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—Voilà un méchant mot, dit le curé.

—Il ne faut pas chicaner un mourant sur ses plaisanteries, dit mon bon maître. Mais je souffre cruellement: cet homme m'a assassiné, et je meurs deux fois. La première fois, c'était de la main d'un juif.

—Que veut-il dire? demanda le curé.

—Le mieux, monsieur le curé, dit le barbier, est de ne point s'en inquiéter. Il ne faut jamais vouloir entendre les propos des malades. Ce ne sont que rêveries.

—Coquebert, dit le curé, vous ne parlez pas bien. Il faut entendre les malades en confession, et tel chrétien, qui n'avait rien dit de bon dans sa vie, prononce finalement les paroles qui lui ouvrent le paradis.

—Je ne parlais qu'au temporel, dit le barbier.

—Monsieur le curé, dis-je à mon tour, M. l'abbé Coignard, mon bon maître, ne déraisonne point, et il n'est que trop vrai qu'il a été assassiné par un juif, nommé Mosaïde.

—En ce cas, répondit le curé, il y doit voir une faveur spéciale de Dieu, qui voulut qu'il pérît par la main d'un neveu de ceux qui crucifièrent son fils. La conduite de la Providence dans le monde est toujours admirable. Monsieur Coquebert, puis-je aller à mon clos?

—Vous y pouvez aller, monsieur le curé, répondit le barbier. La plaie n'est pas bonne; mais elle n'est pas non plus telle qu'on en meure tout de suite. C'est, monsieur le curé, une de ces blessures qui jouent avec le malade comme le chat avec les souris, et à ce jeu-là on peut gagner du temps.

—Voilà qui est bien, dit M. le curé. Remercions Dieu, mon fils, de ce qu'il vous laisse la vie; mais elle est précaire et transitoire. Il faut être toujours prêt à la quitter.

Mon bon maître répondit gravement:

—Être sur la terre comme n'y étant pas; posséder comme ne possédant pas, car la figure de ce monde passe.

Reprenant ses ciseaux et son panier, M. le curé dit:

—Mieux encore qu'à votre habit et à vos chausses, que je vois étendus sur cet escabeau, à vos propos, mon fils, je connais que vous êtes d'église et menant une sainte vie. Reçûtes-vous les ordres sacrés?

—Il est prêtre, dis-je, docteur en théologie et professeur d'éloquence.

—Et de quel diocèse? demanda le curé.

—De Séez, en Normandie, suffragant de Rouen.

—Insigne province ecclésiastique, dit M. le curé, mais qui le cède de beaucoup en antiquité et illustration au diocèse de Reims, dont je suis prêtre.

Et il sortit. M. Jérôme Coignard passa paisiblement la journée. Jahel voulut rester la nuit auprès du malade. Je quittai, vers onze heures de la soirée, la maison de M. Coquebert et j'allai chercher un gîte à l'auberge du sieur Gaulard. Je trouvai M. d'Astarac sur la place, dont son ombre, au clair de lune, barrait presque toute la surface. Il me mit la main sur l'épaule comme il en avait l'habitude et me dit avec sa gravité coutumière:

—Il est temps que je vous rassure, mon fils; je n'ai accompagné Mosaïde que pour cela. Je vous vois cruellement tourmenté par les Lutins. Ces petits esprits de la terre vous ont assailli, abusé par toutes sortes de fantasmagories, séduit par mille mensonges, et finalement poussé à fuir ma maison.

—Hélas! monsieur, répondis-je, il est vrai que j'ai quitté votre toit avec une apparente ingratitude dont je vous demande pardon. Mais j'étais poursuivi par les sergents, non par les Lutins. Et mon bon maître est assassiné. Ce n'est pas une fantasmagorie.

—N'en doutez point, reprit le grand homme, ce malheureux abbé a été frappé mortellement par les Sylphes dont il avait révélé les secrets. Il a dérobé dans une armoire quelques pierres qui sont l'ouvrage de ces Sylphes et que ceux-ci avaient laissées imparfaites, et bien différentes encore du diamant, quant à l'éclat et à la pureté.

