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Je regarde Antigone : elle a son visage enfoui dans mon smoking et je le sens trembler comme l’oisillon auquel on projette un dessin animé sur Félix-le-Chat ! Gloria, quant à elle, allume une cigarette et je lui adresse un clin d’œil.

— Eh bien, je crois que maintenant nous savons à quoi rimait tout cela, poupée ? je murmure.

Quant à Béru, lui, il est en train de se verser un coup de champ. Il le boit d’un gargouillement de gosier, réfute l’excédent de gaz et déclare :

— M’est avis, m’sieurs-dames, que la croisière des monarques, elle va se terminer en nuage !

Il ricane.

— Pourvu que ce nuage aille pleuvoir sur Paris, seulement ! On va aller ranimer le réséda de banlieue, San-A.

Depuis un bout de temps, la voix s’est tue pour laisser s’écouler la panique collective.

Le malheureux Okapis demande dans le microphone :

— Qu’attendez-vous de nous ?

Alors, le fracas de l’ampli remet ça.

— Nous allons vous le dire, monsieur Okapis. Mais pour cela, il est indispensable que vous veniez à notre bord.

« Conformez-vous à nos instructions scrupuleusement. Vous allez prendre une barque au port. Faites-vous accompagner soit par votre femme, soit par un de vos enfants, un point c’est tout. Vous ramerez jusqu’à nous. N’essayez pas de tenter quelque chose d’insensé car nous sommes sur nos gardes. Un projecteur sera braqué sur vous, ainsi qu’une mitrailleuse. À la moindre fausse manœuvre, nous tirerons. »

— Que me voulez-vous ?

— C’est pour vous l’apprendre que nous vous faisons venir. Faites immédiatement ce que je vous dis. Si tout se passe bien et si nous obtenons satisfaction, la bombe ne sautera pas ! C’est tout !

Le haut-parleur redevient silencieux.

Okapis laisse tomber son micro et s’assied misérablement dans un fauteuil.

— C’est fou, c’est fou ! balbutie-t-il.

Je m’approche de lui.

— Faites ce qu’ils vous demandent.

Toute la compagnie insiste avec âpreté.

— Oui, allez-y !

Alors l’armateur se dresse.

— Ils m’ont demandé d’emmener ma femme ou un de mes enfants…

Il regarde autour de lui.

— Où est Eczéma ?

— Au chevet de votre fils, fis-je vivement. Allez à bord avec Antigone !

— Oui, père, renchérit la jeune fille qui semble retrouver quelque énergie, je vais avec vous !

Okapis se redresse et sort, tenant sa fille par le bras. Je les suis, après avoir fait signe à Béru et à Gloria de m’imiter. Je ne peux pas parler dans cette pièce à cause du micro indiscret.

Nous parcourons quelques mètres en direction du port. Parvenu dans un endroit désert, j’arrête le petit groupe d’un geste péremptoire.

— Tenons conseil ! dis-je.

Okapis me regarde comme un somnambule réveillé en sursaut regarde la cheminée du toit sur lequel il vadrouillait.

— Écoutez-moi, dis-je. On pourrait supposer que cette histoire de bombe atomique est fausse, mais ce serait pécher par excès d’optimisme. Je suis disposé à croire ces hommes. Je vais même plus loin, je suis persuadé que même si vous leur donnez satisfaction, ils feront sauter l’île.

— Vous croyez ? balbutie Antigone.

— Réfléchissez ! Ils ne peuvent se permettre de laisser un seul témoin derrière eux. L’homme qui parlait « prétendu être l’unique rescapé de l’U-69-69 ; son nom serait facile à retrouver. Et puis toutes les marines du monde prendraient en chasse leur damné sous-marin. Pour la réussite de leur plan, il faut donc qu’ils aillent jusqu’au bout. Ceci posé, il faut risquer le tout pour le tout. Voici ce que nous allons faire : monsieur Okapis va se rendre à bord avec sa fille, exactement comme ils l’exigent. Je les accompagnerai.

Gloria hausse les épaules.

