Выбрать главу

—Quoi, dit Jahel, M. Coignard se trouve mal?

Et, s'étant agenouillée près de mon bon maître, elle lui souleva la tête et lui fit respirer des sels.

—Mademoiselle, lui dis-je, vous avez causé sa perte. Sa mort est la vengeance de votre enlèvement. C'est Mosaïde qui l'a tué.

Elle leva de dessus mon bon maître son visage pâle d'horreur et brillant de larmes.

—Croyez-vous aussi, me dit-elle, qu'il soit si facile d'être jolie fille sans causer de malheurs?

—Hélas! répondis-je, ce que vous dites là n'est que trop vrai. Mais nous avons perdu le meilleur des hommes.

A ce moment, M. l'abbé Coignard poussa un profond soupir, rouvrit des yeux blancs, demanda son livre de Boèce et retomba en défaillance.

Le postillon fut d'avis de porter le blessé au village de Vallars, situé à une demi-lieue sur la côte.

—Je vais, dit-il, chercher le plus doux des trois chevaux qui nous restent. Nous y attacherons solidement ce pauvre homme, et nous le mènerons au petit pas. Je le crois bien malade. Il a toute la mine d'un courrier qui fut assassiné à la Saint-Michel, sur cette route, à quatre postes d'ici, proche Senecy, où j'ai ma promise. Ce pauvre diable battait de la paupière et faisait l'oeil blanc, comme une gueuse, sauf votre respect, messieurs. Et votre abbé a fait de même, quand mademoiselle lui a chatouillé le nez avec son flacon. C'est mauvais signe pour un blessé; quant aux filles, elles n'en meurent pas pour tourner de l'oeil de cette façon. Vos Seigneuries le savent bien. Et il y a de la distance, Dieu merci! de la petite mort à la grande. Mais c'est le même tour d'oeil… Demeurez, messieurs, je vais quérir le cheval.

—Le rustre est plaisant, dit M. d'Anquetil, avec son oeil tourné et sa gueuse pâmée. J'ai vu en Italie des soldats qui mouraient le regard fixe et les yeux hors de la tête. Il n'y a pas de règles pour mourir d'une blessure, même dans l'état militaire, où l'exactitude est poussée à ses dernières limites. Mais veuillez, Tournebroche, à défaut d'une personne mieux qualifiée, me présenter à ce gentilhomme noir qui porte des boutons de diamant à son habit et que je devine être M. d'Astarac.

—Ah! monsieur, répondis-je, tenez la présentation pour faite. Je n'ai de sentiment que pour assister mon bon maître.

—Soit! dit M. d'Anquetil.

Et, s'approchant de M. d'Astarac:

—Monsieur, dit-il, je vous ai pris votre maîtresse; je suis prêt à vous en rendre raison.

—Monsieur, répondit M. d'Astarac, je n'ai, grâce au ciel, de liaison avec aucune femme, et je ne sais ce que vous voulez dire.

A ce moment, le postillon revint avec un cheval. Mon bon maître avait un peu repris ses sens. Nous le soulevâmes tous quatre et nous parvînmes à grand'peine à le placer sur le cheval où nous l'attachâmes. Puis nous nous mîmes en marche. Je le soutenais d'un côté; M. d'Anquetil le soutenait de l'autre. Le postillon tirait la bride et portait la lanterne. Jahel suivait en pleurant. M. d'Astarac avait regagné sa calèche. Nous avancions doucement. Tout alla bien tant que nous fûmes sur la route. Mais quand il nous fallut gravir l'étroit sentier des vignes, mon bon maître, glissant à tous les mouvements de la bête, perdit le peu de forces qui lui restaient et s'évanouit de nouveau. Nous jugeâmes expédient de le descendre de sa monture et de le porter à bras. Le postillon l'avait empoigné par les aisselles et je tenais les jambes. La montée fut rude et je pensai m'abattre plus de quatre fois, avec ma croix vivante, sur les pierres du chemin. Enfin la pente s'adoucit. Nous nous enfilâmes sur une petite route bordée de haies, qui cheminait sur le coteau, et bientôt nous découvrîmes sur notre gauche les premiers toits de Vallars. A cette vue, nous déposâmes à terre notre malheureux fardeau et nous nous arrêtâmes un moment pour souffler. Puis, reprenant notre faix, nous poussâmes jusqu'au village.

