En effet, M. de Nancey, capitaine des gardes, s’avançait sur le balcon de la chambre du roi. Tous les regards se tournèrent vers lui. Il brisa une baguette en deux morceaux, et, les bras étendus, tenant les deux morceaux de chaque main:
– Le roi Charles IX est mort! le roi Charles IX est mort! le roi Charles IX est mort! cria-t-il trois fois. Et il laissa tomber les deux morceaux de la baguette.
– Vive le roi Henri III! cria alors Catherine en se signant avec une pieuse reconnaissance. Vive le roi Henri III!
Toutes les voix répétèrent ce cri, excepté celle du duc François.
– Ah! elle m’a joué, dit-il en déchirant sa poitrine avec ses ongles.
– Je l’emporte, s’écria Catherine, et cet odieux Béarnais ne régnera pas!
XXXV Épilogue
Un an s’était écoulé depuis la mort du roi Charles IX et l’avènement au trône de son successeur.
Le roi Henri III, heureusement régnant par la grâce de Dieu et de sa mère Catherine, était allé à une belle procession faite en l’honneur de Notre-Dame de Cléry.
Il était parti à pied avec la reine sa femme et toute la cour.
Le roi Henri III pouvait bien se donner ce petit passe-temps; nul souci sérieux ne l’occupait à cette heure. Le roi de Navarre était en Navarre, où il avait si longtemps désiré être, et s’occupait fort, disait-on, d’une belle fille du sang des Montmorency et qu’il appelait la Fosseuse. Marguerite était près de lui, triste et sombre, et ne trouvant que dans ses belles montagnes, non pas une distraction, mais un adoucissement aux deux grandes douleurs de la vie: l’absence et la mort.
Paris était fort tranquille, et la reine mère, véritablement régente depuis que son cher fils Henri était roi, y faisait séjour tantôt au Louvre, tantôt à l’hôtel de Soissons, qui était situé sur l’emplacement que couvre aujourd’hui la halle au blé, et dont il ne reste que l’élégante colonne qu’on peut voir encore aujourd’hui.
Elle était un soir fort occupée à étudier les astres avec René, dont elle avait toujours ignoré les petites trahisons, et qui était rentré en grâce auprès d’elle pour le faux témoignage qu’il avait si à point porté dans l’affaire de Coconnas et de La Mole, lorsqu’on vint lui dire qu’un homme qui disait avoir une chose de la plus haute importance à lui communiquer, l’attendait dans son oratoire.
Elle descendit précipitamment et trouva le sire de Maurevel.
– Il est ici, s’écria l’ancien capitaine des pétardiers, ne laissant point, contre l’étiquette royale, le temps à Catherine de lui adresser la parole.
– Qui, il? demanda Catherine.
– Qui voulez-vous que ce soit, madame, sinon le roi de Navarre?
– Ici! dit Catherine, ici… lui… Henri… Et qu’y vient-il faire, l’imprudent?
– Si l’on en croit les apparences, il vient voir madame de Sauve; voilà tout. Si l’on en croit les probabilités, il vient conspirer contre le roi.
– Et comment savez-vous qu’il est ici?
– Hier, je l’ai vu entrer dans une maison, et un instant après madame de Sauve est venue l’y joindre.
– Êtes-vous sûr que ce soit lui?
– Je l’ai attendu jusqu’à sa sortie, c’est-à-dire une partie de la nuit. À trois heures, les deux amants se sont remis en chemin. Le roi a conduit madame de Sauve jusqu’au guichet du Louvre; là, grâce au concierge, qui est dans ses intérêts sans doute, elle est rentrée sans être inquiétée, et le roi s’en est revenu tout en chantonnant un petit air et d’un pas aussi dégagé que s’il était au milieu de ses montagnes.
– Et où est-il allé ainsi?
– Rue de l’Arbre-Sec, hôtel de la Belle-Étoile, chez ce même aubergiste où logeaient les deux sorciers que Votre Majesté a fait exécuter l’an passé.
– Pourquoi n’êtes-vous pas venu me dire la chose aussitôt?
– Parce que je n’étais pas encore assez sûr de mon fait.
– Tandis que maintenant?
– Maintenant, je le suis.
– Tu l’as vu?
– Parfaitement. J’étais embusqué chez un marchand de vin en face; je l’ai vu entrer d’abord dans la même maison que la veille; puis comme madame de Sauve tardait, il a mis imprudemment son visage au carreau d’une fenêtre du premier, et cette fois je n’ai plus conservé aucun doute. D’ailleurs, un instant après, madame de Sauve l’est venue rejoindre de nouveau.
– Et tu crois qu’ils resteront, comme la nuit passée, jusqu’à trois heures du matin?
– C’est probable.
– Où est donc cette maison?
– Près de la Croix-des-Petits-Champs, vers Saint-Honoré.
– Bien, dit Catherine. M. de Sauve ne connaît point votre écriture?
– Non.
– Asseyez-vous là et écrivez. Maurevel obéit et prenant la plume:
– Je suis prêt, madame, dit-il.
Catherine dicta:
«Pendant que le baron de Sauve fait son service au Louvre, la baronne est avec un muguet de ses amis, dans une maison proche de la Croix-des-Petits-Champs, vers Saint-Honoré; le baron de Sauve reconnaîtra la maison à une croix rouge qui sera faite sur la muraille.»
– Eh bien? demanda Maurevel.
– Faites une seconde copie de cette lettre, dit Catherine. Maurevel obéit passivement.
– Maintenant, dit la reine, faites remettre une de ces lettres par un homme adroit au baron de Sauve, et que cet homme laisse tomber l’autre dans les corridors du Louvre.
– Je ne comprends pas, dit Maurevel. Catherine haussa les épaules.
– Vous ne comprenez pas qu’un mari qui reçoit une pareille lettre se fâche?
– Mais il me semble, madame, que du temps du roi de Navarre il ne se fâchait pas.
– Tel qui passe des choses à un roi ne les passe peut-être pas à un simple galant. D’ailleurs, s’il ne se fâche pas, vous vous fâcherez pour lui, vous.
– Moi?
– Sans doute. Vous prenez quatre hommes, six hommes s’il le faut, vous vous masquez, vous enfoncez la porte, comme si vous étiez les envoyés du baron, vous surprenez les amants au milieu de leur tête-à-tête, vous frappez au nom du roi; et le lendemain le billet perdu dans le corridor du Louvre, et trouvé par quelque âme charitable qui l’a déjà fait circuler, atteste que c’est le mari qui s’est vengé. Seulement, le hasard a fait que le galant était le roi de Navarre; mais qui pouvait deviner cela, quand chacun le croyait à Pau?
Maurevel regarda avec admiration Catherine, s’inclina et sortit.