Jeter de la poudre aux yeux
Le bitume nous prive du plaisir d’anciennes images. Finis les nuages de poussière blancs ou roses soulevés par les rutilantes torpédos d’avant-guerre ! Les moindres routes de campagne ont été conquises par le goudron, là où un vieux vélo lui-même laissait son sillage sur un chemin poudreux.
Poudreux est le mot juste : la poudre — ou pouldre, du latin pulverem (d’où « pulvériser ») — désignait à l’origine la vulgaire poussière. Ce n’est que bien après l’invention de la « poudre » à canon, et le succès qu’on lui connaît, que nos aïeux furent contraints d’utiliser le mot « poussière », pris en Lorraine, pour désigner la chose commune. Les apothicaires gardèrent leur poudre à eux.
C’est donc « poussière » qu’il faut comprendre dans quelques locutions qui ont survécu au changement. « Jeter de la poudre aux yeux, c’est préoccuper les gens, les éblouir par un faux mérite. Ce proverbe prend son origine de ceux qui couroient aux Jeux Olympiques, où l’on disoit que ceux qui avaient gagné le devant, qu’ils jettoient de la poudre aux yeux de ceux qui les suivoient, en élevant le menu sable & la poudre par le mouvement de leurs pieds : ce qui se dit figurément dans les autres occasions où il y a des compétiteurs. » (Furetière.)
Cet usage qui consiste à répandre de la poussière sur ceux que l’on domine semble avoir eu d’autres applications pratiques et symboliques. Le Coran se félicite en ces termes d’une victoire sur les ennemis de la foi : « Ce n’est point toi, ô Mahomet, qui as jeté de la poudre en leurs yeux, c’est Dieu lui-même qui les a confondus. »
Renart agissait de même au XIIIe siècle :
Le sens moderne d’esbroufe me paraît assez bien évoqué par un carrosse en grand équipage soulevant un nuage de « poudre » jetée aux yeux du pauvre monde réfugié en hâte sur les bas-côtés. Mais il y a tant de façons d’en mettre plein la vue !
Prendre la poudre d’escampette
Quant à la « poudre d’escampette » elle est aussi très fine.
« Prendre l’escampe » — probablement de l’occitan escamper, se délivrer, se sauver — c’est prendre la fuite. « Il eut une fois un laquais d’Auvergne qui luy avoit desrobé dix ou douze escus, et avoit pris l’escampe. » (Des Accords.) Il résulte que l’escampette c’est la sauvette, avec un petit air coquin. « On dit de la poudre d’escampette quand on prend la fuite », dit Furetière. Je pense que l’image résulte d’un jeu de mots sur « prendre de la poudre », médicinale cette fois, c’est-à-dire une potion légère qui déclencherait le sauve-qui-peut, en même temps que celui qui détale soulève de la poussière. Il se trouve aussi qu’il est « vif comme la poudre » et part « comme un boulet », ce qui ne gâte rien !
Faire le mariol
Le mot mariol est un mot compliqué, en ce sens qu’il pourrait être double. D’abord un mariol est un malin, un astucieux personnage, qui viendrait, au XVIe siècle, de l’italien mariolo, « filou. » En 1878 Eugène Boutmy présente comme « mariol » un typographe « malin, difficile à tromper. Se dit encore d’un ouvrier très capable. »
Il semble que ce ne soit pas le même qui fait le mariol, c’est-à-dire le joli cœur, l’intéressant, le godelureau. Celui-là est encore plus ancien, venant d’un vieux mot, mariole, diminutif de Marion, lui-même diminutif de Marie. Au XIIIe siècle c’est un « terme de mépris pour désigner la Vierge Marie » (Godefroy). Un personnage de Gautier de Coincy parle avec suspicion des adorateurs de la Vierge :
De là le sens de « petite image ou figure de la Vierge Marie, et par extension toutes autres petites figures de Saints » (Godefroy). Au XIVe siècle, Eustache Deschamps, contre la superstition, refuse de :
Au XVe siècle, les marioles ci-dessous (voir marotte) se seraient croisées, si j’ose dire, avec les marjolets (ou mariolets), jeunes élégants freluquets, « compagnons de la Marjolaine », c’est-à-dire ceux qui, selon un mot d’un auteur de l’époque, allaient donner des sérénades et « la nuit resveiller les pots de marjoleine » sur les balcons de leurs belles ! Collerye parle d’eux et de leurs confrères :
L’histoire ne dit pas comment ces mariolets abandonnèrent la langue, laissant les mariols seuls sur la place… Je crois que le mariol « rusé » y est pour quelque chose. Et puis les « jeunes élégants » meurent de siècle en siècle, remplacés par d’autres ! Le XVIIe siècle a eu ses Muguets, le XVIIIe les Merveilleux, les Incroyables, le XIXe les Dandys, les Gandins. Nous avons eu les Zazous, il n’y a pas si longtemps. Ce n’est sûrement pas fini. Heureusement !…
Avoir une marotte
Il est possible que la marotte ne soit pas un élément particulièrement distinctif des « us et coutumes » ; c’est l’enchaînement étymologique qui me la fait placer ici. Marotte est, comme Marion, un diminutif de Marie (voir ci-dessus). Elle désigne également une figurine, une poupée, pour les mêmes raisons qui ont créé les mariols et les marionnettes. « L’accouchée — dit un texte du XVe — est dans son lit, plus parée qu’une épousée, tant que vous diriez que c’est la tête d’une marotte ou d’une idole. »
Toutefois la marotte s’est spécialisée différemment en devenant le sceptre des bouffons de Cour : « Ce que les fous portent à la main pour les faire reconnaître. C’est un bâton au bout duquel il y a une petite figure ridicule en forme de marionnette coiffée d’un bonnet de différentes couleurs », dit Furetière. J’ajoute qu’elle était aussi munie de grelots. Les manipulateurs de marionnettes appellent encore marottes celles qui sont constituées d’une tête fixée au bout d’un bâton.