– Non, l’épée a traversé le larynx.
– Je vous avais dit en ce cas de le faire écrire?
– J’ai essayé, lui-même a réuni toutes ses forces; mais sa main n’a pu tracer que deux lettres presque illisibles, puis il s’est évanoui: la veine jugulaire a été ouverte, et le sang qu’il a perdu lui a ôté toutes ses forces.
– Avez-vous vu ces lettres?
– Les voici.
René tira un papier de sa poche et le présenta à Catherine, qui le déplia vivement.
– Un M et un O, dit-elle… Serait-ce décidément ce La Mole, et toute cette comédie de Marguerite ne serait-elle qu’un moyen de détourner les soupçons?
– Madame, dit René, si j’osais émettre mon opinion dans une affaire où Votre Majesté hésite à former la sienne, je lui dirais que je crois M. de La Mole trop amoureux pour s’occuper sérieusement de politique.
– Vous croyez?
– Oui, surtout trop amoureux de la reine de Navarre pour servir avec dévouement le roi, car il n’y a pas de véritable amour sans jalousie.
– Et vous le croyez donc tout à fait amoureux?
– J’en suis sûr.
– Aurait-il eu recours à vous?
– Oui.
– Et il vous a demandé quelque breuvage, quelque philtre?
– Non, nous nous en sommes tenus à la figure de cire.
– Piquée au cœur?
– Piquée au cœur.
– Et cette figure existe toujours?
– Oui.
– Elle est chez vous?
– Elle est chez moi.
– Il serait curieux, dit Catherine, que ces préparations cabalistiques eussent réellement l’effet qu’on leur attribue.
– Votre Majesté est plus que moi à même d’en juger.
– La reine de Navarre aime-t-elle M. de La Mole?
– Elle l’aime au point de se perdre pour lui. Hier elle l’a sauvé de la mort au risque de son honneur et de sa vie. Vous voyez, madame, et cependant vous doutez toujours.
– De quoi?
– De la science.
– C’est qu’aussi la science m’a trahie, dit Catherine en regardant fixement René, qui supporta admirablement bien ce regard.
– En quelle occasion?
– Oh! vous savez ce que je veux dire; à moins toutefois que ce soit le savant et non la science.
– Je ne sais ce que vous voulez dire, madame, répondit le Florentin.
– René, vos parfums ont-ils perdu leur odeur?
– Non, madame, quand ils sont employés par moi; mais il est possible qu’en passant par la main des autres… Catherine sourit et hocha la tête.
– Votre opiat a fait merveille, René, dit-elle, et madame de Sauve a les lèvres plus fraîches et plus vermeilles que jamais.
– Ce n’est pas mon opiat qu’il faut en féliciter, madame, car la baronne de Sauve, usant du droit qu’a toute jolie femme d’être capricieuse, ne m’a plus reparlé de cet opiat, et moi, de mon côté, après la recommandation que m’avait faite Votre Majesté, j’ai jugé à propos de ne lui en point envoyer. Les boîtes sont donc toutes encore à la maison telles que vous les y avez laissées, moins une qui a disparu sans que je sache quelle personne me l’a prise ni ce que cette personne a voulu en faire.
– C’est bien, René, dit Catherine; peut-être plus tard reviendrons-nous là-dessus; en attendant, parlons d’autre chose.
– J’écoute, madame.
– Que faut-il pour apprécier la durée probable de la vie d’une personne?
– Savoir d’abord le jour de sa naissance, l’âge qu’elle a, et sous quel signe elle a vu le jour.
– Puis ensuite?
– Avoir de son sang et de ses cheveux.
– Et si je vous porte de son sang et de ses cheveux, si je vous dis sous quel signe il a vu le jour, si je vous dis l’âge qu’il a, le jour de sa naissance, vous me direz, vous, l’époque probable de sa mort?
– Oui, à quelques jours près.
– C’est bien. J’ai de ses cheveux, je me procurerai de son sang.
– La personne est-elle née pendant le jour ou pendant la nuit?
– À cinq heures vingt-trois minutes du soir.
– Soyez demain à cinq heures chez moi, l’expérience doit être faite à l’heure précise de la naissance.
– C’est bien, dit Catherine, nous y serons. René salua et sortit sans paraître avoir remarqué le nous y serons, qui indiquait cependant, que contre son habitude, Catherine ne viendrait pas seule.
Le lendemain, au point du jour, Catherine passa chez son fils. À minuit elle avait fait demander de ses nouvelles, et on lui avait répondu que maître Ambroise Paré était près de lui, et s’apprêtait à le saigner si la même agitation nerveuse continuait.
Encore tressaillant dans son sommeil, encore pâle du sang qu’il avait perdu, Charles dormait sur l’épaule de sa fidèle nourrice, qui, appuyée contre son lit, n’avait point depuis trois heures changé de position, de peur de troubler le repos de son cher enfant.
Une légère écume venait poindre de temps en temps sur les lèvres du malade, et la nourrice l’essuyait avec une fine batiste brodée. Sur le chevet était un mouchoir tout maculé de larges taches de sang.
Catherine eut un instant l’idée de s’emparer de ce mouchoir, mais elle pensa que ce sang, mêlé comme il l’était à la salive qui l’avait détrempé, n’aurait peut-être pas la même efficacité; elle demanda à la nourrice si le médecin n’avait pas saigné son fils comme il lui avait fait dire qu’il le devait faire. La nourrice répondit que si, et que la saignée avait été si abondante que Charles s’était évanoui deux fois.
La reine mère, qui avait quelque connaissance en médecine comme toutes les princesses de cette époque, demanda à voir le sang; rien n’était plus facile, le médecin avait recommandé qu’on le conservât pour en étudier les phénomènes.
Il était dans une cuvette dans le cabinet à côté de la chambre. Catherine y passa pour l’examiner, remplit de la rouge liqueur un petit flacon qu’elle avait apporté dans cette intention; puis rentra, cachant dans ses poches ses doigts, dont l’extrémité eût dénoncé la profanation qu’elle venait de commettre.
Au moment où elle reparaissait sur le seuil du cabinet, Charles rouvrit les yeux et fut frappé de la vue de sa mère. Alors rappelant, comme à la suite d’un rêve, toutes ses pensées empreintes de rancune:
– Ah! c’est vous, madame? dit-il. Eh bien, annoncez à votre fils bien-aimé, à votre Henri d’Anjou, que ce sera pour demain.
– Mon cher Charles, dit Catherine, ce sera pour le jour que vous voudrez. Tranquillisez-vous et dormez.
Charles, comme s’il eût cédé à ce conseil, ferma effectivement les yeux; et Catherine qui l’avait donné comme on fait pour consoler un malade ou un enfant, sortit de sa chambre. Mais derrière elle, et lorsqu’il eut entendu se refermer la porte, Charles se redressa, et tout à coup, d’une voix étouffée par l’accès dont il souffrait encore:
– Mon chancelier! cria-t-il, les sceaux, la cour!… qu’on me fasse venir tout cela.
La nourrice, avec une tendre violence, ramena la tête du roi sur son épaule, et pour le rendormir essaya de le bercer comme lorsqu’il était enfant.