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—C'est bien le malheur de notre ami, répondit-elle, qui cause mes regrets cuisants. Car pour ce qui est du reste, ce n'est pas la peine d'y penser, et je ne conçois pas, Jacques, que vous y songiez dans un pareil moment.

—J'y songe toujours, lui répondis-je.

—Moi, dit-elle, je n'y pense guère. Vous faites à vous seul, plus qu'aux trois quarts, les frais de votre malheur.

—Qu'entendez-vous par là, Jahel?

—J'entends, mon ami, que si j'y fournis l'étoffe, vous y mettez la broderie et que votre imagination enrichit beaucoup trop la simple réalité. Je vous jure qu'à l'heure qu'il est, je ne me rappelle pas moi-même le quart de ce qui vous chagrine; et vous méditez si obstinément sur ce sujet que votre rival vous est plus présent qu'à moi-même. N'y pensez plus et laissez-moi donner de la tisane à l'abbé qui se réveille.

A ce moment, M. Coquebert s'approcha du lit avec sa trousse, fit un nouveau pansement, dit tout haut que la blessure était en bonne voie de guérison. Puis, me tirant à part:

—Je puis vous assurer, monsieur, me dit-il, que ce bon abbé ne mourra pas du coup qu'il a reçu. Mais, à vrai dire, je crains qu'il ne réchappe pas d'une pleurésie assez forte, causée par sa blessure. Il est présentement travaillé d'une grosse fièvre. Mais voici venir M. le curé.

Mon bon maître le reconnut fort bien, et lui demanda poliment comment il se portait.

—Mieux que la vigne, répondit le curé. Car elle est toute gâtée de fleurebers et de vermines contre lesquels le clergé de Dijon fit pourtant, cette année, une belle procession avec croix et bannières. Mais il en faudra faire une plus belle, l'année qui vient, et brûler plus de cire. Il sera nécessaire aussi que l'official excommunie à nouveau les mouches qui détruisent les raisins.

—Monsieur le curé, dit mon bon maître, on dit que vous lutinez les filles dans vos vignes. Fi! ce n'est plus de votre âge. En ma jeunesse, j'étais, comme vous, porté sur la créature. Mais le temps m'a beaucoup amendé, et j'ai tantôt laissé passer une nonnain sans lui rien dire. Vous en usez autrement avec les donzelles et les bouteilles, monsieur le curé. Mais vous faites plus mal encore de ne point dire les messes qu'on vous a payées et de trafiquer des biens de l'Église. Vous êtes bigame et simoniaque.

En entendant ces propos, M. le curé ressentait une surprise douloureuse; sa bouche demeurait ouverte et ses joues tombaient tristement des deux côtés de son large visage:

—Quelles indignes offenses au caractère dont je suis revêtu! soupira-t-il enfin, les yeux au plancher. Quels propos il tient, si près du tribunal de Dieu! Oh! monsieur l'abbé, est-ce à vous de parler de la sorte, vous qui menâtes une sainte vie et étudiâtes dans tant de livres?

Mon bon maître se souleva sur son coude. La fièvre lui rendait tristement et à contresens cet air jovial que nous aimions à lui voir naguère.

—Il est vrai, dit-il, que j'ai étudié les anciens auteurs. Mais il s'en faut que j'aie autant de lecture que le deuxième vicaire de M. l'évêque de Séez. Bien qu'il eût le dehors et le dedans d'un âne, il fut plus grand liseur que moi. Car il était bigle et, guignant de l'oeil, il lisait deux pages à la fois. Qu'en dis-tu, vilain fripon de curé, vieux galant qui cours la guilledine au clair de lune? Curé, ta bonne amie est faite comme une sorcière. Elle a de la barbe au menton: c'est la femme du chirurgien-barbier. Il est amplement cocu, et c'est bien fait pour cet homunculus dont toute la science médicale se hausse à donner un clystère.

—Seigneur Dieu! que dit-il? s'écria madame Coquebert. Il faut qu'il ait le diable au corps.

—J'ai entendu beaucoup de malades parler dans le délire, dit M.

Coquebert, mais aucun ne tenait d'aussi méchants propos.

—Je découvre, dit le curé, que nous aurons plus de peine que je n'avais cru à conduire ce malade vers une bonne fin. Il y a dans sa nature une âcre humeur et des impuretés que je n'y avais pas d'abord remarquées. Il tient des discours malséants à un ecclésiastique et à un malade.

