Выбрать главу

Après un assez long temps, un vieux valet vint nous ouvrir, et nous fit signe de le suivre à travers un parc abandonné. Des statues de Nymphes, qui avaient vu la jeunesse du feu roi, cachaient sous le lierre leur tristesse et leurs blessures. Au bout de l'allée, dont les fondrières étaient recouvertes de neige, s'élevait un château de pierre et de brique, aussi morose que celui de Madrid, son voisin, et qui, coiffé tout de travers d'un haut toit d'ardoises, semblait le château de la Belle au Bois dormant.

Tandis que nous suivions les pas du valet silencieux, l'abbé me dit à l'oreille:

—Je vous confesse, mon fils, que le logis ne rit point aux yeux. Il témoigne de la rudesse dans laquelle les moeurs des Français étaient encore endurcies au temps du roi Henri IV, et il porte l'âme à la tristesse et même à la mélancolie, par l'état d'abandon où il a été laissé malheureusement. Qu'il nous serait plus doux de gravir les coteaux enchanteurs de Tusculum, avec l'espoir d'entendre Cicéron discourir de la vertu sous les pins et les térébinthes de sa villa, chère aux philosophes. Et n'avez-vous point observé, mon fils, qu'il ne se rencontre sur cette route ni cabaret, ni hôtellerie d'aucune sorte, et qu'il faudra passer le pont et monter la côte jusqu'au rond-point des Bergères pour boire du vin frais? Il se trouve en effet à cet endroit une auberge du Cheval-Rouge où il me souvient qu'un jour madame de Saint-Ernest m'emmena dîner avec son singe et son amant. Vous ne pouvez concevoir, Tournebroche, à quel point la chère y est fine. Le Cheval-Rouge est autant renommé pour les dîners du matin qu'on y fait, que pour l'abondance des chevaux et des voitures de poste qu'on y loue. Je m'en suis assuré par moi-même, en poursuivant dans l'écurie une certaine servante qui me semblait jolie. Mais elle ne l'était point; on l'eût mieux jugée en la disant laide. Je la colorais du feu de mes désirs, mon fils. Telle est la condition des hommes livrés à eux-mêmes: ils errent pitoyablement. Nous sommes abusés par de vaines images; nous poursuivons des songes et nous embrassons des ombres; en Dieu seul est la vérité et la stabilité.

Cependant nous montâmes, à la suite du vieux valet, les degrés disjoints du perron.

—Hélas! me dit l'abbé dans le creux de l'oreille, je commence à regretter la rôtisserie de monsieur votre père, où nous mangions de bons morceaux en expliquant Quintilien.

Après avoir gravi le premier étage d'un large escalier de pierre, nous fûmes introduits dans un salon, où M. d'Astarac était occupé à écrire près d'un grand feu, au milieu de cercueils égyptiens, de forme humaine, qui dressaient contre les murs leur gaine peinte de figures sacrées et leur face d'or, aux longs yeux luisants.