Une lueur rose s'élevait à l'orient au-dessus de l'horizon. L'étoile du matin, dans le ciel pâli, luisait aussi blanche et tranquille que la lune, dont la corne légère pâlissait à l'occident. Les oiseaux se mirent à chanter; mon bon maître poussa un soupir.

Jahel courait devant nous, heurtant aux portes, en quête d'un lit et d'un chirurgien. Chargés de hottes et de paniers, des vignerons s'en allaient aux vendanges. L'un d'eux dit à Jahel que Gaulard, sur la place, logeait à pied et à cheval.

—Quant au chirurgien Coquebert, ajouta-t-il, vous le voyez là-bas, sous le plat à barbe qui lui sert d'enseigne. Il sort de sa maison pour aller à sa vigne.

C'était un petit homme, très poli. Il nous dit qu'ayant depuis peu marié sa fille, il avait un lit dans sa maison pour y mettre le blessé.

Sur son ordre, sa femme, grosse dame coiffée d'un bonnet blanc surmonté d'un chapeau de feutre, mit des draps au lit, dans la chambre basse. Elle nous aida à déshabiller M. l'abbé Coignard et à le coucher. Puis elle s'en alla chercher le curé.

Cependant, M. Coquebert examinait la blessure.

—Vous voyez, lui dis-je, qu'elle est petite et qu'elle saigne peu.

—Cela n'est guère bon, répondit-il, et ne me plaît point, mon jeune monsieur. J'aime une blessure large et qui saigne.

—Je vois, lui dit M. d'Anquetil, que, pour un merlan et un seringueur de village, vous n'avez pas le goût mauvais. Rien n'est pis que ces petites plaies profondes qui n'ont l'air de rien. Parlez-moi d'une belle entaille au visage. Cela fait plaisir à voir et se guérit tout de suite. Mais sachez, bonhomme, que ce blessé est mon chapelain et qu'il fait mon piquet. Êtes-vous homme à me le remettre sur pied, en dépit de votre mine qui est plutôt celle d'un donneur de clystères?

—A votre service, répondit en s'inclinant le chirurgien-barbier. Mais je reboute aussi les membres rompus et je panse les plaies. Je vais examiner celle-ci.

—Faites vite, monsieur, lui dis-je.

—Patience! fit-il. Il faut d'abord la laver, et j'attends que l'eau chauffe dans la bouilloire.

Mon bon maître, qui s'était un peu ranimé, dit lentement, d'une voix assez forte:

—La lampe à la main, il visitera les recoins de Jérusalem, et ce qui était caché dans les ténèbres sera mis au jour.

—Que dites-vous, mon bon maître?

—Laissez, mon fils, répondit-il, je m'entretiens des sentiments propres à mon état.

—L'eau est chaude, me dit le barbier. Tenez ce bassin près du lit. Je vais laver la plaie.

Tandis qu'il passait sur la poitrine de mon bon maître une éponge imbibée d'eau tiède, le curé entra dans la chambre avec madame Coquebert. Il tenait à la main un panier et des ciseaux.

—Voilà donc ce pauvre homme, dit-il. J'allais à mes vignes, mais il faut soigner avant tout celles de Jésus-Christ. Mon fils, ajouta-t-il en s'approchant de lui, offrez votre mal à Notre-Seigneur. Peut-être n'est-il pas si grand qu'on croit. Au demeurant, il faut faire la volonté de Dieu.

Puis, se tournant vers le barbier:

—Monsieur Coquebert, demanda-t-il, cela presse-t-il beaucoup, et puis-je aller à mon clos? Le blanc peut attendre, il n'est pas mauvais qu'il vienne à pourrir, et même un peu de pluie ne ferait que rendre le vin plus abondant et meilleur. Mais il faut que le rouge soit cueilli tout de suite.

—Vous dites vrai, monsieur le curé, répondit Coquebert; j'ai dans ma vigne des grappes qui se couvrent de moisissure et qui n'ont échappé au soleil que pour périr à la pluie.

—Hélas! dit le curé, l'humide et le sec sont les deux ennemis du vigneron.

—Rien n'est plus vrai, dit le barbier, mais je vais explorer la blessure.

Ce disant, il mit de force un doigt dans la plaie.

—Ah! bourreau! s'écria le patient.

—Souvenez-vous, dit le curé, que le Seigneur a pardonné à ses bourreaux.

—Ils n'étaient point barbiers, dit l'abbé.