« Par ailleurs, Littré et le Larousse du XIXe siècle définissent rose comme un terme d’alchimie, la rose minérale étant une poudre résultant de la sublimation de l’or et du mercure. Je n’ai pu nulle part retrouver la trace de cette opération, mais elle fait songer à la pierre philosophale, qui est le symbole même du secret et du mystère. Notre pot aux roses pourrait donc bien être la cornue des alchimistes.
« Nous nous garderons — ajoute P. Guiraud — de défendre ces hypothèses, nous ne les donnons au contraire que pour mieux montrer comment l’imagination se laisse entraîner sur la pente étymologique. »
Il est vrai que l’on ne voit pas clairement comment ces cornues, contrairement à un « pot » ordinaire, pourraient être « découvertes. » Par contre ces indications renvoient pertinemment à l’idée de secret attachée depuis toujours à la rose. L’expression latine sub rosa, « sous la rose », qui signifie « en grand secret », est employée un peu partout dans les langues européennes. L’origine de cette locution est elle-même obscure. La légende veut que Cupidon ait donné une rose à Harpocrates, le dieu du Silence, pour lui demander de ne pas trahir les amours de Vénus. La rose en serait devenue le symbole du silence. Autrefois on sculptait une rose au plafond des salles de banquets pour rappeler aux hôtes que les confidences échangées à la faveur des libations n’étaient pas destinées à courir les rues… Au XVIe siècle on prit également l’habitude de graver une rose sur les confessionnaux !
La rose bien gardée, symbole de l’amour et du mystère qui l’enveloppe, constitue précisément l’argument du célèbre Roman de la Rose. Le poète est amoureux d’une rose, ou plutôt d’un bouton vermeil, qui embaume le jardin d’Amour. Mais les rosiers sont entourés d’une haie « fete d’espines mout poignant », et gardés par des figures allégoriques telles que Danger, Honte, Peur… Devant la hardiesse de l’amoureux qui a osé prendre un baiser, Jalousie fait construire une puissante forteresse pour protéger les rosiers. Il ne reste au poète qu’à se lamenter de ne plus voir la rose « qui est entre les murs enclose. »
Ces tours d’horizon replacent certes le pot aux roses dans un contexte auquel il n’a probablement pas échappé à l’époque où il s’est formé, sans pour autant éclairer son origine de façon déterminante. Il y a quelque ironie à penser que cette expression gardera peut-être éternellement son secret !
Tirer le diable par la queue
Le diable est un personnage de la plus haute importance dans la mythologie occidentale des siècles passés. Il est même étonnant, à la réflexion, que les chrétiens aient cru devoir donner à leur Dieu un rival de cette envergure, sinon dans les hautes sphères de la théologie, du moins dans l’imagination dite populaire. C’est vrai qu’il faut essayer de contenter tout le monde !
Donc en tant que chef de l’opposition, le diable, dit Satan, ou Lucifer, ou encore le Malin, a laissé des traces abondantes dans l’histoire de la langue. Les plus vivantes encore à l’heure actuelle sont des locutions telles que « pauvre diable », « aller au diable », « se faire l’avocat du diable » — du religieux qui, à Rome, est chargé de contester les mérites d’un futur saint dans une procédure de canonisation — ainsi que l’expression courante des misères laborieuses : « tirer le diable par la queue. »
Étant donné le caractère hautement mystérieux du personnage invoqué, je suppose qu’il est assez normal que cette façon de parler reste totalement opaque, et que les essais d’explication à son sujet soient demeurés vains. Comme l’avoue P. Guiraud, « nous devons renoncer à savoir pourquoi on dit : tirer le diable par la queue » ! On est donc réduit à évoquer des directions et à formuler des hypothèses.
Tout d’abord l’expression ne paraît pas particulièrement ancienne ; les premiers exemples remontent à la première moitié du XVIIe siècle. Scarron fait dire au comédien la Rancune dans le Roman comique (1651) : « Je brouille un peu du papier aussi bien que les autres ; mais si je faisais des vers aussi bons la moitié que ceux que vous me venez de lire, je ne serais pas réduit à tirer le diable par la queue et je vivrais de mes rentes… » Dix ans plus tôt Oudin définissait l’expression : « Travailler fort pour gagner sa vie. »
Maurice Rat l’explique ainsi : « L’homme dénué de ressources et à bout d’expédients finit par recourir à l’assistance du diable ; le Malin le rebute, tourne le dos au malheureux qui l’implore, pour l’induire davantage en tentation ; l’autre alors le tire par la queue. »
Peut-être, mais c’est faire comme si le diable était un voisin familier qui apparaît en personne, en cornes et en queue, à la demande, et si la scène se reproduisait quotidiennement à tous les carrefours ! Les locutions naissent généralement à partir d’événements concrets, de manifestations réelles et non de songes plus ou moins collectifs… Faut-il rapporter cette allégorie à quelque passage traditionnel des anciens Mystères où les malheureux auraient supplié le diable de leur venir en aide ? On ne trouve aucune trace de ce genre de scène dans les spectacles en question. Peut-on penser aux sorcières poussées par la misère à invoquer le diable ? Rien ne permet de l’affirmer. Mais surtout une telle interprétation ne tient pas compte du sens d’efforts continuels et mal rémunérés ; et surtout la damnation qu’elle suppose s’accorde mal avec l’idée de travail honnête que contient l’expression.
Par contre retenir par la queue un animal qui tente de s’échapper, un veau ou un cochon par exemple, est l’image même d’une agitation et d’un effort un peu désespéré, au résultat précaire. En général tenir un animal par la queue est le plus mauvais moyen de le maîtriser, le plus malcommode, celui qui donne le plus de peine et qui en outre présente toujours le danger de se faire « conchier. » « Il n’est mie loin du cul qui a la queue le tient », dit un proverbe antérieur au XVe siècle — sans que l’on sache du reste de quelle bête il s’agit. C’est l’inverse de la manière facile de s’emparer d’un bestiau qu’évoque cet autre vieux proverbe : « Dieu donne le bœuf, mais ce n’est pas par la corne », c’est-à-dire il faut se donner du mal pour le mettre dans son étable. Cela dit pourquoi essayer de retenir le diable ? Faute de solution je hasarderai une hypothèse personnelle.
Autant que l’on puisse en juger, l’expression semble signifier dès le départ que malgré le travail on manque d’argent pour vivre. « Faut-il toujours labourer et tirer le diable par la queue ? » dit Mme de Sévigné. Or depuis des temps fort lointains on disait d’une bourse vide qu’elle contenait le diable ; cela à cause de la croix que portaient au revers les anciennes pièces de monnaie. (Voir p. 274.) Cette croix était le symbole de l’argent, comme l’indique Villon dans sa Requeste à Monseigneur de Bourbon :