—C'est l'effet de la fièvre, dit le chirurgien-barbier.

—Mais, reprit le curé, cette fièvre, si elle ne s'arrête, le pourrait conduire en enfer. Il vient de manquer gravement à ce qu'on doit à un prêtre. Je reviendrai toutefois l'exhorter demain, car je lui dois, à l'exemple de Notre-Seigneur, une miséricorde infinie. Mais de ce côté, je conçois de vives inquiétudes. Le malheur veut qu'il y ait une fente à mon pressoir, et tous les ouvriers sont aux vignes. Coquebert, ne manquez point de dire un mot au charpentier, et de m'appeler auprès de ce malade, si son état s'aggrave soudainement. Ce sont bien des soucis, Coquebert!

Le jour suivant fut si bon pour M. Coignard, que nous en conçûmes l'espoir de le conserver. Il prit un consommé et se souleva sur son lit. Il parlait à chacun de nous avec sa grâce et sa douceur coutumières. M. d'Anquetil, qui logeait chez Gaulard, le vint voir et lui demanda assez indiscrètement de lui faire son piquet. Mon bon maître promit en souriant de le faire la semaine prochaine. Mais la fièvre le reprit à la tombée du jour. Pâle, les yeux nageant dans une terreur indicible, frissonnant et claquant des dents:

—Le voilà, cria-t-il, ce vieux youtre! C'est le fils que Judas

Iscariote fit à une diablesse en forme de chèvre. Mais il sera pendu

au figuier paternel, et ses entrailles se répandront à terre.

Arrêtez-le… Il me tue! J'ai froid!

Un moment après, rejetant ses couvertures, il se plaignit d'avoir trop chaud.

—J'ai grand'soif, dit-il. Donnez-moi du vin! Et qu'il soit frais. Madame Coquebert, hâtez-vous de l'aller mettre rafraîchir dans la fontaine, car la journée promet d'être brûlante.

Nous étions à la nuit, et il brouillait les heures dans sa tête.

—Faites vite, dit-il encore à madame Coquebert; mais ne soyez pas aussi simple que le sonneur de la cathédrale de Séez, qui, étant allé tirer du puits les bouteilles qu'il y avait mises, aperçut son ombre dans l'eau et se mit à crier: "Holà! messieurs, venez vite m'aider. Car il y a là-bas des antipodes qui boiront notre vin, si nous n'y mettons bon ordre."

—Il est jovial, dit madame Coquebert. Mais tantôt il a tenu sur moi des propos bien indécents. Si j'eusse trompé Coquebert, ce n'aurait point été avec M. le curé, en égard à son état et à son âge.

M. le curé entra dans ce même moment:

—Eh bien, monsieur l'abbé, demanda-t-il à mon maître, dans quelles dispositions vous trouvez-vous? Quoi de nouveau?

—Dieu merci, répondit M. Coignard, il n'est rien de nouveau dans mon âme. Car, ainsi qu'a dit saint Chrysostome, évitez les nouveautés. Ne vous engagez point dans des voies qui n'aient point encore été tentées; on s'égare sans fin, quand une fois on a commencé de s'égarer. J'en ai fait la triste expérience. Et je me suis perdu pour avoir suivi des chemins non frayés. J'ai écouté mes propres conseils et ils m'ont conduit à l'abîme. Monsieur le curé, je suis un pauvre pécheur; le nombre de mes iniquités m'opprime.

—Voilà de belles paroles, dit M. le curé. C'est Dieu lui-même qui vous les dicte. J'y reconnais son style inimitable. Ne voulez-vous point que nous avancions un peu le salut de votre âme?

—Volontiers, dit M. Coignard. Car mes impuretés se lèvent contre moi. J'en vois se dresser de grandes et de petites. J'en vois de rouges et de noires. J'en vois d'infimes qui chevauchent des chiens et des cochons, et j'en vois d'autres qui sont grasses et toutes nues, avec des tétons comme des outres, des ventres qui retombent à grands plis et des fesses énormes.

—Est-il possible, dit M. le curé, que vous en ayez une vue si distincte? Mais, si vos fautes sont telles que vous dites, mon fils, il vaut mieux ne les point décrire et vous borner à les détester intérieurement.