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Le roi prend et tate le pous, voit qu’il n’est pas trop destrampé[206] ; sa main li met lès les cotés et sur le piz, et sur le flanc, et dist : « Sire, par saint Clément, a peu ne suis venu trop tard. »
(Roman de Renart, 1250).

Tâter le pouls à quelqu’un a donc pris très tôt un sens métaphorique : pressentir cette personne au sujet d’une affaire, essayer de connaître ses intentions. Oudin relève la tournure en 1640 : « Taster le Pouls à une personne, la sonder, tascher de sçavoir son sentiment. »

L’expression fut très vivante jusqu’au début de ce siècle ; elle s’appliquait également à des entités : « J’ai beaucoup fréquenté les lieux publics pour connaître le cours des idées et tâter le pouls à l’opinion publique », écrit Gérard de Nerval.

La forme réfléchie, se tâter, a pris le sens de « consulter ses forces, ses ressources », avant de se décider à entreprendre une chose : « Vive la paix ! Avec moi, rien à craindre. Pas de guerre. Là-dessus la France fait semblant de réfléchir et se tâte le pouls. » (G. Darien L’Épaulette, 1900.)

Prendre la température

Cette nouvelle métaphore plus conforme à notre époque technicienne prolonge et remplace certains emplois de tâter le pouls ; on dit parfois « la température ambiante. » Curieusement cette locution de bon aloi est d’origine argotique dans son emploi. C’est chez les truands que Gaston Esnault la relève pour la première fois au début de la Seconde Guerre mondiale : « Prendre la température, se renseigner sur les dangers ambiants, 1940. Unit l’idée de fièvre à l’ancien “il fait chaud”, il y a du danger. »

C’est donc probablement au travers de la clandestinité que cette image médicale et honnête est passée dans le langage courant.

Courir comme un dératé

Mis à part son rôle utilitaire en cas de besoin impérieux, a course à pied a toujours fasciné les foules soit dans la compétition directe d’homme à homme, ou par animal interposé. Hélas ! nous savons tous depuis l’enfance que même les plus ingambes et les plus résistants au souffle sont sujets à une faiblesse commune : le fameux « point de côté » qui vous plie en deux et vous oblige à vous arrêter.

Les Anciens croyaient que c’était la rate, organe un peu mystérieux, qui dilatée par l’effort causait cette douleur poignante (de poindre, piquer) au-dessous des côtes. Les Grecs et les Romains avaient donc essayé de remédier à cet inconvénient chez leurs champions du stade par un traitement approprié que décrit Pline l’Ancien : « La prèle employée en décoction dans un récipient de terre neuf, qu’on a rempli jusqu’au bord et qu’on a laissé réduire d’un tiers, consume, bue pendant trois jours par hémines, la rate des coureurs, qu’on prépare à ce traitement par une abstinence de toute matière grasse ou huileuse durant vingt-quatre heures » (cité par M. Rat). En fait, ils inventaient la diététique !

Encouragés par ce texte, et par les progrès naissants de la médecine, certains chirurgiens de la fin du XVIe siècle résolurent d’apporter au problème une solution radicale : l’ablation pure et simple de ce viscère encombrant. Le Dictionnaire de Trévoux fait de cette expérience un récit désapprobateur à l’article dérater : « Ce mot fut mis en usage par une secte de Chirurgiens qui s’éleva il y a environ un siècle. Ils prétendaient que l’homme tirerait de grands avantages, s’il se faisait ôter la rate, ce qu’ils appelaient “dérater”. Les chiens auxquels ils avaient fait cette cruelle et bizarre opération ne moururent pas sur-le-champ, mais peu de temps après, ce qui fut cause qu’aucun homme ne voulut se faire dérater, pour jouir des prétendus avantages que vantaient les auteurs de cette opération. »

Pourtant la blague a fait fortune : on dit « courir comme un dératé » précisément en mémoire de ces expériences qui furent accueillies par une franche rigolade. Toutefois l’expression n’apparaît pas avant le début du XIXe. Napoléon Landais la signale dans son dictionnaire en 1836 : « Courir comme un dératé, comme on suppose que pourrait le faire une personne à qui on aurait ôté la rate. »

Se désopiler la rate

Cependant cet organe avait pour les anciens docteurs un autre inconvénient : il sécrétait la bile noire, cause de chagrin et de mélancolie. Il fallait donc à tout prix se désengorger la rate. Un bon moyen était de rire — la lecture d’histoires drôles pouvant faire cet office parfaitement. L’exergue du Cabinet Satyrique de 1618 tient en ces vers prometteurs :

Quiconque aura le mal de rate Lisant ces vers gays et joyeux, Je veux mourir s’il ne s’esclate De rire et ne pleure des yeux.

L’on a dit en premier lieu s’épanouir la rate, expression abondamment utilisée durant tout le XVIIe siècle. Oudin la signale en 1640 : « s’espanoüir la ratte, rire tout son saoul. » Les progrès du langage savant au XVIIIe ont fait employer le verbe désopiler, (le contraire d’opiler, boucher) ; le langage populaire s’en saisit pour désigner les éclats de rire. « Pendant cette morale, Mme Duflos, nonchalamment étendue sur une chaise longue, roulait des yeux dont les mouvements eussent infailliblement produit un bruyant désopilement de ma rate, si la bonne ne fût venue très à propos. » (Vidocq, Mémoires, 1828.)

Ne pas se fouler la rate

À l’inverse de la rate « qui se dilate » d’aise, un effort soutenu a paru, ironiquement, de nature à blesser le viscère de la bonne humeur. Se fouler la rate apparaît dans le langage populaire au début du XIXe siècle : « Monsieur ne peut pas aller au cinquième ; il serait trop fatigué de monter un étage ; il se foulerait la rate. Tu plains donc bien tes pas ! » (Vidocq, Mémoires, 1828.)

L’expression était promise à un bel avenir, et Delvau la signale en 1867 : « Ne pas se fouler la rate, en prendre à son aise, ne pas se donner beaucoup de mal. » L’abréviation aujourd’hui si courante a suivi de près, car il note ensuite : « On dit aussi absolument : Ne pas se fouler. »

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Anormal.