C’est là une expression qui comme beaucoup d’autres s’est mise en civil !
Une autre paire de manches
Au Moyen Âge les manches de la cote étaient le plus souvent amovibles, c’est-à-dire qu’on devait les rattacher le matin au corps de l’habit en les « recousant. » Au cours de leur partie de campagne, le jeune empereur du Guillaume de Dole et ses compagnons vont d’abord faire quelques galipettes dans la nature :
Puis ils font leur toilette dans les fontaines des prés, parmi les fleurettes, en compagnie des demoiselles avant le déjeuner :
(Incidemment, comme ils n’ont rien pour s’essuyer :
— c’est un détail.)
Autre exemple, Pygmalion parant amoureusement son amie pour leurs noces, dans le Roman de la Rose :
Cette méthode vestimentaire avait un grand avantage : on pouvait changer les manches sans changer l’habit. On pouvait aussi les échanger, et il arrivait, dit-on, que les amoureux s’offrent mutuellement leurs manches en gage de bonne amitié.
La mode se continua quand les hommes portèrent des pourpoints aux manches très larges qui servaient de poches où l’on mettait mouchoirs, bourses et autres menus objets (voir p. 277), on peut même y avoir quelqu’un ! On met quelqu’un dans sa manche comme plus tard on le mettra dans sa poche. Toujours est-il que les élégants gardèrent longtemps dans un aiguillier pendu à leur ceinture le fil et les aiguilles nécessaires à la mobilité de cet élément de leur parure. Or, des manches nouvelles fixées à un même habit peuvent par leur ampleur, leur couleur, etc., le modifier complètement. Il est naturel que l’on ait donné « une autre paire de manches » comme l’image de quelque chose de complètement différent.
L’expression, attestée par le dictionnaire de Cotgrave (1611), date du XVIe siècle. En 1640 Oudin la classe dans le langage le plus populaire : « C’est une autre paire de manches, une chose bien différente. Vulgaire. » Au XVIIIe encore elle appartient au registre poissard, à la langue des écosseuses de pois des Halles qui jasent entre elles à longueur de journée : « Or, ils faisaient donc l’amour, la petite Grifaude et le grand Cornichon ; et puis, quand leur amour fut fait, ce fut une autre paire de manches ; elle le voulait, il la voulait, et toute sa parenté pareillement : voilà donc qui est bâclé jusqu’à revoir ; on parla d’épousailles ; car faut toujours, coûte que coûte, que le prêtre boute son conjungo à tout ce tracas, et que l’amitié finisse par là, d’autant que ça leur faisait perdre leur temps ; car ce n’est que les riches qu’ont le temps de s’aimer, et si je crois qu’ils ne s’aimont pas trop. » (Caylus, Les Écosseuses, 1739.)
Le contexte ici est loin des gracieusetés de l’amour courtois qu’on a voulu y voir ; l’expression signifie : « ce fut une autre chanson », comme on dirait « ça change de musique. » L’idée d’opposition, de chose radicalement différente, s’est continuée dans le même registre : « Pour celles-là, les richards s’en foutent ! Au contraire ça fait mieux leur compte : y aura toujours assez de singes pour partager la galette ; mais des esclaves, c’est une autre paire de manches ! Le troupeau ne sera jamais trop grouillant, et si la moitié crève de misère, tant mieux. » (Le Père Peinard, 20 avril 1893.)
En tout cas, si la manche amovible revenait à la mode, avec la commodité des boutons-pression, on pourrait facilement rafraîchir la formule.
Faire une belle jambe
De nos jours, ce sont les femmes qui attachent de l’importance à la finesse de leurs jambes ; autrefois c’étaient les hommes qui mettaient leurs cuisses en valeur ! Eh oui, à partir du moment où la mode masculine abandonna la robe pour les chausses, lesquelles firent leur apparition au XVIe siècle, la jambe de l’homme devint peu à peu un objet d’attention. Les chausses étaient ce qui couvre la partie inférieure du corps, à partir de la ceinture. Elles se composaient d’un haut-de-chausses qui descendait au genou — il donnera la culotte — et d’un bas-de-chausses, devenu par abréviation le bas.
Au XVIIe siècle, le galbe de la jambe était devenu chose importante et les jeunes gens coquets soignaient particulièrement la moulure de leurs bas de soie, qu’ils enjolivaient de rubans. « Faire la belle jambe » voulait dire se pavaner, faire le beau. « Un homme qui marche et qui fait la belle jambe, est faux et maniéré », dit Diderot.