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Je colle la troisième ventouse plus haut que la première. J’y prends appui tout en me maintenant avec les pinceaux à la deuxième (si vous avez du mal à suivre, faites-vous un dessin). J’arrache alors la première et la fixe au-dessus de la troisième. Maintenant, je dois retirer mes panards si je veux poursuivre cette ascension à rebours. C’est donc avec les dents que je chope la ventouse numéro un (oui, faites un dessin, vous allez vous paumer, ou alors allez m’attendre au paragraphe suivant, j’arrive tout de suite). Ma main libérée empoigne la ventouse numéro deux et la plaque plus haut que les deux précédentes, vous voyez ? Et je renouvelle l’opération jusqu’à ce qu’à reculons j’aie atteint le bastingage. Je le cramponne avec les pieds. Sauvé ! À moins qu’un tordu ne m’aperçoive ? Mais non, les faisceaux des projecteurs braqués sur la mer, constituent, chose admirable, un écran protecteur. Il est impossible aux gens de l’équipage de voir ce qui se passe au-dessous. Je m’accorde trente-cinq secondes de répit car je suis exténué, vidé. Voilà dix minutes que j’ai la tête en bas ; le sang cogne à mes tempes et brouille ma vue.

Allez, San-A. ! Continue ton effort. Les minutes travaillent contre toi !

Un suprême rétablissement : je suis sur le pont, à l’abri de la coupole. La sueur dégouline sur ma poitrine. J’ai le corps brûlé par le frottement sur la coque de fer. Je dénoue ma chemise et récupère le flingue de Gloria in the box. Le contact de sa crosse gaufrée est amical, rassurant. Voilà que je me sens superman jusqu’à la racine des cheveux !

En rampant, je vais me placer tout contre la coupole. Maintenant, le bruit des voix est très proche, très distinct.

— Nous avons la liste de toutes les banques du monde chez lesquelles vous avez un compte ouvert, monsieur Okapis…

« Vous allez en conséquence nous apporter tous vos chéquiers et vous signerez leurs chèques devant nous. D’autre part, vous possédez à Zürich un compte secret à Douglaster Bank Générale Compagnie. Je crois savoir que deux milliards y sont déposés. Nous voulons un bon de retrait pour la totalité de cette somme. D’autre part, les reines qui sont ici portent des joyaux de grande valeur. Et je ne parle pas de madame Okapis qui possède (pour quelques minutes encore) la parure des Fouinozoff. Il nous faut la totalité de ces bijoux. Faites une collecte ! Vous avez tout bien compris ?

— Oui, fait la voix mal assurée d’Okapis.

— Nous vous laissons une heure pour nous ramener tout cela, pas une minute de plus, m’entendez-vous ?

— Qui me prouve que, si je vous obéis, vous ne ferez pas sauter l’île ? demande Okapis.

La réponse arrive, sèche, cinglante, sans réplique.

— Rien. Mais c’est la dernière chance que vous ayez à courir. Allez, nous gardons votre fille ici jusqu’à votre retour.

Et la voix enchaîne :

— Aidez monsieur Okapis à redescendre dans son canot.

Voilà des affaires rondement menées. Le coup du siècle, mes amis ! Si tout se passe bien pour eux, ils vont engranger une cinquantaine de milliards. Les hold-up de banque, les agressions de garçons de recette, les vols dans les casinos ou les agences du P.M.U., font triste figure à côté.

Je patiente un moment encore. Et puis je continue mes reptations jusqu’à ce que je me trouve à la limite du terrain découvert. Maintenant je vois le pont. Ils sont quatre hommes plus Antigone. L’un des hommes fume béatement, assis derrière le trépied d’une mitrailleuse braquée vers le rivage. Un deuxième aide Okapis en lui tenant l’échelle de corde tendue, tandis que les deux autres conversent à l’écart.

Je retire ma physionomie presto et je réfléchis. Maintenant que je suis à pied d’œuvre, que puis-je tenter logiquement ? Il y a des gars de l’équipage dans le sous-marin. Si l’alerte est donnée ils vont se mettre en plongée ou rappliquer en nombre.

