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—Voudriez-vous donc, monsieur le curé, reprit l'abbé, que mes péchés fussent tous faits comme des Adonis? Mais laissons cela. Et vous, barbier, donnez-moi à boire. Connaissez-vous M. de la Musardière?

—Non pas, que je sache, dit M. Coquebert.

—Apprenez donc, reprit mon bon maître, qu'il était très porté sur les femmes.

—C'est par cet endroit, dit le curé, que le diable prend de grands avantages sur l'homme. Mais où voulez-vous en venir, mon fils?

—Vous le verrez bientôt, dit mon bon maître. M. de la Musardière donna rendez-vous à une pucelle dans une étable. Elle y alla, et il l'en laissa sortir comme elle y était venue. Savez-vous pourquoi?

—Je l'ignore, dit le curé, mais laissons cela.

—Non point, reprit M. Coignard. Sachez qu'il se garda de l'accointer, de peur d'engendrer un cheval dont on lui eût fait un procès au criminel.

—Ah! dit le barbier, il devait plutôt avoir peur d'engendrer un âne.

—Sans doute! dit le curé. Mais voilà qui ne nous avance point dans le chemin du paradis. Il conviendrait de reprendre la bonne route. Vous nous teniez tout à l'heure des propos si édifiants!

Au lieu de répondre, mon bon maître se mit à chanter d'une voix assez forte:

Pour mettre en goût le roi Louison On a pris quinze mirlitons Landerinette, Qui tous le balai ont rôti, Landeriri.

—Si vous voulez chanter, mon fils, dit M. le curé, chantez plutôt quelque beau noël bourguignon. Vous y réjouirez votre âme en la sanctifiant.

—Volontiers, répondit mon bon maître. Il en est de Guy Barozai, que je tiens, en leur apparente rusticité, pour plus fins que le diamant et plus précieux que l'or. Celui-ci, par exemple:

Lor qu'au lai saison qu'ai jaule Au monde Jésu-chri vin L'âne et le beu l'échaufin De le leu sofle dans l'étaule. Que d'âne et de beu je sai, Dans ce royaume de Gaule, Que d'âne et de beu je sai Qui n'en arein pas tan fai.

Le chirurgien, sa femme et le curé reprirent ensemble:

Que d'âne et de beu je sai Dans ce royaume de Gaule Que d'âne et de beu je sai Qui n'en arein pas tan fai.

Et mon bon maître reprit d'une voix plus faible:

Mais le pu béo de l'histoire Ce fut que l'âne et le beu Ainsin passire tô deu La nuit sans manger ni boire. Que d'âne et de beu je sai, Couver de pane et de moire, Que d'âne et de beu je sai Qui n'en arein pas tan fai!

Puis il laissa tomber sa tête sur l'oreiller et ne chanta plus.

—Il y a du bon en ce chrétien, nous dit M. le curé, beaucoup de bon, et tantôt encore il m'édifiait moi-même par de belles sentences. Mais il ne laisse point de m'inquiéter, car tout dépend de la fin, et l'on ne sait ce qui restera au fond du panier. Dieu, dans sa bonté, veut qu'un seul moment nous sauve; encore faut-il que ce moment soit le dernier, de sorte que tout dépend d'une seule minute, auprès de laquelle le reste de la vie est comme rien. C'est ce qui me fait frémir pour ce malade, que les anges et les diables se disputent furieusement. Mais il ne faut point désespérer de la miséricorde divine.

Deux jours se passèrent en de cruelles alternatives. Après quoi, mon bon maître tomba dans une faiblesse extrême.

—Il n'y a plus d'espoir, me dit tout bas M. Coquebert. Voyez comme sa tête creuse l'oreiller, et remarquez que son nez est aminci.

En effet, le nez de mon bon maître, naguère gros et rouge, n'était plus qu'une lame recourbée, livide comme du plomb.

—Tournebroche, mon fils, me dit-il d'une voix encore pleine et forte, mais dont je n'avais jamais entendu le son, je sens qu'il me reste peu de temps à vivre. Allez me chercher ce bon prêtre, pour qu'il m'entende en confession.

