Le fameux manteau cerise avait fait tant d’effet de par le monde qu’il n’y avait pas à s’y tromper.
– Eh mordi! s’écria Coconnas; c’est bien lui, cette fois, et le voilà qui rentre. Eh! eh! La Mole, eh! notre ami. Peste! j’ai pourtant une bonne voix. Comment se fait-il donc qu’il ne m’ait pas entendu? Mais par bonheur j’ai aussi bonnes jambes que bonne voix, et je vais le rejoindre.
Dans cette espérance, Coconnas s’élança de toute la vigueur de ses jarrets, arriva en un instant au Louvre; mais quelque diligence qu’il eût faite, au moment où il mettait le pied dans la cour, le manteau rouge, qui paraissait fort pressé aussi, disparaissait sous le vestibule.
– Ohé! La Mole! s’écria Coconnas en reprenant sa course, attends-moi donc, c’est moi, Coconnas! Que diable as-tu donc à courir ainsi? Est-ce que tu te sauves, par hasard?
En effet, le manteau rouge, comme s’il eût eu des ailes, escaladait le second étage plutôt qu’il ne le montait.
– Ah! tu ne veux pas m’entendre! cria Coconnas. Ah! tu m’en veux! ah! tu es fâché! Eh bien, au diable, mordi! quant à moi, je n’en puis plus.
C’était au bas de l’escalier que Coconnas lançait cette apostrophe au fugitif, qu’il renonçait à suivre des jambes, mais qu’il continuait à suivre de l’œil à travers la vis de l’escalier et qui était arrivé à la hauteur de l’appartement de Marguerite. Tout à coup une femme sortit de cet appartement et prit celui que poursuivait Coconnas par le bras.
– Oh! oh! fit Coconnas, cela m’a tout l’air d’être la reine Marguerite. Il était attendu. Alors, c’est autre chose, je comprends qu’il ne m’ait pas répondu.
Et il se coucha sur la rampe, plongeant son regard par l’ouverture de l’escalier. Alors, après quelques paroles à voix basse, il vit le manteau cerise suivre la reine chez elle.
– Bon! bon! dit Coconnas, c’est cela. Je ne me trompais point. Il y a des moments où la présence de notre meilleur ami nous est importune, et ce cher La Mole est dans un de ces moments-là.
Et Coconnas, montant doucement les escaliers, s’assit sur un banc de velours qui garnissait le palier même, en se disant:
– Soit, au lieu de le rejoindre, j’attendrai… oui; mais, ajouta-t-il, j’y pense, il est chez la reine de Navarre, de sorte que je pourrais bien attendre longtemps… Il fait froid, mordi! Allons, allons! j’attendrai aussi bien dans ma chambre. Il faudra toujours bien qu’il y rentre, quand le diable y serait.
Il achevait à peine ces paroles et commençait à mettre à exécution la résolution qui en était le résultat, lorsqu’un pas allègre et léger retentit au-dessus de sa tête, accompagné d’une petite chanson si familière à son ami que Coconnas tendit aussitôt le cou vers le côté d’où venait le bruit du pas et de la chanson. C’était La Mole qui descendait de l’étage supérieur, celui où était située sa chambre, et qui, apercevant Coconnas, se mit à sauter quatre à quatre les escaliers qui le séparaient encore de lui, et, cette opération terminée, se jeta dans ses bras.
– Oh! mordi, c’est toi! dit Coconnas. Et par où diable es-tu donc sorti?
– Eh! par la rue Cloche-Percée, pardieu!
– Non. Je ne dis pas de la maison là-bas…
– Et d’où?
– De chez la reine.
– De chez la reine?
– De chez la reine de Navarre.
– Je n’y suis pas entré.
– Allons donc!
– Mon cher Annibal, dit La Mole, tu déraisonnes. Je sors de ma chambre, où je t’attends depuis deux heures.
– Tu sors de ta chambre?
– Oui.
– Ce n’est pas toi que j’ai poursuivi sur la place du Louvre?
– Quand cela?
– À l’instant même.
– Non.
– Ce n’est pas toi qui as disparu sous le guichet il y a dix minutes?
– Non.
– Ce n’est pas toi qui viens de monter cet escalier comme si tu étais poursuivi par une légion de diables?
– Non.
– Mordi! s’écria Coconnas, le vin de la Belle-Étoile n’est point assez méchant pour m’avoir tourné à ce point la tête. Je te dis que je viens d’apercevoir ton manteau cerise et ta plume blanche sous le guichet du Louvre, que j’ai poursuivi l’un et l’autre jusqu’au bas de cet escalier, et que ton manteau, ton plumeau, tout, jusqu’à ton bras qui fait le balancier, était attendu ici par une dame que je soupçonne fort d’être la reine de Navarre, laquelle a entraîné le tout par cette porte qui, si je ne me trompe, est bien celle de la belle Marguerite.
– Mordieu! dit La Mole en pâlissant, y aurait-il déjà trahison?
– À la bonne heure! dit Coconnas. Jure tant que tu voudras, mais ne me dis plus que je me trompe.
La Mole hésita un instant, serrant sa tête entre ses mains et retenu entre son respect et sa jalousie; mais sa jalousie l’emporta, et il s’élança vers la porte, à laquelle il commença à heurter de toutes ses forces, ce qui produisit un vacarme assez peu convenable, eu égard à la majesté du lieu où l’on se trouvait.
– Nous allons nous faire arrêter, dit Coconnas; mais n’importe, c’est bien drôle. Dis donc, La Mole, est-ce qu’il y aurait des revenants au Louvre?
– Je n’en sais rien, dit le jeune homme, aussi pâle que la plume qui ombrageait son front; mais j’ai toujours désiré en voir, et comme l’occasion s’en présente, je ferai de mon mieux pour me trouver face à face avec celui-là.
– Je ne m’y oppose pas, dit Coconnas, seulement frappe un peu moins fort si tu ne veux pas l’effaroucher.
La Mole, si exaspéré qu’il fût, comprit la justesse de l’observation et continua de frapper, mais plus doucement.
XXV Le manteau cerise
Coconnas ne s’était point trompé. La dame qui avait arrêté le cavalier au manteau cerise était bien la reine de Navarre; quant au cavalier au manteau cerise, notre lecteur a déjà deviné, je présume, qu’il n’était autre que le brave de Mouy.
En reconnaissant la reine de Navarre, le jeune huguenot comprit qu’il y avait quelque méprise: mais il n’osa rien dire, dans la crainte qu’un cri de Marguerite ne le trahît. Il préféra donc se laisser amener jusque dans les appartements, quitte, une fois arrivé là, à dire à sa belle conductrice:
– Silence pour silence, madame. En effet, Marguerite avait serré doucement le bras de celui que, dans la demi-obscurité, elle avait pris pour La Mole, et, se penchant à son oreille, elle lui avait dit en latin: