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– Quatre cents lieues se font en huit jours, mon fils.

– Oui; mais sait-on si ces gens-là me laisseront revenir? Que ne puis-je attendre, ma mère!…

– Qui sait? dit Catherine; cet accident dont parle René n’est-il pas celui qui, depuis hier, couche le roi sur un lit de douleur? Écoutez, rentrez de votre côté, mon enfant; moi, je vais passer par la petite porte du cloître des Augustines, ma suite m’attend dans ce couvent. Allez, Henri, allez, et gardez-vous d’irriter votre frère, si vous le voyez.

XI Les confidences

La première chose qu’apprit le duc d’Anjou en arrivant au Louvre, c’est que l’entrée solennelle des ambassadeurs était fixée au cinquième jour. Les tailleurs et les joailliers attendaient le prince avec de magnifiques habits et de superbes parures que le roi avait commandés pour lui.

Pendant qu’il les essayait avec une colère qui mouillait ses yeux de larmes, Henri de Navarre s’égayait fort d’un magnifique collier d’émeraudes, d’une épée à poignée d’or et d’une bague précieuse que Charles lui avait envoyés le matin même.

D’Alençon venait de recevoir une lettre et s’était renfermé dans sa chambre pour la lire en toute liberté.

Quant à Coconnas, il demandait son ami à tous les échos du Louvre.

En effet, comme on le pense bien, Coconnas, assez peu surpris de ne pas voir rentrer La Mole de toute la nuit, avait commencé dans la matinée à concevoir quelque inquiétude: il s’était en conséquence mis à la recherche de son ami, commençant son investigation par l’hôtel de la Belle-Étoile, passant de l’hôtel de la Belle-Étoile à la rue Cloche-Percée, de la rue Cloche-Percée à la rue Tizon, de la rue Tizon au pont Saint-Michel, enfin du pont Saint-Michel au Louvre.

Cette investigation avait été faite, vis-à-vis de ceux auxquels elle s’adressait, d’une façon tantôt si originale, tantôt si exigeante, ce qui est facile à concevoir quand on connaît le caractère excentrique de Coconnas, qu’elle avait suscité entre lui et trois seigneurs de la cour des explications qui avaient fini à la mode de l’époque, c’est-à-dire sur le terrain. Coconnas avait mis à ces rencontres la conscience qu’il mettait d’ordinaire à ces sortes de choses; il avait tué le premier et blessé les deux autres, en disant:

– Ce pauvre La Mole, il savait si bien le latin!

C’était au point que le dernier, qui était le baron de Boissey, lui avait dit en tombant:

– Ah! pour l’amour du ciel, Coconnas, varie un peu, et dis au moins qu’il savait le grec.

Enfin, le bruit de l’aventure du corridor avait transpiré: Coconnas s’en était gonflé de douleur, car un instant il avait cru que tous ces rois et tous ces princes lui avaient tué son ami, et l’avaient jeté dans quelque oubliette.

Il apprit que d’Alençon avait été de la partie, et passant par-dessus la majesté qui entourait le prince du sang, il l’alla trouver et lui demanda une explication comme il l’eût fait envers un simple gentilhomme.

D’Alençon eut d’abord bonne envie de mettre à la porte l’impertinent qui venait lui demander compte de ses actions; mais Coconnas parlait d’un ton de voix si bref, ses yeux flamboyaient d’un tel éclat, l’aventure des trois duels en moins de vingt-quatre heures avait placé le Piémontais si haut, qu’il réfléchit, et qu’au lieu de se livrer à son premier mouvement, il répondit à son gentilhomme avec un charmant sourire:

– Mon cher Coconnas, il est vrai que le roi furieux d’avoir reçu sur l’épaule une aiguière d’argent, le duc d’Anjou mécontent d’avoir été coiffé avec une compote d’oranges, et le duc de Guise humilié d’avoir été souffleté avec un quartier de sanglier, ont fait la partie de tuer M. de La Mole; mais un ami de votre ami a détourné le coup. La partie a donc manqué, je vous en donne ma parole de prince.

