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— Pardonnez-moi. Je ne sais pas ce que je fais. Je ne savais pas ce que je ferais quand vous reviendriez au village.

— Vous saviez que j’allais revenir ? s’étonna Elinborg.

— Cela ne m’a pas surprise. Je m’y attendais. Je m’attendais à ce que vous reveniez.

— Dites-moi ce qui vous inquiète. Il est évident que vous avez quelque chose à me dire.

— Je vous ai vue aller chez Kristjana.

— Décidément, peu de choses échappent à l’attention des gens de ce village.

— Je ne vous espionnais pas, je vous ai vue, c’est tout. Elle sait très bien ce qui s’est passé. Elle vous l’a raconté ?

— Et que s’est-il passé ?

— Tout le monde le sait.

— Quoi ? Et d’abord, qui êtes-vous ? Par exemple, quel est votre prénom ?

— Je m’appelle Vala.

— Vala, pourquoi toutes ces cachotteries ?

— Je crois que la plupart des gens du village devinent ce qui est arrivé, mais qu’ils ne le raconteront jamais. Et je ne veux pas non plus vous le dire, je ne veux pas lui attirer de problèmes. Voilà pourquoi… Enfin, je ne suis même pas sûre de bien agir en discutant avec vous. C’est simplement que… ce silence est insupportable. Je n’en peux plus.

— Pourquoi ne pas me dire ce que vous avez sur le cœur ? Ensuite, on avisera. De quoi avez-vous peur ?

— Personne n’aborde ce sujet au village, répondit Vala. Et je ne veux pas lui attirer d’ennuis.

— Quel sujet ? Des ennuis à qui ?

— Tout le monde se tait et agit comme si rien n’était arrivé, comme si jamais rien ne se produisait ici. Comme si tout était lisse, normal et beau.

— Et ce n’est pas le cas ?

— Non, vraiment pas.

— Alors, racontez-moi. Pourquoi m’avez-vous conduite ici la nuit dernière ?

La jeune fille ne lui répondit pas.

— Que voulez-vous que je fasse ? s’entêta Elinborg.

— Je ne suis pas une rapporteuse, je ne veux pas médire sur les autres. Surtout pas sur les défunts.

— Rien ne dit que les villageois apprendront de quoi nous avons discuté, observa Elinborg.

Vala changea brusquement de conversation.

— Il y a longtemps que vous êtes dans la police ?

— Oui, assez.

— Ce doit être un travail plutôt ennuyeux.

— Non, il l’est parfois, c’est vrai. Par exemple, quand on vous envoie dans un village aussi étrange que le vôtre. Mais cela s’arrange toujours. Surtout quand on rencontre une jeune fille comme vous et qu’on se dit qu’on peut sans doute l’aider. Alors, quels sont ces morts sur lesquels vous ne voulez pas médire ?

— J’ai laissé tomber le lycée, observa la jeune fille, qui hésitait encore à lui répondre. Peut-être que je passerai mon bac un jour et qu’ensuite, j’irai à l’université. J’aimerais bien faire des études.

— Qui était cette Adalheidur qui repose ici ? interrogea Elinborg, les yeux baissés sur la croix.

— J’étais encore petite quand c’est arrivé.

— Quoi donc ?

— Je devais avoir environ huit ans, mais je n’en ai entendu parler que vers douze, peut-être treize ans. Toutes sortes d’histoires bizarres traînaient dans le village, on les trouvait tristes, mais elles nous intriguaient. On disait qu’elle avait déraillé. Qu’elle souffrait d’une maladie mentale. Elle ne travaillait pas à plein temps, elle s’occupait de son frère, elle était mystérieuse et très solitaire. Elle ne parlait à personne. Dans un sens, elle s’isolait de ce qui constituait la vie au village, elle se tenait à l’écart de tout et de tout le monde. Elle n’avait pratiquement de relation avec personne, sauf avec son frère et il s’est drôlement bien occupé d’elle quand elle est tombée malade. Voilà ce qu’on me disait quand j’étais gamine. Cette pauvre Addy était bien malade. À mes yeux, elle était adulte, elle avait douze ans de plus que moi. Notre anniversaire tombe le même mois, à cinq jours d’écart. Elle avait l’âge que j’ai aujourd’hui quand c’est arrivé.