M. d'Astarac nous invita poliment à nous asseoir et dit:

—Messieurs, je vous attendais. Et puisque vous voulez bien tous deux m'accorder la faveur d'être à moi, je vous prie de considérer cette maison comme vôtre. Vous y serez occupés à traduire des textes grecs que j'ai rapportés d'Egypte. Je ne doute point que vous ne mettiez tout votre zèle à accomplir ce travail quand vous saurez qu'il se rapporte à l'oeuvre que j'ai entreprise et qui est de retrouver la science perdue, par laquelle l'homme sera rétabli dans sa première puissance sur les éléments. Bien que je n'aie pas dessein aujourd'hui de soulever à vos yeux les voiles de la nature et de vous montrer Isis dans son éblouissante nudité, je vous confierai l'objet de mes études, sans craindre que vous en trahissiez le mystère, car je m'assure en votre probité, et, aussi, dans ce pouvoir que j'ai de deviner et de prévenir tout ce qu'on pourrait tenter contre moi, et de disposer, pour ma vengeance, de forces secrètes et terribles. A défaut d'une fidélité dont je ne doute point, ma puissance, messieurs, m'assure de votre silence, et je ne risque rien à me découvrir à vous. Sachez donc que l'homme sortit des mains de Jéhovah avec la science parfaite, qu'il a perdue depuis. Il était très puissant et très sage à sa naissance. C'est ce qu'on voit dans les livres de Moïse. Mais encore faut-il les comprendre. Tout d'abord, il est clair que Jéhovah n'est pas Dieu, mais qu'il est un grand Démon, puisqu'il a créé ce monde. L'idée d'un Dieu à la fois parfait et créateur n'est qu'une rêverie gothique, d'une barbarie digne d'un Welche ou d'un Saxon. On n'admet point, si peu qu'on ait l'esprit poli, qu'un être parfait ajoute quoi que ce soit à sa perfection, fût-ce une noisette. Cela tombe sous le sens. Dieu n'a point d'entendement. Car, étant infini, que pourrait-il bien entendre? Il ne crée point, car il ignore le temps et l'espace, conditions nécessaires à toute construction. Moïse était trop bon philosophe pour enseigner que le monde a été créé par Dieu. Il tenait Jéhovah pour ce qu'il est en réalité, c'est-à-dire pour un puissant Démon, et, s'il faut le nommer, pour le Démiurge.

"Or donc, quand Jéhovah créa l'homme, il lui donna la connaissance du monde visible et du monde invisible. La chute d'Adam et d'Ève, que je vous expliquerai un autre jour, ne détruisit pas tout à fait cette connaissance chez le premier homme et chez la première femme, dont les enseignements passèrent à leurs enfants. Ces enseignements, d'où dépend la domination de la nature, ont été consignés dans le livre d'Enoch. Les prêtres égyptiens en avaient gardé la tradition, qu'ils fixèrent en signes mystérieux, sur les murs des temples et dans les cercueils des morts. Moïse, élevé dans les sanctuaires de Memphis, fut un de leurs initiés. Ses livres, au nombre de cinq et même de six, renferment, comme autant d'arches précieuses, les trésors de la science divine. On y découvre les plus beaux secrets, si toutefois, après les avoir purgés des interpolations qui les déshonorent, on dédaigne le sens littéral et grossier pour ne s'attacher qu'au sens plus subtil, que j'ai pénétré en grande partie, ainsi qu'il vous apparaîtra plus tard. Cependant, les vérités gardées, comme des vierges, dans les temples de l'Egypte, passèrent aux sages d'Alexandrie, qui les enrichirent encore et les couronnèrent de tout l'or pur légué à la Grèce par Pythagore et ses disciples, avec qui les puissances de l'air conversaient familièrement. Il convient donc, messieurs, d'explorer les livres des Hébreux, les hiéroglyphes des Égyptiens et les traités de ces Grecs qu'on nomme gnostiques, précisément parce qu'ils eurent la connaissance. Je me suis réservé, comme il était juste, la part la plus ardue de ce vaste travail. Je m'applique à déchiffrer ces hiéroglyphes, que les Égyptiens inscrivaient dans les temples des dieux et sur les tombeaux des prêtres. Ayant rapporté d'Egypte beaucoup de ces inscriptions, j'en pénètre le sens au moyen de la clé que j'ai su découvrir chez Clément d'Alexandrie.

"Le rabbin Mosaïde, qui vit retiré chez moi, travaille à rétablir le sens véritable du Pentateuque. C'est un vieillard très savant en magie, qui vécut enfermé pendant dix-sept années dans les cryptes de la grande Pyramide, où il lut les livres de Toth. Quant à vous, messieurs, je compte employer votre science à lire les manuscrits alexandrins que j'ai moi-même recueillis en grand nombre. Vous y trouverez, sans doute, des secrets merveilleux, et je ne doute point qu'à l'aide de ces trois sources de lumières, l'égyptienne, l'hébraïque et la grecque, je ne parvienne bientôt à acquérir les moyens qui me manquent encore de commander absolument à la nature tant visible qu'invisible. Croyez bien que je saurai reconnaître vos services en vous faisant participer de quelque manière à ma puissance.