– Et qu’en résultera-t-il?
– Avez-vous confiance en moi, d’Alençon?
– Oui, ma mère.
– Voulez-vous m’obéir aveuglément à l’égard de Henri, que vous n’aimez pas, quoi que vous en disiez? D’Alençon sourit.
– Et que je déteste, moi, continua Catherine.
– Oui, j’obéirai.
– Après-demain, venez chercher le livre ici, je vous le donnerai, vous le porterez à Henri… et…
– Et…?
– Laissez Dieu, la Providence ou le hasard faire le reste. François connaissait assez sa mère pour savoir qu’elle ne s’en rapportait point d’habitude à Dieu, à la Providence ou au hasard du soin de servir ses amitiés ou ses haines; mais il se garda d’ajouter un seul mot, et saluant en homme qui accepte la commission dont on le charge, il se retira chez lui.
– Que veut-elle dire? pensa le jeune homme en montant l’escalier, je n’en sais rien. Mais ce qu’il y a de clair pour moi dans tout ceci, c’est qu’elle agit contre un ennemi commun. Laissons-la faire.
Pendant ce temps, Marguerite, par l’intermédiaire de La Mole, recevait une lettre de De Mouy. Comme en politique les deux illustres conjoints n’avaient point de secret, elle décacheta cette lettre et la lut.
Sans doute cette lettre lui parut intéressante, car à l’instant même Marguerite, profitant de l’obscurité qui commençait à descendre le long des murailles du Louvre, se glissa dans le passage secret, monta l’escalier tournant, et, après avoir regardé de tous côtés avec attention, s’élança rapide comme une ombre, et disparut dans l’antichambre du roi de Navarre.
Cette antichambre n’était plus gardée par personne depuis la disparition d’Orthon.
Cette disparition, dont nous n’avons pas parlé depuis le moment où le lecteur l’a vu s’opérer d’une façon si tragique pour le pauvre Orthon, avait fort inquiété Henri. Il s’en était ouvert à madame de Sauve et à sa femme, mais ni l’une ni l’autre n’était plus instruite que lui; seulement, madame de Sauve lui avait donné quelques renseignements, à la suite desquels il était demeuré parfaitement clair à l’esprit de Henri que le pauvre enfant avait été victime de quelque machination de la reine mère, et que c’était à la suite de cette machination qu’il avait failli, lui, être arrêté avec de Mouy, dans l’auberge de la Belle-Étoile.
Un autre que Henri eût gardé le silence, car il n’eût rien osé dire; mais Henri calculait tout: il comprit que son silence le trahirait; d’ordinaire, on ne perd pas ainsi un de ses serviteurs, un de ses confidents, sans s’informer de lui, sans faire des recherches. Henri s’informa donc, rechercha donc, en présence du roi et de la reine mère elle-même; il demanda Orthon à tout le monde, depuis la sentinelle qui se promenait devant le guichet du Louvre, jusqu’au capitaine des gardes qui veillait dans l’antichambre du roi; mais toute demande et toute démarche furent inutiles; et Henri parut si ostensiblement affecté de cet événement et si attaché au pauvre serviteur absent, qu’il déclara qu’il ne le remplacerait que lorsqu’il aurait acquis la certitude qu’il aurait disparu pour toujours.
L’antichambre, comme nous l’avons dit, était donc vide lorsque Marguerite se présenta chez Henri.
Si légers que fussent les pas de la reine, Henri les entendit et se retourna.
– Vous, madame! s’écria-t-il.
– Oui, répondit Marguerite. Lisez vite. Et elle lui présenta le papier tout ouvert. Il contenait ces quelques lignes: «Sire, le moment est venu de mettre notre projet de fuite à exécution. Après-demain il y a chasse au vol le long de la Seine, depuis Saint-Germain jusqu’à Maisons, c’est-à-dire dans toute la longueur de la forêt.» Allez à cette chasse, quoique ce soit une chasse au vol; prenez sous votre habit une bonne chemise de mailles; ceignez votre meilleure épée; montez le plus fin cheval de votre écurie.» Vers midi, c’est-à-dire au plus fort de la chasse et quand le roi sera lancé à la suite du faucon, dérobez-vous seul si vous venez seul, avec la reine de Navarre si la reine vous suit.» Cinquante des nôtres seront cachés au pavillon de François Ier, dont nous avons la clef; tout le monde ignorera qu’ils y sont, car ils y seront venus de nuit et les jalousies en seront fermées.» Vous passerez par l’allée des Violettes, au bout de laquelle je veillerai; à droite de cette allée, dans une petite clairière, seront MM. de La Mole et Coconnas avec deux chevaux de main. Ces chevaux frais seront destinés à remplacer le vôtre et celui de Sa Majesté la reine de Navarre, si par hasard ils étaient fatigués.
» Adieu, Sire; soyez prêt, nous le serons.»
– Vous le serez, dit Marguerite, prononçant après seize cents ans les mêmes paroles que César avait prononcées sur les bords du Rubicon.
– Soit, madame, répondit Henri, ce n’est pas moi qui vous démentirai.
– Allons, Sire, devenez un héros; ce n’est pas difficile; vous n’avez qu’à suivre votre route; et faites-moi un beau trône, dit la fille de Henri II.
Un imperceptible sourire effleura la lèvre fine du Béarnais. Il baisa la main de Marguerite et sortit le premier, pour explorer le passage, tout en fredonnant le refrain d’une vieille chanson:
Cil qui mieux battit la muraille
N’entra point dedans le chasteau.
La précaution n’était pas mauvaise: au moment où il ouvrait la porte de sa chambre à coucher, le duc d’Alençon ouvrait celle de son antichambre; il fit de la main un signe à Marguerite, puis tout haut:
– Ah! c’est vous, mon frère, dit-il, soyez le bienvenu. Au signe de son mari, la reine avait tout compris et s’était jetée dans un cabinet de toilette, devant la porte duquel pendait une énorme tapisserie.
Le duc d’Alençon entra d’un pas craintif en regardant tout autour de lui.
– Sommes-nous seuls, mon frère? demanda-t-il à demi-voix.
– Parfaitement seuls. Qu’y a-t-il donc? vous paraissez tout bouleversé.
– Il y a que nous sommes découverts, Henri.
– Comment découverts?
– Oui, de Mouy a été arrêté.
– Je le sais.
– Eh bien! de Mouy a tout dit au roi.
– Qu’a-t-il dit?
– Il a dit que je désirais le trône de Navarre, et que je conspirais pour l’obtenir.
– Ah! pécaïre! dit Henri, de sorte que vous voilà compromis, mon pauvre frère! Comment alors n’êtes-vous pas encore arrêté?
– Je n’en sais rien moi-même; le roi m’a raillé en faisant semblant de m’offrir le trône de Navarre. Il espérait sans doute me tirer un aveu du cœur; mais je n’ai rien dit.
– Et vous avez bien fait, ventre-saint-gris, dit le Béarnais; tenons ferme, notre vie à tous deux en dépend.
– Oui, reprit François, le cas est épineux; voici pourquoi je suis venu demander votre avis, mon frère; que croyez-vous que je doive faire: fuir ou rester?
– Vous avez vu le roi, puisque c’est à vous qu’il a parlé?
– Oui, sans doute.
– Eh bien, vous avez dû lire dans sa pensée! Suivez votre inspiration.
– J’aimerais mieux rester, répondit François.
Si maître qu’il fût de lui-même, Henri laissa échapper un mouvement de joie; si imperceptible que fût ce mouvement, François le surprit au passage.