— Et vous l’avez un peu connue ?

— Oui, nous avons travaillé ensemble dans le poisson. Nous avions évidemment cette différence d’âge et c’était très difficile de communiquer avec elle. Elle ne laissait personne l’approcher de trop près. On m’a dit qu’elle avait toujours été comme ça, toujours été un peu spéciale, une solitaire qui ne s’occupait pas beaucoup des autres et dont les autres ne se souciaient guère, d’un caractère effacé, mais plutôt sensible. Elle était toujours très discrète. Une proie facile, je suppose.

Vala prit une profonde inspiration. Elinborg comprenait que ces confidences lui étaient pénibles.

— Plus tard, j’ai entendu d’autres choses au sujet d’Addy et de ce qui lui était arrivé. Certains le savaient, mais ils se taisaient. Peut-être parce qu’ils trouvaient cela impensable. Peut-être qu’ils trouvaient cela gênant, honteux, minable. Il a fallu des années pour que la nouvelle se répande à tout le village. Je crois qu’aujourd’hui, tout le monde est au courant. Je n’ai aucune idée de la manière dont la chose s’est sue puisque Addy n’en a jamais parlé à personne. Elle n’a jamais porté plainte. Peut-être que c’est lui qui en a parlé alors qu’il était ivre. Je suppose qu’il s’est vanté de ce qu’il lui avait fait. Quelque chose me dit qu’il n’éprouvait pas le moindre remords.

Vala s’interrompit. Elinborg attendait tranquillement qu’elle reprenne son récit.

— Addy ne s’est jamais confiée à personne, sauf à son frère, sans doute, peu avant la fin. Je pense qu’à cette époque-là, il devait déjà être plus ou moins au courant, d’ailleurs. Elle vivait enfermée dans une honte qu’elle s’était créée elle-même. J’ai lu beaucoup de choses où il est question de femmes comme elle. La plupart doivent subir un traitement bien précis. On affirme qu’elles se font des reproches, qu’elles vivent dans la colère et qu’elles s’isolent.

— Que s’est-il passé ?

— Il a abusé d’elle.

Vala fixait la croix des yeux.

— Peu à peu, le village a su qu’elle avait été violée, tout le monde savait par qui, mais elle n’a jamais rien dit. Elle n’a porté plainte contre personne, personne n’a été inculpé. Et personne n’a jamais rien fait pour l’aider, poursuivit Vala.

— Qui a fait ça ? demanda Elinborg. Qui l’a violée ?

— Je suis certaine que Kristjana sait ce qu’il a fait. Elle sait de quoi il est coupable. Elle vit dans un incroyable déni. Elle n’est pas à la fête ici, croyez-moi. Les gamins la harcèlent. Ils cassent les vitres de sa maison.

— Vous me parlez de Runolfur ?

— Oui, il a violé Addy et elle ne s’en est jamais remise. Ils l’ont découverte là, au pied de l’église. Elle avait dérivé jusqu’ici, jusqu’à trouver enfin le repos.

— Et Runolfur ?

— Ici, tout le monde sait qui l’a assassiné.

Elinborg regarda longuement Vala. Elle vit un homme d’âge mûr tourner tranquillement le volant de sa voiture pour la mettre sur le mauvais côté de la route avant d’adresser un large sourire à l’énorme camion qui arrivait en sens inverse.

32

À son retour à la pension, Elinborg travailla quelques heures dans sa chambre dont elle s’était fait un bureau de fortune. Elle passa une autre série d’appels téléphoniques à Reykjavik pour rassembler des renseignements complémentaires. Elle parla entre autres à Sigurdur Oli et ils prirent les dispositions qui s’imposaient. Des policiers seraient envoyés au village, mais le trajet leur demanderait un certain temps. Sigurdur Oli l’encouragea à ne rien entreprendre avant leur arrivée. Elle le pria de ne pas s’inquiéter pour elle. Konrad et Nina étaient toujours en garde à vue. Elinborg ne s’étonna pas de constater que Konrad était revenu sur ses aveux et qu’il déclarait désormais n’avoir joué aucun rôle dans le décès de Runolfur. Il continuait par ailleurs à nier que Nina ait pu être impliquée.