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La formation du mot tient peut-être au claquement des dents de celui qui a très peur — et donc aussi un très gros « tracas » ! Furetière signalait déjà le trac sous forme de bruit : « Terme factice & populaire, qui exprime le bruit d’une chose qui se remue avec violence, & qui a donné le nom au jeu du Triquetrac. » En tout cas son premier emploi paraît venir non du théâtre, mais du collège. G. Gougenheim cite un « petit vocabulaire collégien » de 1845 où le trac apparaît avec définition et exemple : « Trac, taf (avoir le). Avoir peur, caponner : Adrien a le trac quand Laveau veut le bûcher (le battre). » Ce même ouvrage[205] donne pour exemple dans la même liste : bahut, cafarder, voyou, etc., pour appartenir à un jargon encore relativement secret, ainsi d’ailleurs que copain, pion et truc, lesquels sont des mots de très ancien français et dont les deux premiers au moins ont effectivement repris essor chez les collégiens du XIXe siècle.

Cela dit, ces mots de 1845 avaient peut-être un demi-siècle d’existence ou davantage entre les pupitres. J’ajoute aussi qu’ils étaient familiers mais certes pas vulgaires ! Ce monde de petits-bourgeois fortunés qui peuplaient les collèges ne se seraient pas permis ! Ce qui tendrait à expliquer que le trac ait pu réapparaître quelques dizaines d’années plus tard sous la plume des écrivains et des échotiers, par allusion familière aux bancs des écoles où ils l’avaient appris.

Faire une panne

Voilà un terme qui dans le métier de comédien brûle d’actualité, un jargon technique en plein apogée. La panne, c’est le petit rôle, celui que personne ne voit, au théâtre ou au cinéma, l’éternel « Madame est servie » du Boulevard classique, la réplique unique, le personnage d’appoint, qui n’a pas de nom à lui, qui est juste indiqué sur les textes par « un valet », ou « un passant », ou « une cliente », ou « la dame au chien »…

La panne est juste au-dessus de la figuration muette, le type qui croise le héros dans le film et qui lui donne l’heure, ou lui indique « Trois rues à droite, vous pouvez pas vous tromper », avec un geste du bras dans la direction. On lui répond « Merci » et il sort du champ.

Mais tout cela est répété et donne lieu à une prise de vues spéciale. Pendant une heure ou deux, le temps qu’on règle la technique, qu’on le maquille, pendant qu’il reprend avec plus de voix, moins, un geste plus ample, ou plus décidé, le bonhomme se sent acteur. Tout à coup le monde s’intéresse à lui, la maquilleuse, le metteur en scène s’inquiètent à son sujet. L’autre, le comédien en vogue lui adresse un regard…

L’assistant du cameraman vient lui coller son mètre sous le nez d’un œil vigilant, puis crie « C’est bon » à son camarade qui derrière l’œilleton lui demande soudain de se pousser d’un demi-pas, pour le cadrage… Il se sent important, il fait son métier, il recommence à croire à l’avenir. Le clapman crie : « L’amour vient des nuages, huit, première !… » Il se donne du mal, il est très attentif à bien articuler sa phrase, à la sortir au moment précis, comme s’il l’inventait toute chaude. C’est difficile de but en blanc, en si peu de temps, de lui donner toute la richesse, la justesse, le naturel et la profondeur qu’il faudrait… Il demande après au metteur en scène si ça allait. « Parfait ! » dit l’autre, qui de toute façon coupera tout ça au montage, ne laissant qu’un éclair, qu’une éclipse, un bout d’aperçu. « Magnifique !… »

Mais on paye la journée entière, c’est bien le moins avec toute l’attente, convoqué le matin pour passer en définitive juste avant que le soleil se couche. Quelquefois on paye deux jours, il peut y avoir un raccord. Pour le loyer c’est bien important, pour la note du gaz…

Petit rôle de débutant ? Pas toujours, ça fait des fois trente ans qu’ils débutent comme ça, d’un plateau sur l’autre, de trottoir en rue, d’une loge à cinq à une loge à douze. Elles ont parfois des cheveux blancs les pannes, et des poches aux yeux, à force d’avoir vu si souvent les premiers rôles s’évanouir…

Panne au XIXe siècle a signifié misère — par extension, semble-t-il, du sens « arrêt d’activité. » (Voir Tomber en panne, p. 300.) « Ah ma pauvre fille il y a donc de la panne ! » dans Zola. Il s’est forgé un adjectif : « panné — Terme populaire. Misérable. Il est bien panné. Il a un air panné. » (Littré.) C’est bien le sort de ceux qui ont de temps en temps un « rôle ingrat ou de peu d’importance. » (Esnault.) Le Bloch & Wartburg dit superbement : « Panne, de l’argot des théâtres, est une spécialisation de “misère”. »

Oui, les mots eux aussi se spécialisent !

Courir le cachet

L’enchaînement doit être ici un des meilleurs du livre. Courir le cachet, pour un comédien, c’est chercher à se faire employer, là et ailleurs, un petit rôle par-ci, un autre par-là — le « cachet » étant le salaire.

Le mot a une origine connue, qui ne vient d’ailleurs pas du théâtre, mais de l’enseignement, et que M. Rat résume clairement : « L’expression s’applique à un professeur besogneux, et vient de ce qu’autrefois on appelait cachet la carte ou coupon de carte qu’un élève à domicile remettait à son professeur à chaque leçon qu’il recevait et qui permettait ensuite de régler le compte global des leçons, au bout d’un délai convenu. » Il fait une citation qui, le premier étonnement passé, n’est pas du tout de San Antonio mais d’un certain F. Soulier : « Béru était un grand violon, et il s’était longtemps crotté à courir le cachet. »

Comme on le devine par cet exemple l’expression s’est introduite dans le domaine du spectacle par les musiciens et les danseurs qui, à la fois interprètes et professeurs, donnaient des leçons à domicile. Ils couraient le cachet précisément lorsqu’ils n’avaient pas suffisamment d’engagements pour vivre.

Chauffe Marcel !

Il est agréable d’avoir une petite locution populaire bien connue, dont, pour une fois, l’origine est datable et identifiable. Chauffe Marcel ! terme d’encouragement un peu ironique parfois : « Vas-y, donne-toi à fond », est une expression contemporaine qui a été puisée dans le grand public par la télévision.

C’était au début des années 60 — 1964 peut-être — un sketch de deux fantaisistes, Dupont et Pondu, écrit par Jean-Louis Winkopp, qui fit rire au petit écran. Un soupirant chantait sous la fenêtre de sa belle, accompagné par un copain qui jouait de l’accordéon. Il ponctuait sa valse langoureuse de : Chauffe, Marcel ! répétés à l’adresse du musicien, parodiant dans une situation cocasse le « Chauffe ! » des musiciens de jazz, lesquels emploient ce terme d’excitation comme un équivalent du « Blow, man ! Blow ! » de la version originale.

Quelques années plus tard, le groupe Les Charlots, a repris le gag du sketch, et fait une chanson intitulée Chauffe Marcel ! qui a fini par populariser complètement le mot.

Je tiens ces renseignements de la bouche du chanteur Marcel Amont, amateur de langage, qui a observé d’autant mieux l’évolution de la chose qu’on lui répète sans cesse « Chauffe Marcel » depuis le début de cette invention, comme si le mot avait été créé pour lui.

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205

Les Mystères des collèges d’Albanès, Éd. G. Havard, 1845.