On ne fait pas la guerre tout seul.

J’entends le floc maladroit des rames d’Okapis.

— Asseyez-vous, mademoiselle ! propose une voix.

— Non, merci. Ça vous ennuierait de me faire visiter l’intérieur ? C’est la première fois que je monte à bord d’un sous-marin.

La voix calme d’Antigone me va droit au cœur. Chère et courageuse enfant ! C’est à cause de moi qu’elle formule cette requête. Elle s’applique à éloigner le maximum de bonshommes du pont.

— Qu’est-ce qu’on fait, Billy ? questionne un des types.

— On n’a rien à refuser à une jolie fille, ricane l’interpellé. Vas-y avec Steve et faites attention qu’elle ne touche à rien !

Je vois se profiler trois ombres sur l’échelle scellée qui mène à l’orifice de la coupole. Elles ne tardent pas à disparaître. Ouf ! Je commence à me sentir à mon aise.

À nouveau, j’émerge de ma zone d’ombre. Mon choix se porte sur l’homme qui est debout contre le bastingage. Je le couche en joue, soigneusement et je lâche une praline. Faut être économe car je n’en ai que six à ma disposition. Ça fait un flac qui ne se différencie pratiquement pas des grandes claques fluides de l’eau contre le bâtiment. Le type a un soubresaut et tombe à genoux. Ses mains restent agrippées au bastingage. Il continue de se cramponner à la rampe, le frère, mais sa tête pend en arrière.

C’est signé « Pour solde de tout compte ! »

Un moment s’écoule. Et puis brusquement, la voix inquiète du mitrailleur s’élève.

— Hé ! Jo ! Qu’est-ce qui t’arrive, tu as des vapeurs ?

En guise de réponse, le dénommé Jo s’abat en arrière. Le mitrailleur se précipite vers lui. Je le poivre avant qu’il ait atteint son pote, d’un chouette pruneau entre les omoplates. Il zigzague et s’affale sur la carcasse de son copain.

« Et de deux ! » compté-je, car j’ai toujours été très brillant en mathématiques. Je cours à ces messieurs et je les file au jus à travers les barreaux de la rambarde. Plouf ! Plouf ! Même s’ils ne sont pas complètement out, je sais de fraîche expérience qu’ils ne pourront pas regrimper à bord.

Bon, et maintenant ?

Je regarde autour de moi. Quatre balles de revolver et une mitrailleuse, ça s’améliore. Notez que je préfère mes quatre balles de pétard qui elles sont silencieuses.

Je regrette de n’avoir pas pris le mitrailleur au judo pour économiser une valda. Faut se méfier de ses réflexes. On voit un dos, on défouraille, c’est humain !

Je me redis, sans me brusquer, parce que, susceptible comme je me sais, si je me tarabustais je m’enverrais sur les roses : et maintenant, que vais-je faire ?

Je bondis sur un des projecteurs fixés au bastingage et je lui fais décrire un arc de cercle de 90° (j’irais bien jusqu’à cent degrés mais j’ai peur qu’il se mette à bouillir). J’en axe le faisceau sur la dunette. Voilà qui est astucieux. Les types qui en émergeront vont prendre les cinq cents kilowatts dans les carreaux et ils ne pourront même plus reconnaître leur maman à trente millimètres.

Ce qu’il faut faire, maintenant, c’est attendre ! Attendre toujours, attendre encore ! Attendre pour vaincre ou pour mourir.

Un truc m’avantage : pour accéder au pont, depuis les entrailles du sous-marin, il n’y a qu’une issue. Je traque des renards dont le terrier ne posséderait qu’une sortie. Mais par contre, ces renards ont la faculté de s’enfoncer à des centaines de mètres dans la mer.

Un moment passe, que j’ai du mal à évaluer. Je peux vous dire dix minutes, mais je crains de me tromper. De toute manière, comme ça n’a aucune importance, je vous dis dix minutes.

Un buste jaillit de la coupole. C’est un des types qui a accompagné Antigone. En morflant le faisceau, il met son bras devant ses yeux.

— Jo, bon Dieu ! fait-il, règle-moi ce p… de projecteur qui s’est déréglé.