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Les deux amis demeurèrent seuls.

Les premiers détails, on le comprend bien, que demanda Coconnas à son ami, furent ceux de la fatale soirée qui avait failli lui coûter la vie. À mesure que La Mole avançait dans sa narration, le Piémontais, qui sur ce point cependant, on le sait, n’était pas facile à émouvoir, frissonnait de tous ses membres.

– Et pourquoi, lui demanda-t-il, au lieu de courir les champs comme tu l’as fait, et de me donner les inquiétudes que tu m’as données, ne t’es-tu point réfugié près de notre maître? Le duc, qui t’avait défendu, t’aurait caché. J’eusse vécu près de toi, et ma tristesse, quoique feinte, n’en eût pas moins abusé les niais de la cour.

– Notre maître! dit La Mole à voix basse, le duc d’Alençon?

– Oui. D’après ce qu’il m’a dit, j’ai dû croire que c’est à lui que tu dois la vie.

– Je dois la vie au roi de Navarre, répondit La Mole.

– Oh! oh! fit Coconnas, en es-tu sûr?

– À n’en point douter.

– Ah! le bon, l’excellent roi! Mais le duc d’Alençon, que faisait-il, lui, dans tout cela?

– Il tenait la corde pour m’étrangler.

– Mordi! s’écria Coconnas, es-tu sûr de ce que tu dis, La Mole? Comment! ce prince pâle, ce roquet, ce piteux, étrangler mon ami! Ah! mordi! dès demain je veux lui dire ce que je pense de cette action.

– Es-tu fou?

– C’est vrai, il recommencerait… Mais qu’importe? cela ne se passera point ainsi.

– Allons, allons, Coconnas, calme-toi, et tâche de ne pas oublier que onze heures et demie viennent de sonner et que tu es de service ce soir.

– Je m’en soucie bien de son service! Ah! bon, qu’il compte là-dessus! Mon service! Moi, servir un homme qui a tenu la corde!… Tu plaisantes!… Non!… C’est providentieclass="underline" il est dit que je devais te retrouver pour ne plus te quitter. Je reste ici.

– Mais malheureux, réfléchis donc, tu n’es pas ivre.

– Heureusement; car si je l’étais, je mettrais le feu au Louvre.

– Voyons, Annibal, reprit La Mole, sois raisonnable. Retourne là-bas. Le service est chose sacrée.

– Retournes-tu avec moi?

– Impossible.

– Penserait-on encore à te tuer?

– Je ne crois pas. Je suis trop peu important pour qu’il y ait contre moi un complot arrêté, une résolution suivie. Dans un moment de caprice, on a voulu me tuer, et c’est tout: les princes étaient en gaieté ce soir-là.

– Que fais-tu, alors?

– Moi, rien: j’erre, je me promène.

– Eh bien, je me promènerai comme toi, j’errerai avec toi. C’est un charmant état. Puis, si l’on t’attaque, nous serons deux, et nous leur donnerons du fil à retordre. Ah! qu’il vienne, ton insecte de duc! je le cloue comme un papillon à la muraille!

– Mais demande-lui un congé, au moins!

– Oui, définitif.

– Préviens-le que tu le quittes, en ce cas.

– Rien de plus juste. J’y consens. Je vais lui écrire.

– Lui écrire, c’est bien leste, Coconnas, à un prince du sang!

– Oui, du sang! du sang de mon ami. Prends garde, s’écria Coconnas en roulant ses gros yeux tragiques, prends garde que je m’amuse aux choses de l’étiquette!

– Au fait, se dit La Mole, dans quelques jours il n’aura plus besoin du prince, ni de personne; car s’il veut venir avec nous, nous l’emmènerons.

Coconnas prit donc la plume sans plus longue opposition de son ami, et tout couramment composa le morceau d’éloquence que l’on va lire.