"C'est cette avidité et le nom d'Agla indiscrètement prononcé qui les a le plus fâchés. Or sachez, mon fils, qu'il est impossible aux philosophes d'arrêter la vengeance de ce peuple irascible. J'ai appris par une voie surnaturelle et aussi par le rapport de Criton, le larcin sacrilège de M. Coignard qui se flattait insolemment de surprendre l'art par lequel les Salamandres, les Sylphes et les Gnômes mûrissent la rosée matinale et la changent insensiblement en cristal et en diamant.

—Hélas! monsieur, je vous assure qu'il n'y songeait point, et que c'est cet horrible Mosaïde qui l'a frappé d'un coup de stylet sur la route.

Ces propos déplurent extrêmement à M. d'Astarac qui m'invita d'une façon pressante à n'en plus tenir de semblables.

—Mosaïde, ajouta-t-il, est assez bon cabbaliste pour atteindre ses ennemis sans se donner la peine de courir après eux. Sachez, mon fils, que, s'il avait voulu tuer M. Coignard, il l'eût fait aisément de sa chambre, par opération magique. Je vois que vous ignorez encore les premiers éléments de la science. La vérité est que ce savant homme, instruit par le fidèle Criton de la fuite de sa nièce, prit la poste pour la rejoindre et la ramener au besoin dans sa maison. Ce qu'il eût fait sans faute, pour peu qu'il eût discerné dans l'âme de cette malheureuse quelque lueur de regret et de repentir. Mais, la voyant toute corrompue par la débauche, il préféra l'excommunier et la maudire par les Globes, les Roues et les Bêtes d'Élisée. C'est précisément ce qu'il vient de faire à mes yeux, dans la calèche où il vit retiré, pour ne point partager le lit et la table des chrétiens.

Je me taisais, étonné par de telles rêveries; mais cet homme extraordinaire me parla avec une éloquence qui ne laissa point de me troubler.

—Pourquoi, disait-il, ne vous laissez-vous pas éclairer des avis d'un philosophe? Quelle sagesse, mon fils, opposez-vous à la mienne? Considérez que la vôtre est moindre en quantité, sans différer en essence. A vous ainsi qu'à moi la nature apparaît comme une infinité de figures, qu'il faut reconnaître et ordonner, et qui forment une suite d'hiéroglyphes. Vous distinguez aisément plusieurs de ces signes auxquels vous attachez un sens; mais vous êtes trop enclin à vous contenter du vulgaire et littéral, et vous ne cherchez pas assez l'idéal et le symbolique. Pourtant le monde n'est concevable que comme symbole, et tout ce qui se voit dans l'univers n'est qu'une écriture imagée, que le vulgaire des hommes épelle sans la comprendre. Craignez, mon fils, d'ânonner et de braire cette langue universelle, à la manière des savants qui remplissent les Académies. Mais plutôt recevez de moi la clef de toute science.

Il s'arrêta un moment et reprit son discours d'un ton plus familier.

—Vous êtes poursuivi, mon cher fils, par des ennemis moins terribles que les Sylphes. Et votre Salamandre n'aura pas de peine à vous débarrasser des Lutins, sitôt que vous lui demanderez de s'y employer. Je vous répète que je ne suis venu ici, avec Mosaïde, que pour vous donner ces bons avis et vous presser de revenir chez moi continuer nos travaux. Je conçois que vous veuilliez assister jusqu'au bout votre malheureux maître. Je vous en donne toute licence. Mais ne manquez pas de revenir ensuite dans ma maison. Adieu! Je retourne cette nuit même à Paris, avec ce grand Mosaïde, que vous avez si injustement soupçonné.

Je lui promis tout ce qu'il voulut et me traînai jusqu'à mon méchant lit d'auberge, où je tombai, appesanti par la fatigue et la douleur.

Le lendemain, au petit jour, je retournai chez le chirurgien et j'y retrouvai Jahel au chevet de mon bon maître, droite sur sa chaise de paille, la tête enveloppée dans sa mante noire, attentive, grave et docile comme une fille de charité. M. Coignard, très rouge, sommeillait.

—La nuit, me dit-elle à voix basse, n'a pas été bonne. Il a discouru, il a chanté, il m'a appelée soeur Germaine et il m'a fait des propositions. Je n'en suis pas offensée, mais cela prouve son trouble.

—Hélas! m'écriai-je, si vous ne m'aviez pas trahi, Jahel, pour courir les routes avec ce gentilhomme, mon bon maître ne serait pas dans ce lit, la poitrine transpercée.