— Vous n’avez donc pas entendu, ils ont dit…

— Je serai dans l’eau, coupé-je. Juste derrière la barque à laquelle je me tiendrai. Lorsque nous approcherons du sous-marin, je me glisserai sous la barque. Ensuite, j’improviserai.

Je sors de ma poche le pistolet de Gloria.

— J’aimerais protéger ce joujou des flots berceurs, fais-je. Pour cela il me faudrait un sac étanche…

— Le coffrage de plexiglas de ma caméra sous-marine ? propose Antigone.

— Ce serait parfait.

Elle s’élance déjà vers la maison, mais je la stoppe.

— Antigone, mon chou. Passez par les cuisines, demandez aux domestiques les ventouses à déboucher les éviers et rapportez-moi toutes celles que vous pourrez trouver.

Elle a un temps mort, puis, s’abstenant de me poser la question qui lui brûle les lèvres, elle retourne dans la maison.

J’ai idée que mon calme a retapé un peu le pauvre père Okapis.

— Quelle aventure ! soupire-t-il.

— Ça, conviens-je, si nous en réchappons, on en parlera dans les chaumières !

— Ce que vous tentez là est sans espoir, fait Gloria.

— Merci pour vos encouragements, riposté-je, mais je crois que nous sommes dans ce genre d’impasse où l’impossible est notre suprême recours.

Béru, qui gamberge depuis un bout de moment, grogne à l’adresse de ma fiancée.

— Un San-Antonio qui met le paquet, vous avez pas idée de ce que ça peut donner, mademoiselle Miss !

Puis, se tournant vers moi, il demande :

— Le Béru, qu’est-ce qu’il branle dans tout ça ?

— J’y arrive. Selon moi, l’organisation « Z » n’a pu mettre au point ce dispositif insensé sans avoir des complices dans la place.

— C’est ce que je pense aussi, fait Okapis.

Gloria hoche la tête.

— S’ils ont des complices, à quoi leur servirait de faire venir M. Okapis à leur bord ? Les complices traiteraient directement.

Je ne peux m’empêcher de lui distiller un sourire malfaisant.

— Chère petite tête creuse, qu’est-ce qu’on vous colle dans le crâne dans vos centres d’entraînement ? Du son ou de la fumée ? Voyons, si les complices de l’organisation « Z » s’étaient manifestés, nous aurions réagi ; ayant les adversaires en face de nous, nous aurions aisément pu les neutraliser étant donné que nous sommes très nombreux. En ce cas, leur entreprise échouait puisqu’ils ne pouvaient décemment faire sauter l’île avec leurs gens ! Ils ont évité de nous fournir des otages, en somme. Cette façon de communiquer à distance est diabolique. Ce sont des champions.

— Dix sur dix, San-Antonio, murmure Gloria, belle joueuse.

Se tournant vers Okapis, elle déclare :

— Je commence à croire que vous avez eu raison de vous assurer la collaboration indirecte de ce sacré flic, mister Okapis.

Le Gros, qui n’en a rien à fiche de nos congratulations prématurées, le dit :

— Hé, les Gars, rouscaille Son Enflure, vous vous passerez de la vaseline plus tard. Moi, je réintègre ma question ; quoi t’est-ce que je maquille pendant que tu joues les Jean Bart, San-A. ?

— Eh bien ! voilà ; selon moi, ils ont combiné leur plan de la façon suivante : Okapis va à bord. Ils exigent de lui une rançon et gardent Antigone avec eux pendant qu’il revient la chercher. Dans l’intervalle, les complices quittent l’îlot. Il faut donc que Gloria et toi les reteniez coûte que coûte. Faites un tour de l’île en démarrant chacun d’un côté pour gagner du temps. Si vous apercevez un canot amarré clandestinement, embusquez-vous et attendez que les types en question rappliquent. Il est indispensable que vous soyez armés. Si vous ne trouvez pas de canot, revenez au port, cela signifie qu’ils emprunteront l’un des bateaux qui y sont amarrés. Compris ?