M. le curé était à sa vigne, où je courus.

—La vendange est faite, me dit-il, et plus abondante que je n'espérais; allons assister ce pauvre homme.

Je le ramenai auprès du lit de mon bon maître, et nous le laissâmes seul avec le mourant.

Il sortit au bout d'une heure et nous dit:

—Je puis vous assurer que M. Jérôme Coignard meurt dans des sentiments admirables de piété et d'humilité. Je vais à sa demande, et en considération de sa ferveur, lui donner le saint viatique. Pendant que je revêts l'aube et l'étole, veuillez, madame Coquebert, m'envoyer dans la sacristie l'enfant qui sert chaque matin ma messe basse, et préparer la chambre pour y recevoir le bon Dieu.

Madame Coquebert balaya la chambre, mit une couverture blanche au lit, posa au chevet une petite table qu'elle couvrit d'une nappe; elle y plaça deux chandeliers dont elle alluma les chandelles, et une jatte de faïence où trempait dans l'eau bénite une branche de buis.

Bientôt nous entendîmes la sonnette agitée dans le chemin par le desservant, et nous vîmes entrer la croix aux mains d'un enfant, et le prêtre vêtu de blanc et portant les saintes espèces. Jahel, M. d'Anquetil, M. et madame Coquebert et moi, nous tombâmes à genoux.

Pax huic domui, dit le prêtre.

Et omnibus habiantibus in ea, répondit le desservant.

Puis M. le curé prit de l'eau bénite dont il aspergea le malade et le lit.

Il se recueillit un moment et dit avec solennité:

—Mon fils, n'avez-vous point une déclaration à faire?

—Oui, monsieur, dit l'abbé Coignard, d'une voix assurée. Je pardonne à mon assassin.

Alors, l'officiant, tirant l'hostie du ciboire:

Ecce agnus Dei, qui tollit peccata mundi.

Mon bon maître répondit en soupirant:

—Parlerai-je à mon Seigneur, moi qui ne suis que poudre et que cendre? Comment oserai-je venir à vous, moi qui ne sens en moi-même aucun bien qui m'en puisse donner la hardiesse? Comment vous introduirai-je chez moi, après avoir si souvent blessé vos yeux pleins de bonté?

Et M. l'abbé Coignard reçut le saint viatique dans un profond silence, déchiré par nos sanglots et par le grand bruit que madame Coquebert faisait en se mouchant.

Après avoir été administré, mon bon maître me fit signe d'approcher de son lit et me dit d'une voix faible, mais distincte:

—Jacques Tournebroche, mon fils, rejette, avec mon exemple, les maximes que j'ai pu te proposer pendant ma folie, qui dura, hélas! autant que ma vie. Crains les femmes et les livres pour la mollesse et l'orgueil qu'on y prend. Sois humble de coeur et d'esprit. Dieu accorde aux petits une intelligence plus claire que les doctes n'en peuvent communiquer. C'est lui qui donne toute science. Mon fils, n'écoute point ceux qui, comme moi, subtiliseront sur le bien et sur le mal. Ne te laisse point toucher par la beauté et la finesse de leurs discours. Car le royaume de Dieu ne consiste pas dans les paroles, mais dans la vertu.

Il se tut, épuisé. Je saisis sa main qui reposait sur le drap, je la couvris de baisers et de larmes. Je lui dis qu'il était notre maître, notre ami, notre père, et que je ne saurais vivre sans lui.

Et je demeurai de longues heures abîmé de douleur au pied de son lit.

Il passa une nuit si paisible que j'en conçus comme un espoir désespéré. Cet état se soutint encore dans la journée qui suivit. Mais vers le soir il commença à s'agiter et à prononcer des paroles si indistinctes qu'elles restent tout entières un secret entre Dieu et lui.

A minuit il retomba dans un abattement profond et l'on n'entendait plus que le bruit léger de ses ongles qui grattaient les draps. Il ne nous reconnaissait plus.