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– Oh! oh! dit le lieutenant, il ne ronfle plus, ce me semble.

– Allons, sus! dit Maurevel. À cette voix, un cri rauque qui ressemblait plutôt au rugissement du lion qu’à des accents humains partit de dessous les rideaux, qui s’ouvrirent violemment, et un homme, armé d’une cuirasse et le front couvert d’une de ces salades qui ensevelissaient la tête jusqu’aux yeux, apparut assis, deux pistolets à la main et son épée sur les genoux. Maurevel n’eut pas plus tôt aperçu cette figure et reconnu de Mouy, qu’il sentit ses cheveux se dresser sur sa tête; il devint d’une pâleur affreuse; sa bouche se remplit d’écume; et, comme s’il se fût trouvé en face d’un spectre, il fit un pas en arrière.

Soudain la figure armée se leva et fit en avant un pas égal à celui que Maurevel avait fait en arrière, de sorte que c’était celui qui était menacé qui semblait poursuivre, et celui qui menaçait qui semblait fuir.

– Ah! scélérat, dit de Mouy d’une voix sourde, tu viens pour me tuer comme tu as tué mon père!

Deux des sbires, c’est-à-dire ceux qui étaient entrés avec Maurevel dans la chambre du roi, entendirent seuls ces paroles terribles; mais en même temps qu’elles avaient été dites, le pistolet s’était abaissé à la hauteur du front de Maurevel. Maurevel se jeta à genoux au moment où de Mouy appuyait le doigt sur la détente; le coup partit, et un des gardes qui se trouvaient derrière lui, et qu’il avait démasqué par ce mouvement, tomba frappé au cœur. Au même instant Maurevel riposta, mais la balle alla s’aplatir sur la cuirasse de De Mouy.

Alors prenant son élan, mesurant la distance, de Mouy, d’un revers de sa large épée, fendit le crâne du deuxième garde, et, se retournant vers Maurevel, engagea l’épée avec lui.

Le combat fut terrible, mais court. À la quatrième passe, Maurevel sentit dans sa gorge le froid de l’acier; il poussa un cri étranglé, tomba en arrière, et en tombant renversa la lampe, qui s’éteignit.

Aussitôt de Mouy, profitant de l’obscurité, vigoureux et agile comme un héros d’Homère, s’élança tête baissée vers l’antichambre, renversa un des gardes, repoussa l’autre, passa comme un éclair entre les sbires qui gardaient la porte extérieure, essuya deux coups de pistolet, dont les balles éraillèrent la muraille du corridor, et dès lors il fut sauvé, car un pistolet tout chargé lui restait encore, outre cette épée qui frappait de si terribles coups.

Un instant de Mouy hésita pour savoir s’il devait fuir chez M. d’Alençon, dont il lui semblait que la porte venait de s’ouvrir, ou s’il devait essayer de sortir du Louvre. Il se décida pour ce dernier parti, reprit sa course d’abord ralentie, sauta dix degrés d’un seul coup, parvint au guichet, prononça les deux mots de passe et s’élança en criant:

– Allez là-haut, on y tue pour le compte du roi. Et profitant de la stupéfaction que ses paroles jointes au bruit des coups de pistolet avaient jetée dans le poste, il gagna au pied et disparut dans la rue du Coq sans avoir reçu une égratignure.

C’était en ce moment que Catherine avait arrêté son capitaine des gardes en disant:

– Demeurez, j’irai voir moi-même ce qui se passe là-bas.

– Mais, madame, répondit le capitaine, le danger que pourrait courir Votre Majesté m’ordonne de la suivre.

– Restez, monsieur, dit Catherine d’un ton plus impérieux encore que la première fois, restez. Il y a autour des rois une protection plus puissante que l’épée humaine.

Le capitaine demeura.

Alors Catherine prit une lampe, passa ses pieds nus dans des mules de velours, sortit de sa chambre, gagna le corridor encore plein de fumée, s’avança impassible et froide comme une ombre, vers l’appartement du roi de Navarre.

