chefs ou par le calendrier. Faire le pont. Ne pas venir au bureau le samedi ou le lundi, lorsqu’il y a fête ou congé le vendredi ou le mardi. »

Toutefois la locution a dû demeurer longtemps dans le jargon de boutique des ronds-de-cuir, car elle n’est connue ni de Littré ni de Larousse. Le plus étonnant de cette circulation d’officine, c’est que le continuateur de Delvau, Gustave Fustier, qui ajouta un supplément de sa main lors de l’édition de 1883 du Dictionnaire de la langue verte, commit une inadvertance significative ; il ne prit même pas la peine de vérifier que le mot se trouvait déjà dans l’édition d’origine, tant l’expression lui paraissait neuve, sans doute, et peu connue. Il réitéra donc une entrée : « Faire le pont. Cette expression est surtout usitée chez les employés d’administration. Quand un jour non férié se trouve entre deux jours de fête et qu’on ne vient pas à son bureau le jour de travail, on fait le pont. »

C’est l’indication que des tournures peuvent exister pendant vingt ou trente ans, et souvent bien davantage, dans le langage parlé avant que l’on en trouve une trace écrite.

La cheville ouvrière

Reste également cette appellation figurée de « l’instrument essentiel d’une entreprise », autour de qui tout tourne et s’organise : la cheville ouvrière.

L’expression date du début du XVIIIe siècle : « … Ils me choisirent d’une commune voix pour leur chef. Je justifiai bien leur choix par une infinité de friponneries que nous fîmes, et dont je fus, pour ainsi parler, la cheville ouvrière. » (Lesage, Gil Blas, 1715.)

Cette cheville-là est à l’origine celle qui effectivement « travaille » énormément sur une voiture à cheval puisqu’elle relie le train arrière à l’attelage du train avant. « La cheville ouvrière d’un carrosse, est une grosse cheville de fer sur laquelle tourne le train de devant, & qui l’attache à la flèche. » (Furetière.)

Travailler comme un sabot

Donc, on ne travaille que depuis le début du XVIe siècle ! (Voir ci-dessus.) Mais le mot existe depuis beaucoup plus longtemps. Au XIIe siècle le travail, voyez l’impertinence, c’était la « torture » — du latin tripalium, « instrument de torture, composé de trois pieux. » De là le mot est passé à cette « machine où l’on assujettit les bœufs pour les ferrer » que l’on voit, et que l’on utilise encore sous ce nom, dans les vieux villages. Pendant tout le Moyen Âge « travailler » voulait dire « tourmenter, peiner, souffrir, notamment en parlant d’une femme qui va accoucher. » Dans un lai de Marie de France, le chevalier Guigemar, blessé et terriblement amoureux, passe une très mauvaise nuit :

Li est venu novel purpens [194] E dit que suffrir li esteut [195] Kar issi [196] fait ki mes [197] ne peut, Tute la nuit a si veillé E suspiré e travaillé.

C’est ce sens original qui est demeuré quand on dit que les soucis « nous travaillent », nous tourmentent, ou bien les rhumatismes, ou même un cor au pied. Il en reste sûrement un relent, dans l’enchaînement « se travailler l’esprit », se tourmenter la matière grise, avec l’expression banale : travailler du chapeau.

En tout cas, « travailler », c’est « ouvrer » bien péniblement, avec la sueur qui s’ensuit… « Travaillez, prenez de la peine — dit La Fontaine qui savait le français — c’est le fond qui manque le moins. »

Quant au sabot, il y en a un qui dort profondément (voir Dormir comme un sabot, p. 182). Pourquoi l’autre travaillerait-il comme un dégoûtant ?… Peut-être parce qu’une fois aux pieds les sabots s’agitent, cognent, claquent et font un pétard bien connu — du moins dans une sorte de souvenir collectif… Ce n’est guère convaincant… Il existait un verbe « saboter » qui, au XVIe et au XVIIe siècle voulait dire « secouer, tourmenter » ; doublé en cela par « sabouler », un mot plus ou moins issu de lui : « Le bruit courait que vous aviez eu deux chevaux tués entre les jambes, esté porté par terre, saboulé et pétillé aux pieds des chevaux de plusieurs escadrons. » (Sully.)

Il me paraît plus logique de penser que l’ancien « saboter une personne, la tourmenter » (Oudin) soit venu de la toupie que l’on fouette (voir p. 182) et peut-être même par des voies un peu plus détournées, liées à un autre genre de travail !

Travailler « à coups de trique » ? On rencontre là tout un sémantisme paillard : travailler comme un manche, c’est-à-dire comme un pénis, salement — on retombe sur « sabouler » dans le sens de coïter, dès Rabelais : « Les laquais de cour, par les degrés entre les huis, saboulaient sa femme à plaisir » — et d’ailleurs « travailler » lui-même, dès le XVIe siècle également : « Comme le bonhomme Hauteroue disait travaillant sa première femme. » (Beroalde de Verville, in Guiraud.) Un « sabot » était au XIXe siècle une « fille de la dernière catégorie, mal faite, mal habillée. » Travailler comme un sabot, bien que non attesté, serait-il simplement « besogner comme une imbécile » ?…

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194

Pensée.

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195

Il lui faut.

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196

Ainsi.