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Mais quand tous seront abattus, quand tous baiseront la poussière, qui restera debout sur la terre? quel pouvoir subsistera sur les cendres du monde?… Ce qui subsistera, c'est un pontife dans une Église…

Si cette Église, fille du Christ et mère du christianisme, a vu la révolte sortir de son sein, la faute en fut à ses prêtres: car ses prêtres étaient des hommes. Mais elle retrouvera son unité, parce que ces hommes tout caducs qu'ils sont n'en sont pas moins les successeurs directs des apôtres, ordonnés d'âge en âge par des évêques qui reçurent eux-mêmes d'évêque en évêque sous l'imposition des mains, en remontant jusqu'à saint Pierre et Jésus-Christ, l'infusion de l'Esprit saint avec l'autorité nécessaire pour communiquer cette grâce au monde régénéré.

Supposez… tout n'est-il pas possible à Dieu… Supposez que le genre humain veuille devenir sérieusement chrétien, ira-t-il redemander le christianisme à un livre? non, il le demandera à des hommes qui lui expliqueront ce livre. Il faut donc toujours une autorité, même aux prédicateurs d'indépendance, et celle qu'on choisit arbitrairement ne vaut pas celle qu'on trouve établie depuis dix-huit siècles.

Croyez-vous que l'Empereur de Russie soit un meilleur chef visible de l'Église que l'évêque de Rome? Les Russes devraient le croire; mais le croient-ils? Croyez-vous qu'ils le croient? Telle est pourtant la vérité religieuse qu'ils prêchent aujourd'hui aux Polonais!

Vous piquerez-vous de conséquence, et rejetterez-vous opiniâtrement toute autre autorité que celle de la raison individuelle? vous perpétuez la guerre parce que le gouvernement de la raison nourrit l'orgueil, et que l'orgueil engendre la division. Ah! les chrétiens ne savent pas de quel trésor ils se sont volontairement privés le jour où ils avisèrent qu'on pourrait avoir des églises nationales!… Si toutes les églises du monde étaient devenues nationales, c'est-à-dire protestantes ou schismatiques, il n'y aurait plus aujourd'hui de christianisme: il n'y aurait que des systèmes de théologie soumis à la politique humaine qui les modifierait à son gré, selon les circonstances et selon les localités.

Je me résume: je suis chrétien, parce que les destinées de l'homme ne s'accomplissent pas sur la terre: je suis catholique, parce que hors de l'Église catholique, le christianisme s'altère et périt.

Après avoir parcouru la plus grande partie du monde civilisé, après m'être appliqué de toutes mes forces pendant ces diverses courses à découvrir quelques-uns des ressorts cachés dont le jeu fait la vie des Empires; voici, selon mes observations attentives, l'avenir que nous pouvons présager au monde.

Du point de vue humain: l'universelle dispersion des esprits par le mépris de la seule autorité légitime en matière de foi: c'est-à-dire l'abolition du christianisme, non comme système de morale et de philosophie, mais comme religion… et ce point suffît à la force de mon argument. Du point de vue surnatureclass="underline" le triomphe du christianisme par la réunion de toutes les églises dans l'Église mère, dans cette Église ébranlée, mais indestructible, et dont chaque siècle élargit les portes pour y faire rentrer tout ce qui en est sorti. Il faut que l'univers redevienne païen ou catholique: païen d'un paganisme plus ou moins raffiné, avec la nature pour temple, les sens pour ministre du culte, et la raison pour idole; ou catholique avec des prêtres, dont un certain nombre au moins mette sincèrement en pratique, avant de le prêcher, le précepte de leur maître: «Mon royaume n'est pas de ce monde.»

Voilà le dilemme dont l'esprit humain ne sortira plus. Hors de là, il n'y a d'un côté que fourbe, de l'autre qu'illusion[1].