Tout était redevenu silencieux.

Catherine arriva à la porte d’entrée, en franchit le seuil, et vit d’abord dans l’antichambre Orthon évanoui.

– Ah! ah! dit-elle, voici toujours le laquais; plus loin sans doute nous allons trouver le maître. Et elle franchit la seconde porte.

Là, son pied heurta un cadavre; elle abaissa sa lampe; c’était celui du garde qui avait eu la tête fendue; il était complètement mort.

Trois pas plus loin était le lieutenant frappé d’une balle et râlant le dernier soupir.

Enfin, devant le lit un homme qui, la tête pâle comme celle d’un mort, perdant son sang par une double blessure qui lui traversait le cou, raidissant ses mains crispées, essayait de se relever.

C’était Maurevel. Un frisson passa dans les veines de Catherine; elle vit le lit désert, elle regarda tout autour de la chambre, et chercha en vain parmi ces trois hommes couchés dans leur sang le cadavre qu’elle espérait. Maurevel reconnut Catherine; ses yeux se dilatèrent horriblement, et il tendit vers elle un geste désespéré.

– Eh bien, dit-elle à demi-voix, où est-il? qu’est-il devenu? Malheureux! l’auriez-vous laissé échapper?

Maurevel essaya d’articuler quelques paroles; mais un sifflement inintelligible sortit seul de sa blessure, une écume rougeâtre frangea ses lèvres, et il secoua la tête en signe d’impuissance et de douleur.

– Mais parle donc! s’écria Catherine, parle donc! ne fût-ce que pour me dire un seul mot!

Maurevel montra sa blessure, et fit entendre de nouveau quelques sons inarticulés, tenta un effort qui n’aboutit qu’à un rauque râlement et s’évanouit.

Catherine alors regarda autour d’elle: elle n’était entourée que de cadavres et de mourants; le sang coulait à flots par la chambre, et un silence de mort planait sur toute cette scène.

Encore une fois elle adressa la parole à Maurevel, mais sans le réveiller: cette fois, il demeura non seulement muet, mais immobile; un papier sortait de son pourpoint, c’était l’ordre d’arrestation signé du roi. Catherine s’en saisit et le cacha dans sa poitrine.

En ce moment Catherine entendit derrière elle un léger froissement de parquet; elle se retourna et vit debout, à la porte de la chambre, le duc d’Alençon, que le bruit avait attiré malgré lui, et que le spectacle qu’il avait sous les yeux fascinait.

– Vous ici? dit-elle.

– Oui, madame. Que se passe-t-il donc, mon Dieu? demanda le duc.

– Retournez chez vous, François, et vous apprendrez assez tôt la nouvelle.

D’Alençon n’était pas aussi ignorant de l’aventure que Catherine le supposait. Aux premiers pas retentissant dans le corridor, il avait écouté. Voyant entrer des hommes chez le roi de Navarre, il avait, en rapprochant ce fait des paroles de Catherine, deviné ce qui allait se passer, et s’était applaudi de voir un ami si dangereux détruit par une main plus forte que la sienne.

Bientôt des coups de feu, les pas rapides d’un fugitif, avaient attiré son attention, et il avait vu dans l’espace lumineux projeté par l’ouverture de la porte de l’escalier disparaître un manteau rouge qui lui était par trop familier pour qu’il ne le reconnût pas.

– De Mouy! s’écria-t-il, de Mouy chez mon beau-frère de Navarre! Mais non, c’est impossible! Serait-ce M. de La Mole?…

Alors l’inquiétude le gagna. Il se rappela que le jeune homme lui avait été recommandé par Marguerite elle-même, et voulant s’assurer si c’était lui qu’il venait de voir passer, il monta rapidement à la chambre des deux jeunes gens: elle était vide. Mais, dans un coin de cette chambre, il trouva suspendu le fameux manteau cerise. Ses doutes avaient été fixés: ce n’est donc pas La Mole, mais de Mouy.