– Ah! fit Coconnas respirant sur cette assurance comme un soufflet de forge, ah! mordi, Monseigneur, voilà qui est bien, et je voudrais connaître cet ami, pour lui prouver ma reconnaissance.

M. d’Alençon ne répondit rien, mais sourit plus agréablement encore qu’il ne l’avait fait; ce qui laissa croire à Coconnas que cet ami n’était autre que le prince lui-même.

– Eh bien, Monseigneur! reprit-il, puisque vous avez tant fait que de me dire le commencement de l’histoire, mettez le comble à vos bontés en me racontant la fin. On voulait le tuer, mais on ne l’a pas tué, me dites-vous; voyons! qu’en a-t-on fait? Je suis courageux, allez! dites, et je sais supporter une mauvaise nouvelle. On l’a jeté dans quelque cul de basse-fosse, n’est-ce pas? Tant mieux, cela le rendra circonspect. Il ne veut jamais écouter mes conseils. D’ailleurs on l’en tirera, mordi! Les pierres ne sont pas dures pour tout le monde.

D’Alençon hocha la tête.

– Le pis de tout cela, dit-il, mon brave Coconnas, c’est que depuis cette aventure ton ami a disparu, sans qu’on sache où il est passé.

– Mordi! s’écria le Piémontais en pâlissant de nouveau, fût-il passé en enfer, je saurai où il est.

– Écoute, dit d’Alençon qui avait, mais par des motifs bien différents, aussi bonne envie que Coconnas de savoir où était La Mole, je te donnerai un conseil d’ami.

– Donnez, Monseigneur, dit Coconnas, donnez.

– Va trouver la reine Marguerite, elle doit savoir ce qu’est devenu celui que tu pleures.

– S’il faut que je l’avoue à Votre Altesse, dit Coconnas, j’y avais déjà pensé, mais je n’avais point osé; car, outre que madame Marguerite m’impose plus que je ne saurais dire, j’avais peur de la trouver dans les larmes. Mais, puisque Votre Altesse m’assure que La Mole n’est pas mort et que Sa Majesté doit savoir où il est, je vais faire provision de courage et aller la trouver.

– Va, mon ami, va, dit le duc François. Et quand tu auras des nouvelles, donne-m’en à moi-même; car je suis en vérité aussi inquiet que toi. Seulement souviens-toi d’une chose, Coconnas…

– Laquelle?

– Ne dis pas que tu viens de ma part, car en commettant cette imprudence tu pourrais bien ne rien apprendre.

– Monseigneur, dit Coconnas, du moment où Votre Altesse me recommande le secret sur ce point, je serai muet comme une tanche ou comme la reine mère.

«Bon prince, excellent prince, prince magnanime», murmura Coconnas en se rendant chez la reine de Navarre.

Marguerite attendait Coconnas, car le bruit de son désespoir était arrivé jusqu’à elle, et en apprenant par quels exploits ce désespoir s’était signalé, elle avait presque pardonné à Coconnas la façon quelque peu brutale dont il traitait son amie madame la duchesse de Nevers, à laquelle le Piémontais ne s’était point adressé à cause d’une grosse brouille existant déjà depuis deux ou trois jours entre eux. Il fut donc introduit chez la reine aussitôt qu’annoncé.

Coconnas entra, sans pouvoir surmonter ce certain embarras dont il avait parlé à d’Alençon qu’il éprouvait toujours en face de la reine, et qui lui était bien plus inspiré par la supériorité de l’esprit que par celle du rang; mais Marguerite l’accueillit avec un sourire qui le rassura tout d’abord.

– Eh! madame, dit-il, rendez-moi mon ami, je vous en supplie, ou dites-moi tout au moins ce qu’il est devenu; car sans lui je ne puis pas vivre. Supposez Euryale sans Nisus, Damon sans Pythias, ou Oreste sans Pylade, et ayez pitié de mon infortune en faveur d’un des héros que je viens de vous citer, et dont le cœur, je vous le jure, ne l’emportait pas en tendresse sur le mien.