«Monseigneur, «Il n’est pas que Votre Altesse, versée dans les auteurs de l’Antiquité comme elle l’est, ne connaisse l’histoire touchante d’Oreste et de Pylade, qui étaient deux héros fameux par leurs malheurs et par leur amitié. Mon ami La Mole n’est pas moins malheureux qu’Oreste, et moi je ne suis pas moins tendre que Pylade. Il a, dans ce moment-ci, de grandes occupations qui réclament mon aide. Il est donc impossible que je me sépare de lui. Ce qui fait que, sauf l’approbation de Votre Altesse, je prends un petit congé, déterminé que je suis de m’attacher à sa fortune, quelque part qu’elle me conduise: c’est dire à Votre Altesse combien est grande la violence qui m’arrache de son service, en raison de quoi je ne désespère pas d’obtenir son pardon, et j’ose continuer de me dire avec respect, «De Votre Altesse royale, «Monseigneur, «Le très humble et très obéissant «ANNIBAL, COMTE DE COCONNAS, «ami inséparable de M. de La Mole.»

Ce chef-d’œuvre terminé, Coconnas le lut à haute voix à La Mole qui haussa les épaules.

– Eh bien, qu’en dis-tu? demanda Coconnas, qui n’avait pas vu le mouvement, ou qui avait fait semblant de ne pas le voir.

– Je dis, répondit La Mole, que M. d’Alençon va se moquer de nous.

– De nous?

– Conjointement.

– Cela vaut encore mieux, ce me semble, que de nous étrangler séparément.

– Bah! dit La Mole en riant, l’un n’empêchera peut-être point l’autre.

– Eh bien, tant pis! arrive qu’arrive, j’envoie la lettre demain matin. Où allons-nous coucher en sortant d’ici?

– Chez maître La Hurière. Tu sais, dans cette petite chambre où tu voulais me daguer quand nous n’étions pas encore Oreste et Pylade?

– Bien, je ferai porter ma lettre au Louvre par notre hôte. En ce moment le panneau s’ouvrit.

– Eh bien, demandèrent ensemble les deux princesses, où sont Oreste et Pylade?

– Mordi! madame, répondit Coconnas, Pylade et Oreste meurent de faim et d’amour.

Ce fut effectivement maître La Hurière qui, le lendemain à neuf heures du matin, porta au Louvre la respectueuse missive de maître Annibal de Coconnas.

XIV Orthon

Henri, même après le refus du duc d’Alençon qui remettait tout en question, jusqu’à son existence, était devenu, s’il était possible, encore plus grand ami du prince qu’il ne l’était auparavant.

Catherine conclut de cette intimité que les deux princes non seulement s’entendaient, mais encore conspiraient ensemble. Elle interrogea là-dessus Marguerite; mais Marguerite était sa digne fille, et la reine de Navarre, dont le principal talent était d’éviter une explication scabreuse, se garda si bien des questions de sa mère, qu’après avoir répondu à toutes, elle la laissa plus embarrassée qu’auparavant.

La Florentine n’eut donc plus pour la conduire que cet instinct intrigant qu’elle avait apporté de la Toscane, le plus intrigant des petits États de cette époque, et ce sentiment de haine qu’elle avait puisé à la cour de France, qui était la cour la plus divisée d’intérêts et d’opinions de ce temps.

Elle comprit d’abord qu’une partie de la force du Béarnais lui venait de son alliance avec le duc d’Alençon, et elle résolut de l’isoler.

Du jour où elle eut pris cette résolution, elle entoura son fils avec la patience et le talent du pêcheur, qui, lorsqu’il a laissé tomber les plombs loin du poisson, les traîne insensiblement jusqu’à ce que de tous côtés ils aient enveloppé sa proie.

Le duc François s’aperçut de ce redoublement de caresses, et de son côté fit un pas vers sa mère. Quant à Henri, il feignit de ne rien voir, et surveilla son allié de plus près qu’il ne l’avait fait encore.