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La jeune femme s’était levée, et, à voir l’air de résolution qui se manifesta sur ses traits, on pouvait croire qu’elle en avait fini avec les émotions violentes qu’un moment le souvenir du passé avait éveillées en elle.

– Maintenant, dit-elle, vous me connaissez tout entière, Monsieur, et j’espère que vous voudrez bien me rendre le service que j’ai à vous demander, puisque vous êtes certain que votre intérêt ne s’égarera pas sur une créature indigne.

– Qu’attendez-vous de moi? interrogea Gaston, repris de nouveau par sa curiosité.

– Peu de chose, en réalité; mais de votre concours dépend peut-être le succès des recherches auxquelles je vais me livrer.

– Parlez en toute confiance, et si je puis vous être utile.

– En premier lieu, continua la jeune femme, vous m’aiderez à abréger toutes les formalités que je vais avoir à subir au sortir de cette prison! Il s’agit, d’abord, d’emporter d’ici le corps de mon père, et de le déposer dans le cimetière du bourg le plus voisin.

– Cela sera fait comme vous le souhaitez: dans une heure, la chaloupe viendra prendre le cercueil, et dès demain, il sera enseveli dans le lieu que vous aurez désigné vous-même. J’ajoute que l’équipage de l’Atalante l’accompagnera à sa demeure dernière.

– Merci.

– Ce n’est pas tout ce que vous désirez?

– Non, Monsieur.

– Qu’y a-t-il encore?

La jeune femme parut hésiter une dernière fois; mais elle fit aussitôt un effort sur elle-même, et leva son regard assuré sur Gaston.

– Vous êtes jeune, Monsieur, dit-elle d’une voix ferme; pendant les courts instants que je viens de passer avec vous, j’ai pu m’assurer que vous êtes sensible et bon, et je me suis persuadé qu’une femme ne s’adressera pas en vain à votre loyauté.

– Je ne vous comprends pas.

– Je vais m’expliquer. Votre temps est précieux, je n’en doute pas, et je comprends que vous ayez hâte de reprendre la mer.

– Sans doute.

– Cependant si je vous priais de ne pas vous éloigner tout de suite, de m’accorder un jour ou deux, pour m’aider dans certaines démarches que je ne puis faire seule ou qui, du moins, acquerraient une grande autorité si je les faisais appuyée à votre bras et recommandée de votre nom.

– Que voulez-vous dire?

– Est-ce trop demander à votre courtoisie?

– Ce n’est malheureusement pas de courtoisie qu’il s’agit, Madame, mais de mon devoir qui m’oblige à reprendre la mer le plus tôt possible.

– Alors vous comptez repartir demain.

– Demain, à l’issue de la cérémonie funèbre.

La jeune femme réprima un mouvement de contrariété, et son regard plongea dans celui du commandant.

– Soit! dit-elle d’un ton nerveux, j’espérais mieux, mais je n’insiste pas. Seulement, dans les délais que vous venez d’indiquer vous-même, pourrai-je compter sur vous?

– Assurément.

– Vous voudrez bien m’accorder votre appui et votre bras?

– Sans doute.

– Ce que je vous demande-là, songez-y, Monsieur, je ne puis le demander à personne autre. Désormais, je suis seule au monde, et si vous me refusiez…

– Mais, par grâce, dites-moi…

– Voici: je vous ai raconté tout à l’heure, que pour le rapt odieux accompli sur ma personne, mon père s’était fait aider par un sien ami, commandant d’un cutter de l’État.

– Eh bien!

– Eh bien… cet homme, je veux le voir!

– Vous savez donc où il est.

– Il habite à quelques milles de la côte, où il vit misérablement! L’infâme action qu’il a commise ne lui a pas profité, et une lettre récente qu’il a écrite à mon père, et que j’ai pu intercepter, témoigne de quelques remords. Peut-être le moment est-il favorable: il doit connaître bien des choses du passé, et qui sait si je ne parviendrai pas à lui arracher quelques aveux. Vous comprenez.

– Parfaitement.

– Et vous consentez à m’accompagner?

– Nous partirons quand vous voudrez.

Par un mouvement plus prompt que la pensée même, la jeune femme s’empara des mains de Gaston et les baisa avec un transport de joie folle.

– Ah! c’est bien, cela! dit-elle en cherchant à réagir contre sa propre émotion, vous êtes généreux, et Dieu vous récompensera. Si ma fille m’est rendue, c’est à vous peut-être que je le devrai…

Puis elle passa dans une pièce voisine, jeta à la hâte une mante sur ses épaules, un voile épais sur ses cheveux, et revint peu après vers le jeune commandant qui attendait.

– Partons! partons! dit-elle, ne perdons pas une seconde… nous n’avons plus que quelques heures de jour; et la nuit, nous pouvons être arrêtés par bien des obstacles… Venez!…

Ils descendirent d’un pas rapide vers l’embarcation qui fut immédiatement poussée à la mer, et quelques minutes après, elle filait vers la côte, emportant le commandant, la jeune femme et Bob, le petit mousse.

Quand ils atteignirent la côte, il était cinq heures environ.

La bourrasque s’était tout à fait calmée; la mer était unie comme un lac; de chaque côté de l’embarcation, le regard plongeait en des profondeurs limpides, où l’on distinguait une végétation vigoureuse, aux tons colorés, où se mêlaient les fougères hérissées, de véritables parterres émaillés de pépites azurées, ou encore de longs rubans de lianes globuleuses ou tubulées. C’était comme une fête des yeux; de temps à autre, s’élançaient du flanc des rochers aigus et noirs des arbres gigantesques dont les branches chargées de fleurs éclatantes se balançaient mollement au mouvement du flux et du reflux.

Gaston de Pradelle avait rarement observé un pareil spectacle, et s’abandonnait à l’admiration qu’il éveillait en lui.

Quant à miss Fanny Stevenson, elle semblait indifférente à tout, absorbée dans une pensée unique, ne songeant qu’à son but.

Elle s’était rejetée à l’arrière de l’embarcation, avait serré fortement sa mante autour de sa taille, son voile épais sur ses cheveux.

Ainsi accotée, elle gardait le silence, et pendant tout le temps elle ne proféra pas une parole.

Seulement, quand on approcha de terre, elle parut éprouver comme une secousse nerveuse, se dressa sur son séant, et, écartant brusquement son voile, elle jeta un regard plein de flamme sur la rive.

– Qu’avez-vous? interrogea Gaston, rappelé par ce mouvement à la réalité de la situation.

– Nous approchons! fit la jeune femme.

– Vous reconnaissez la côte?

Un sourire amer crispa la lèvre de miss Stevenson, pendant qu’un frisson secouait ses épaules.

– Depuis dix années, répondit-elle, tout cela a bien changé; la nature ne vieillit pas, et l’âge ne fait que l’embellir. Ce bourg, que vous apercevez maintenant derrière ces bouquets d’arbres, n’était autrefois qu’un pauvre petit refuge de pêcheurs; maintenant c’est presque une ville.

– Est-ce là que vous habitiez?

Miss Stevenson étendit la main vers un point de la rive.