Ce résultat m'est apparu depuis que je pense; cependant les idées du siècle étaient si loin de mes idées, que je manquais non de foi, mais de hardiesse; j'éprouvais toute l'impuissance de l'isolement; je n'ai cessé néanmoins de protester de toutes mes forces en faveur de ma croyance. Mais aujourd'hui qu'elle est devenue populaire dans une partie de la chrétienté, aujourd'hui que les grands intérêts qui agitent le monde sont ceux qui m'ont toujours fait battre le cœur, aujourd'hui enfin que l'avenir, l'avenir prochain de l'Europe est gros du problème dont je n'ai cessé de chercher la solution dans mon obscurité; je reconnais que j'ai ma place en ce monde, je me sens appuyé, si ce n'est dans mon pays encore épris de cette philosophie de destruction, philosophie étroite, arriérée qui retient une grande partie de la France actuelle hors de la mêlée des grands intérêts humains: au moins dans l'Europe chrétienne. C'est cet appui qui m'a autorisé à définir plus nettement mes idées dans plusieurs parties de cet ouvrage, et à en tirer les dernières conséquences.

Partout où j'ai posé le pied sur la terre, depuis Maroc jusqu'aux frontières de la Sibérie, j'ai senti couver le feu des guerres religieuses; non plus peut-être, nous devons l'espérer, de la guerre à main armée, la moins décisive de toutes, mais de la guerre des idées… Dieu seul sait le secret des événements, mais tout homme qui observe et qui réfléchit peut prévoir quelques-unes des questions qui seront résolues par l'avenir: ces questions sont toutes religieuses. De l'attitude que la France saura prendre dans le monde comme puissance catholique dépendra son influence politique. À mesure que les esprits révolutionnaires s'éloignent d'elle, les cœurs catholiques s'en rapprochent. En ceci, la force des choses domine tellement les hommes, qu'un Roi, souverainement tolérant, et un ministre protestant sont devenus dans le monde entier les défenseurs les plus zélés du catholicisme, uniquement parce qu'ils sont Français.

Tels furent les constants objets de mes méditations et de ma sollicitude pendant le long pèlerinage dont on va lire le récit, récit varié comme la vie errante du voyageur, mais où perce toujours l'amour de la patrie combiné avec des idées plus générales.

Toutefois, à combien de controverses ne sont-elles pas sujettes ces idées qui agitent aujourd'hui le monde, longtemps engourdi dans une civilisation trop matérielle?

Reconnaître la divinité de Jésus-Christ, c'est beaucoup sans doute, c'est plus que ne font la plupart des protestants; néanmoins ce n'est pas encore être enfanté au christianisme. Les païens ne voulaient-ils pas élever des temples à celui qui était venu pour démolir leurs temples?… Lorsqu'ils proposaient aux apôtres de mettre Jésus-Christ au nombre de leurs dieux, étaient-ils chrétiens pour cela?

Un chrétien est un membre de l'Église de Jésus-Christ. Or, cette Église exclusive est une; elle a son chef visible, et elle s'enquiert de la foi de chaque homme autant que de ses actes, parce qu'elle gouverne par l'esprit.

Cette Église déplore l'étrange abus qu'on a fait de nos jours du mot tolérance chrétienne au profit de l'indifférence philosophique. Faire de la tolérance un dogme, et substituer ce dogme humain à tous les dogmes divins, c'est détruire la religion sous prétexte de la rendre aimable. Du point de vue de l'Église catholique, pratiquer la vertu de tolérance, ce n'est pas transiger sur les principes; c'est protester contre la violence, et mettre la prière, la patience, la douceur et la persuasion au service de l'éternelle vérité; telle n'est pas la tolérance moderne! Ce credo de l'indifférence, devenu pendant plus d'un siècle la base de la nouvelle théologie, perd de ses droits à l'estime des chrétiens, en proportion de la puissance qu'il ôte à la foi; la vraie tolérance, la tolérance renfermée dans les limites de la piété, n'est pas l'état normal de l'âme, c'est le remède qu'une religion charitable et qu'une sage politique opposent aux maladies de l'esprit.