Marguerite sourit, et après avoir fait promettre le secret à Coconnas, elle lui raconta la fuite par la fenêtre. Quant au lieu de son séjour, si instantes que fussent les prières du Piémontais, elle garda sur ce point le plus profond silence. Cela ne satisfaisait qu’à demi Coconnas; aussi se laissa-t-il aller à des aperçus diplomatiques de la plus haute sphère. Il en résulta que Marguerite vit clairement que le duc d’Alençon était de moitié dans le désir qu’avait son gentilhomme de connaître ce qu’était devenu La Mole.
– Eh bien, dit la reine, si vous voulez absolument savoir quelque chose de positif sur le compte de votre ami, demandez au roi Henri de Navarre, c’est le seul qui ait le droit de parler; quant à moi, tout ce que je puis vous dire, c’est que celui que vous cherchez est vivant: croyez-en ma parole.
– J’en crois une chose plus certaine encore, madame, répondit Coconnas, ce sont vos beaux yeux qui n’ont point pleuré.
Puis, croyant qu’il n’y avait rien à ajouter à une phrase qui avait le double avantage de rendre sa pensée et d’exprimer la haute opinion qu’il avait du mérite de La Mole, Coconnas se retira en ruminant un raccommodement avec madame de Nevers, non pas pour elle personnellement, mais pour savoir d’elle ce qu’il n’avait pu savoir de Marguerite.
Les grandes douleurs sont des situations anormales dont l’esprit secoue le joug aussi vite qu’il lui est possible. L’idée de quitter Marguerite avait d’abord brisé le cœur de La Mole; et c’était bien plutôt pour sauver la réputation de la reine que pour préserver sa propre vie qu’il avait consenti à fuir.
Aussi dès le lendemain au soir était-il revenu à Paris pour revoir Marguerite à son balcon. Marguerite, de son côté, comme si une voix secrète lui eût appris le retour du jeune homme, avait passé toute la soirée à sa fenêtre; il en résulta que tous deux s’étaient revus avec ce bonheur indicible qui accompagne les jouissances défendues. Il y a même plus: l’esprit mélancolique et romanesque de La Mole trouvait un certain charme à ce contretemps. Cependant, comme l’amant véritablement épris n’est heureux qu’un moment, celui pendant lequel il voit ou possède, et souffre pendant tout le temps de l’absence, La Mole, ardent de revoir Marguerite, s’occupa d’organiser au plus vite, l’événement qui devait la lui rendre, c’est-à-dire la fuite du roi de Navarre.
Quant à Marguerite, elle se laissait, de son côté, aller au bonheur d’être aimée avec un dévouement si pur. Souvent elle s’en voulait de ce qu’elle regardait comme une faiblesse; elle, cet esprit viril, méprisant les pauvretés de l’amour vulgaire, insensible aux minuties qui en font pour les âmes tendres le plus doux, le plus délicat, le plus désirable de tous les bonheurs, elle trouvait sa journée sinon heureusement remplie, du moins heureusement terminée, quand vers neuf heures, paraissant à son balcon vêtue d’un peignoir blanc, elle apercevait sur le quai, dans l’ombre, un cavalier dont la main se posait sur ses lèvres, sur son cœur; c’était alors une toux significative, qui rendait à l’amant le souvenir de la voix aimée. C’était quelquefois aussi un billet vigoureusement lancé par une petite main et qui enveloppait quelque bijou précieux, mais bien plus précieux encore pour avoir appartenu à celle qui l’envoyait que pour la matière qui lui donnait sa valeur, et qui allait résonner sur le pavé à quelques pas du jeune homme. Alors La Mole, pareil à un milan, fondait sur cette proie, la serrait dans son sein, répondait par la même voie, et Marguerite ne quittait son balcon qu’après avoir entendu se perdre dans la nuit les pas du cheval poussé à toute bride pour venir, et qui, pour s’éloigner, semblait d’une matière aussi inerte que le fameux colosse qui perdit Troie.
