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Qui plus despend que n’a vaillant Il fait la corde à quoy se pend.
(Corgrave.)

Il y a là une parenté certaine, surtout au sens que relève Furetière de chose « désavantageuse à ceux qui l’ont commencée », qui a pu produire le croisement.

Faire la navette

Une navette (diminutif de nave ou nef vaisseau, à cause de sa forme en « petite barque ») est l’outil du tisserand qui va et vient inlassablement sur la chaîne du métier à tisser pour passer le fil de la trame. Le sens d’aller et retour constants parle de lui-même. Elle a prêté à d’autres comparaisons ; selon Furetière, « on dit proverbialement d’une femme qui caquette bien, que la langue lui va comme une navette de tisserand. »

Battre à plate couture

Les étoffes robustes et épaisses d’autrefois n’étaient pas d’un maniement aisé, particulièrement les draps de laine dans lesquels on taillait les vêtements. Les coutures neuves se pliaient mal et formaient des bourrelets qu’il fallait aplatir et assouplir en les battant vigoureusement à l’aide d’une courte latte. Bel exutoire sans doute pour le tailleur, que cette raclée assenée symboliquement au client par justaucorps interposé ! De là probablement rabattre les coutures à quelqu’un, lui passer la bastonnade, et rabaisser son orgueil, comme si l’on exécutait le travail de finition sur le dos même de la personne.

Quant à battre à plate couture, le passage est moins évident. L’expression semble s’être appliquée de bonne heure à une troupe ou à une armée « défaite. » On trouve au XVe siècle chez Ph. de Commynes : « Ceux-là furent rompus à plate couture et chassés jusques au charroy. » Plus tard Furetière dira : « On dit figurément qu’une armée a été défaite à plate couture ; pour dire, entièrement & sans ressource. »

Or, il arrive que dans la bataille l’habit maltraité se rompe, que les coutures, à force d’être « battues à plat », s’écartèlent, sur le bonhomme. Rutebeuf, au XIIIe siècle, fait cette curieuse description :

Toute est deroute [203] (la robe) par devant N’i resmest mes [204] cousture entiere Ne par devant ne par derriere.

Il est possible qu’il y ait surimposition d’images entre la dislocation d’un habit et le démantèlement d’une armée « défaite. » De plus il existait dans l’ancienne langue un verbe coutre qui à côté de cosdre voulait dire aussi bien « coudre » que « se jeter dans la mêlée », ainsi que cotir, pour « heurter de front. » Dans le Roman de la Rose un rocher est ainsi battu par la mer :

Li flot la hurtent et debatent, qui tourjouz a lut se combatent, et maintes foiz tant i cotissent que toute en mer l’ensevelissent.

Je pense que les costures, « désarrois », et les coustures « bien battues » ont dû ainsi que les déroutes faire s’emmêler quelque part les gestes brutaux du tailleur avec les assauts de ceux qui, non moins brutalement, « en décousent. » Cela aura rapproché par jeu de mots les défaites à plate couture et les écrasements sans merci.

Passer au bleu

Ce qui passe au bleu, qui est « escamoté », est précisément une chose qui ne dépend pas de nous, mais que l’on attend, soit parce qu’on la désire (une augmentation, des vacances), soit parce qu’on la redoute (une amende, une facture). Dans tous les cas il y a quelque chose d’un peu illicite dans l’opération. En outre si nous en sommes l’exécutant nous faisons passer quelque chose au bleu.

Ces remarques font que je ne suis pas entièrement persuadé que l’explication que donne M. Rat de cette locution soit la bonne, mais je n’en ai pas d’autre ! Elle viendrait selon lui d’un temps où les ménagères, ne disposant pas de la pléthore des détergents actuels pour laver leur linge sale en famille, ne pouvaient compter pour escamoter les traces rebelles que sur une poudre de cobaltine appelée bleu d’azur ou bleu de lessive, laquelle donnait au tissu une vague teinte bleutée lors du dernier rinçage.

Certes, on passait effectivement « le linge au bleu », mais ça n’avait rien de louche ni de décevant pour qui que ce soit.

Dans un sens un peu analogue les Anglais disent washout (lavé, lessivé). Leur mot vient du jargon de la marine au temps où les messages étaient écrits sur une ardoise que l’on transmettait et que l’on « essuyait » après usage. On pouvait donc les « laver » avant qu’elles aient atteint leur destinataire. Le mot était en vogue pendant la Première Guerre mondiale — se pourrait-il qu’il y ait eu des pratiques similaires dans notre marine ?…

LE THÉÂTRE

Varier à la cantonade

Parler à la cantonade c’est parler haut dans une assistance où l’on ne s’adresse à personne en particulier. « La patronne du café parut à la porte de l’arrière-salle et cria, à la cantonade : “On demande Thibault au téléphone”. » (Martin du Gard.)

L’expression vient du langage du théâtre. Un acteur lance une réplique à la cantonade lorsqu’il s’adresse à des personnages qui ne sont pas en scène, et que l’on suppose évoluer en coulisses, au-delà du décor. En effet on appelait autrefois cantonade « l’un et l’autre côté du théâtre, où une partie des spectateurs était assise sur des bancs. » Pourquoi ce mot ?…

En occitan la cantonada (prononcé « cantounada ») désigne l’angle extérieur des murs d’un bâtiment, formé de l’imbrication des grosses pierres de taille qui en assurent la solidité — autrement dit le coin de la maison. C’est la même famille angulaire qu’un canton (« cantou »), un coin, spécialisé quelquefois en « coin du feu. »

L’usage de l’expression remonte à la fin du XVIIe siècle : « Le mot a probablement été introduit en français par une des nombreuses troupes qui ont joué temporairement dans le Midi. » (Bloch & Wartburg.) Cette hypothèse me paraît d’autant mieux fondée que ces troupes dressaient, comme aujourd’hui les soirs d’été, leurs tréteaux en plein air, adossés à une maison ou une grange du village, et que la scène se trouve alors délimitée de chaque côté par les deux cantonadas de la façade ou du pignon qui servent de « fond du théâtre. »

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203

Rompue, dispersée.

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204

Reste plus.