Voilà pourquoi la reine n’était pas inquiète du sort de La Mole, auquel, du reste, de peur que ses pas ne fussent épiés, elle refusait opiniâtrement tout autre rendez-vous que ces entrevues à l’espagnole, qui duraient depuis sa fuite et se renouvelaient dans la soirée de chacun des jours qui s’écoulaient dans l’attente de la réception des ambassadeurs, réception remise à quelques jours, comme on l’a vu, par les ordres exprès d’Ambroise Paré.
La veille de cette réception, vers neuf heures du soir, comme tout le monde au Louvre était préoccupé des préparatifs du lendemain, Marguerite ouvrit sa fenêtre et s’avança sur le balcon; mais à peine y fut-elle que, sans attendre la lettre de Marguerite, La Mole, plus pressé que de coutume, envoya la sienne, qui vint, avec son adresse accoutumée, tomber aux pieds de sa royale maîtresse. Marguerite comprit que la missive devait renfermer quelque chose de particulier, elle rentra pour la lire.
Le billet, sur le recto de la première page, renfermait ces mots:
«Madame, il faut que je parle au roi de Navarre. L’affaire est urgente. J’attends.»
Et sur le second recto ces mots, que l’on pouvait isoler des premiers en séparant les deux feuilles:
«Madame et ma reine, faites que je puisse vous donner un de ces baisers que je vous envoie. J’attends.»
Marguerite achevait à peine cette seconde partie de la lettre, qu’elle entendit la voix de Henri de Navarre qui, avec sa réserve habituelle, frappait à la porte commune, et demandait à Gillonne s’il pouvait entrer.
La reine divisa aussitôt la lettre, mit une des pages dans son corset, l’autre dans sa poche, courut à la fenêtre qu’elle ferma, et s’élançant vers la porte:
– Entrez, Sire, dit-elle.
Si doucement, si promptement, si habilement que Marguerite eût fermé cette fenêtre, la commotion en était arrivée jusqu’à Henri, dont les sens toujours tendus avaient, au milieu de cette société dont il se défiait si fort, presque acquis l’exquise délicatesse où ils sont portés chez l’homme vivant dans l’état sauvage. Mais le roi de Navarre n’était pas un de ces tyrans qui veulent empêcher leurs femmes de prendre l’air et de contempler les étoiles.
Henri était souriant et gracieux comme d’habitude.
– Madame, dit-il, tandis que nos gens de cour essaient leurs habits de cérémonie, je pense à venir échanger avec vous quelques mots de mes affaires, que vous continuez de regarder comme les vôtres, n’est-ce pas?
– Certainement, monsieur, répondit Marguerite, nos intérêts ne sont-ils pas toujours les mêmes?
– Oui, madame, et c’est pour cela que je voulais vous demander ce que vous pensez de l’affectation que M. le duc d’Alençon met depuis quelques jours à me fuir, à ce point que depuis avant-hier il s’est retiré à Saint-Germain. Ne serait-ce pas pour lui soit un moyen de partir seul, car il est peu surveillé, soit un moyen de ne point partir du tout? Votre avis, s’il vous plaît, madame? il sera, je vous l’avoue, d’un grand poids pour affermir le mien.
– Votre Majesté a raison de s’inquiéter du silence de mon frère. J’y ai songé aujourd’hui toute la journée, et mon avis est que, les circonstances ayant changé, il a changé avec elles.
– C’est-à-dire, n’est-ce pas, que, voyant le roi Charles malade, le duc d’Anjou roi de Pologne, il ne serait pas fâché de demeurer à Paris pour garder à vue la couronne de France?
– Justement.
– Soit. Je ne demande pas mieux, dit Henri, qu’il reste; seulement cela change tout notre plan; car il me faut, pour partir seul, trois fois les garanties que j’aurais demandées pour partir avec votre frère, dont le nom et la présence dans l’entreprise me sauvegardaient. Ce qui m’étonne seulement, c’est de ne pas entendre parler de M. de Mouy. Ce n’est point son habitude de demeurer ainsi sans bouger. N’en auriez-vous point eu des nouvelles, madame?